Page images
PDF
EPUB

ciait pas la part d'originalité personnelle et nationale qui s'est maintenue sous cette imitation.

L'Académie attend de nouveaux candidats à ce savant

concours.

Elle décerne aujourd'hui le prix qu'elle avait proposé pour un sujet tout français, l'éloge de madame de Sévigné; et elle s'est félicitée que ce nom ait appelé un talent digne de le célébrer. La femme qui fut un grand écrivain dans le siècle de Bossuet, sans écrire autre chose que des lettres à sa fille, méritait d'être louée de nos jours par une autre femme, par celle qui, dans des poésies célèbres, échappées de sa pure et modeste retraite, a donné tant de charmes à l'expression des sentiments de famille, et n'a jamais séparé l'imagination et la vertu. L'Académie couronne l'éloge de madame de Sévigné par madame Tastu.

La cour de Louis XIV et la terre des Rochers, la vie de madame de Sévigné, ses conversations, ses lectures, sa tendresse, revivent dans cet éloge, souvent avec son propre langage heureusement rappelé, avec d'élégantes et simples paroles, un esprit qui ne coûte rien au naturel, une grâce digne du sujet et qui lui ressemble. Le discours même qu'on va lire me dispense d'en parler davantage, et fera paraître ce que j'ai dit bien faible. Ajoutons seulement un mot, c'est que le discours qui vient après, l'accessit auquel l'Académie a voulu décerner une médaille, est un travail très-distingué, parfois trop savant, mais toujours spirituel, et même éloquent lorsque l'orateur peut se montrer sérieux à son aise, comme, par exemple, dans une belle description de Port-Royal, dont madame de Sévigné aurait su gré à son jeune et austère panégyriste : l'auteur de cet ouvrage est M. Caboche, professeur de l'Université, dont le nom sera bientôt honorablement connu dans les lettres. Enfin,

après ce discours vient encore l'ouvrage élégant d'une autre femme, à laquelle le siècle et le génie de madame de Sévigné ont inspiré de fines réflexions et d'ingénieuses peintures.

Un si heureux retour vers les modèles du xvIIe siècle invite l'Académie à chercher encore dans cette grande époque les sujets de ses concours; elle propose aujour d'hui l'éloge de Pascal, de ce grand et multiple génie qui, disant lui-même avec un modeste orgueil, que la géométrie devait être l'essai et non l'emploi de notre force, indiquait assez que, pour analyser les puissances de sa pensée, il faudra surtout faire ressortir son caractère de profond moraliste et d'écrivain sublime.

Pour sujet de prix de poésie, l'Académie propose un des grands spectacles qui frappent aujourd'hui nos yeux, l'influence de la civilisation chrétienne en Orient; et elle se plaît à penser, qu'en célébrant cette influence, on rencontrera partout, depuis les bords du Nil et les plaines de la Morée jusqu'aux gorges de l'Atlas, les souvenirs anciens et récents de la valeur et de l'humanité française.

D. M.

26

RAPPORT

SUR

LES CONCOURS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE

EN 1841.

MESSIEURS,

Lorsque l'Académie française décernait, il y a un an, pour la première fois, la dotation littéraire destinée par un généreux citoyen à récompenser de grandes études sur notre histoire, elle s'attendait bien, en proclamant M. Augustin Thierry, qu'une palme si justement acquise ne serait pas transférée de longtemps à un autre nom et à d'autres ouvrages. Cette première épreuve avait eu presque le caractère d'un concours décennal. Le prix était annoncé depuis la mort déjà éloignée du jeune fondateur. Un grand nombre d'écrits historiques, quelquesuns très-remarquables, avaient paru dans l'intervalle. L'examen avait été laborieux; le choix pouvait sembler difficile. Mais aujourd'hui nul doute n'a pu s'élever. Le court espace de temps écoulé depuis notre dernière séance annuelle n'a point produit d'ouvrage à comparer soit aux Considérations sur l'Histoire de France, soit au

tableau correct et ingénieux du siècle de Louis XIII. La proportion entre ces deux ouvrages n'est pas changée, sans doute; mais le livre de M. Bazin conserve, avec autant de justice que celui de M. Thierry, la distinction qu'il avait obtenue, et qu'on ne pourra lui ravir sans beaucoup de savoir et de talent.

Les prix des Académies ne font pas naître les grandes vocations littéraires; mais ils peuvent les aider, les servir; et, dans notre société nouvelle, si distraite de la spéculation studieuse par les affaires, et si économe pour les lettres, combien n'est-il pas précieux que, sur une route pénible, quelques appuis soient offerts au talent isolé !

II y faut sans doute une condition; c'est que la destination de ce talent soit utile, c'est que sa pensée soit pure et son but honorable. Assez d'efforts ont été tentés de nos jours contre les vérités sociales, pour que la défense de ces vérités ne semble à personne un lieu commun, mais une lutte courageuse et nécessaire. La morale, même la plus simple, le bon sens le plus vulgaire attaqués par des sophismes corrupteurs, grandissent en résistant. Comme il n'est rien d'évident qu'on n'ait contesté, il n'est rien de salutaire et de vrai qu'il ne faille soutenir.

C'est à ce point de vue, Messieurs, que deux ouvrages très-différents par le sujet, le caractère, la forme, ont également intéressé l'Académie, et lui ont paru dignes de partager le prix fondé par un philosophe bienfaisant du dernier siècle. L'un de ces ouvrages, en effet, rappelle énergiquement les esprits à la modération et au bon sens, en leur montrant la fausseté de quelques théories sociales annoncées de nos jours, au nom du perfectionnement indéfini et de la complète égalité. L'autre ouvrage, moins savant en apparence, attire doucement les âmes à la religion, par la peinture d'une belle vie con

sacrée tout entière au service de l'humanité, dans un laborieux épiscopat. Les Réformateurs contemporains, par M. Louis Reybaud, la Vie de M. de Cheverus, archevêque de Bordeaux, par un prêtre qui ne s'était pas nommé, tels sont les deux ouvrages dont nous avons à marquer les mérites, les différences, et peut-être le secret rapport.

Un esprit ferme et juste, un écrivain habile a jeté les yeux sur un des incidents moraux qu'on avait vus se produire en Europe, à la suite de nos grandes commotions politiques; il regarde ces expériences isolées, ces tentatives individuelles de réforme sociale qui ont succédé aux mouvements tumultueux des peuples, et ont voulu tantôt nier tous les cultes, tantôt prendre la forme d'un culte, et simuler l'enthousiasme d'une religion nouvelle. Pour mieux apprécier ces entreprises contemporaines, il parcourt d'abord les utopies sociales que des esprits élevés ou rêveurs avaient conçues dans tous les siècles, et en présence de toutes les formes de société; il remonte jusqu'à Platon, avant de descendre à la nouvelle Atlantide cherchée de nos jours; et il passe, pour y arriver, par les systèmes de Thomas Morus, de Bacon, de Fénelon, des intelligences les plus fortes, des génies les plus purs. Mais, si cette revue rapide des espérances du passé atteste le principe tout à la fois de progrès et d'illusion que l'homme porte en soi, la justice rendue à ces nobles précurseurs du perfectionnement social n'empêche pas le nouvel observateur de juger sévèrement ce qu'il y avait de vain dans leurs espérances, ce qu'il y a de vain et de coupable dans des théories plus récentes.

Il est des illusions paisibles qui charmaient quelques imaginations, sans agiter le monde ; il en est de menaçantes qui ne tromperaient aujourd'hui la société que pour la corrompre, la posséder violemment et la dé

« PreviousContinue »