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eut l'occasion, désigna M. de Cheverus pour la pourpre romaine. Toutes les opinions applaudirent avec une égale faveur; et jamais, de nos jours, élection ne fut plus populaire que cette promotion d'un cardinal. C'est qu'il y a dans la bonté du cœur unie à la pureté religieuse un charme et un ascendant que nulle prévention ne peut méconnaître ; c'est qu'aimer les hommes, et leur faire du bien au nom de Dieu, sera toujours un grand titre dans le monde. Ce fut la puissance de M. de Cheverus, et le secret de sa vie heureuse et honorée.

Cette vie approchait du terme, sans se démentir un moment. Lorsqu'il rentra dans Bordeaux, avec sa dignité nouvelle de cardinal, un sinistre de mer venait tout récemment d'engloutir quatre-vingts pauvres pêcheurs sortis du port de la Teste. M. de Cheverus, au milieu des acclamations de la foule qui se pressait sur son passage, n'a d'attention et de cœur que pour le désastre qu'il vient d'apprendre. Il tourne en pitié et en aumônes tout l'enthousiasme qu'on a pour lui. Les malheureux qui avaient péri laissaient sans ressources leurs veuves, leurs vieux parents et cent soixante et un petits orphelins; c'est là ce qui trouble, ce qui fait pleurer l'archevêque. Il envoie aussitôt, pour porter des secours aux familles désolées, un de ses dignes élèves, celui qui sera plus tard le charitable et courageux évêque d'Alger. Il reste à Bordeaux, afin de multiplier les quêtes, et de les prêcher lui-même; il célèbre dans sa cathédrale un service solennel pour les pauvres noyés, comme pour des grands de la terre. Des dons passagers ne suffisent pas; dans son ingénieuse charité, il forme au profit des orphelins de la Teste, une association durable de tous les enfants des familles aisées de la ville, ayant à leur tête quelques riches orphelins. Par les soins des jeunes protecteurs, une école est établie dans Bordeaux pour leurs

pauvres pupilles; et l'archevêque soulage ainsi les uns, en apprenant aux autres l'exercice éclairé de la bienfaisance et de la vertu.

Ainsi se succédaient incessamment ses bonnes œuvres et ses édifiantes paroles. Fatigué de longs efforts, malade et déjà frappé d'un funeste avant-coureur, M. de Cheyerus continua sans interruption de travailier à sa tâche épiscopale, partout inspirant le bien, ou le faisant luimême; et il ne se reposa que pour mourir, en laissant comme un dernier bienfait l'exemple même de ses derniers moments.

Quels hommages solennels aurait mérités M. de Cheverus! quel prix de vertu serait digne de chacune de ses belles actions! ce prix qu'on n'eût pas osé lui offrir, nous le décernons de loin à sa mémoire, en couronnant son modeste historien.

D'autres livres remarquables ont frappé vivement l'attention de l'Académie, sans qu'elle ait cru pouvoir les comprendre dans le concours, ou les associer aux prix. Tantôt c'est le caractère du sujet qui lui a paru résister au choix qu'elle aurait voulu faire; tantôt c'est le but même de l'ouvrage qui lui a semblé n'admettre d'autre récompense qu'une mention publique. C'est ainsi qu'en appréciant les laborieuses recherches et les brillants récits consacrés à l'Espagne par M. Rossew Saint-Hilaire, l'Académie a regretté de n'avoir pas, pour les études d'histoire étrangère, un prix spécial à décerner, comme pour les travaux sur notre histoire nationale. C'est ainsi qu'un écrit rapide et excellent de M. Charles Dupin, adressé, sous le titre de Bien-être et concorde, aux classes laborieuses qui souvent ont entendu la voix de l'auteur, n'a paru à l'Académie qu'une suite de ses leçons du Conservatoire, placées en dehors de toute autre récompense par leur succès même. Le Cours de Morale que M, Rendu

a composé pour l'instruction de la jeunesse, avec la pieuse tendresse d'un père et l'expérience d'un maître habile, devait également recevoir une mention à part; et les Mélanges littéraires de M. Patin, en replaçant sous les yeux de l'Académie plus d'un remarquable discours déjà couronné par elle, lui rappelaient combien d'estime est due à cette érudition choisie, à cette raison piquante, à ce goût ingénieux et pur.

Après des éloges trop faiblement exprimés, mais si justes, l'Académie réserve, pour quelques ouvrages utiles, des médailles d'encouragement et d'honneur. Le nombre même de ces ouvrages témoigne du vif intérêt qui s'attache aujourd'hui à l'éducation morale de l'enfance. Tous ceux que l'Académie a distingués sont écrits par des femmes; et, dans celui qu'elle place le premier, le Livre de l'enfance chrétienne, par madame de Flavigny, on reconnaît à chaque page, avec les grâces de l'esprit le plus délicat, la vigilance inquiète et l'attention passionnée d'une mère. Dans ce livre sérieux et charmant, la leçon est un entretien intime; le langage élégant et noble décèle les plus heureuses traditions du bon goût, en même temps qu'il est approprié à la raison du premier âge, par sa simplicité, et intéressant pour tous les âges, par les sentiments vifs et purs qu'il exprime.

D'autres essais moraux, sous une forme romanesque, Marianne Aubry, par mademoiselle Julie Gouraud, Bernard ou le Gagne-Petit, par mademoiselle Uiliac de Trémadeure, Julien, par madame Fanny Richomme, la Jeune Aveugle, par madame Taunay, ont offert à l'Académie ce même caractère de vérités utiles, mises en scène dans un récit touchant et naturel. Un sentiment toujours pur et parfois un honorable besoin de travail a dirigé le talent dans ces ouvrages: nous devons d'autant plus l'accueillir. Si la culture des lettres honore dans la

prospérité, il est juste aussi qu'elle soit un appui dans une fortune moins heureuse, et qu'elle la soutienne, en la rendant respectable.

L'Académie décerne également une médaille au dernier écrit qu'a publié M. Azaïs, sur les idées bienveillantes et conciliatrices, distinctes de ses systèmes, et qui ont animé sa vie entière.

En honorant tous les travaux qui portent un caractère d'utilité morale, l'Académie, quand elle le peut, tâche que ces travaux se confondent avec les fortes études, et servent à reporter l'attention publique vers les grands modèles de la science et de l'art. C'est dans cette pensée qu'elle a demandé et plusieurs fois couronné des traductions. Trois ouvrages, cette année, ont, à ce titre, fixé son choix, par l'importance, la grandeur des originaux, et le talent des traducteurs.

L'un est un des monuments les plus élevés et les moins accessibles de l'antiquité, la Métaphysique d'Aristote, que nulle traduction n'avait fait encore passer dans notre langue, et dont quelques parties seulement avaient été, de nos jours, dans une savante Académie et sous la plume d'un maître illustre, l'objet d'une étude aussi neuve que profonde. En profitant des vues rapides et lumineuses que M. Cousin avait jetées sur l'ouvrage entier, deux jeunes hellénistes ont intrépidement abordé cette vaste tâche, et porté, autant qu'il était possible, la clarté française dans les obscurités ou plutôt dans les profondeurs de ce grand esprit d'Aristote, dont les versions latines du moyen âge avaient souvent obscurci la lumière. Une introduction méthodique et substantielle précède ce travail, en prépare l'intelligence, et en augmente le prix.

4 Rapport de M. Cousin à l'Académie des sciences morales et politiques, sur le concours de 1835.

D. M

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Il ne nous appartient pas de le discuter ici; mais il nous est doux d'en reporter l'honneur à deux élèves d'une école célèbre, qui a beaucoup fait déjà pour la gloire des lettres, des sciences et de l'enseignement en France. L'Académie couronne la traduction de la Métaphysique d'Aristote, par MM. Alexis Pierron et Charles Zévort, anciens élèves de l'École normale.

Avec cette variété qui appartient au domaine des lettres, nous passons tout d'un coup d'Aristote à Klopstock, et même à saint Augustin. Le poëme de Klopstock, s'il n'est pas la plus attachante des épopées, est certainement la plus pure et la plus sublime dans l'ordre moral. Hormis quelques pages assez fidèlement imitées par le vertueux philosophe Turgot, rien jusqu'ici, dans notre langue, n'avait reproduit la chaste douceur et la gravité mélodieuse du poëte allemand. Il a paru, Messieurs, qu'une élégante et complète version de la Messiade était un bon livre moral à couronner; et nous décernons une médaille d'honneur de 2 000 fr. à l'auteur de ce beau travail, à madame la baronne de Carlowitz, naturalisée depuis longtemps en France par ses malheurs et par le talent d'écrire.

Le plus original et le plus touchant ouvrage d'un Père de l'Église, le monument intermédiaire entre l'antiquité et les âges modernes, où, près du paganisme mourant et de la foi chrétienne qui grandit, on voit apparaître le malaise et la mélancolie des civilisations avancées, les Confessions de saint Augustin sont faites pour intéresser notre siècle, encore plus qu'elles n'édifiaient le siècle de Louis XIV. Bien des lecteurs sont aujourd'hui préparés aux Confessions de saint Augustin par celles de Rousseau et par les agitations éloquentes de René. Ils ne pourront les étudier sans admirer beaucoup le grand évêque d'Hippone, qui, des mêmes inquiétudes rê

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