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table pour un récent et bel ouvrage, honoré tous les travaux d'une vie entière et d'un rare talent? Et n'est-il pas de bon exemple aussi, Messieurs, que, dans notre époque de prétentions si actives, une récompense si éclatante s'adresse au mérite seul, sans faveur, sans appui, et qu'elle aille le chercher dans la retraite, où il est incessamment retenu par la souffrance, la privation de la vue, et cette grande consolation de l'étude, dont le suffrage public peut seul doubler le prix, en y ajoutant la gloire?

Une seconde récompense était réservée à l'ouvrage qui aurait le plus approché du premier rang; l'Académie la décerne à l'Histoire de Louis XIII par M. Bazin. Ce sujet, qui embrasse le gouvernement et la vie du cardinal de Richelieu, avait été déjà de nos jours habilement traité. Mais l'histoire est toujours à faire; et tout esprit distingué, en s'aidant lui-même du progrès d'idées qu'il adopte ou qu'il combat, découvre dans les événements racontés par d'autres des leçons et des vues nouvelles. Sans avoir épuisé la double tâche qu'il s'était proposée, la peinture d'une époque historique et d'un grand homme, M. Bazin a fait un ouvrage instructif et piquant. Si quelques événements n'offrent pas dans ses récits le pathétique terrible auquel s'attendait l'imagination du lecteur, on n'en doit pas moins apprécier la finesse impartiale de son esprit. Il explique plus qu'il ne peint; mais une pénétration ingénieuse éclaire tous ses récits : et dans l'art si difficile de l'histoire, l'étendue et la précision des recherches, l'intelligence exacte des grandes choses et le talent d'écrire soutenu dans un long ouvrage, sont des qualités rares, dignes d'un succès durable.

Ce vif intérêt accordé de nos jours aux études historiques paraîtra, sans doute, avoir influé sur le choix de l'Académie dans le jugement d'un autre prix, dont la

générosité d'un autre fondateur nous a fait dépositaires. Chargée de couronner un ouvrage utile aux mœurs, l'Académie a unanimement désigné le beau travail de M. de Beaumont, l'Irlande sociale, politique et religieuse. Il lui a paru, en effet, que jamais démonstration plus convaincante et plus utile n'avait été donnée à la plus haute morale, à celle qui commande aux nations l'humanité, la justice, le respect de la conscience et du droit. Il lui a paru également que jamais plus bel exemple n'avait été donné de la dignité humaine, et de la puissance irrésistible que la conviction peut exercer contre la force. La première de ces leçons est dans la longue série d'embarras et de périls qu'une puissante et habile nation s'était 'suscités à elle-même, par cela seul qu'elle avait été injuste, et voulait continuer de l'être. La seconde leçon morale, ou plutôt le grand spectacle dignement retracé par M. de Beaumont, c'est la persévérance, qui, faisant grandir le peuple irlandais au milieu d'une oppression inouïe, a enfin amené pour lui la paix religieuse et l'égalité civile et législative, en le rendant le libre et affectionné sujet de cet empire, dont il était depuis tant d'années l'indomptable et malheureux esclave.

Le publiciste qui, de bonne heure, épris de cette noble cause, est allé sur les lieux mêmes l'étudier, s'unir à elle, est en même temps celui qui donne à l'Irlande des conseils de modération pour que la victoire exclusive d'un culte ne se substitue pas à celle d'un autre, et que le mouvement démocratique qui précédait l'émancipation, et qui la suit encore, se modère et s'arrête à propos.

Quelles que soient les objections qu'on peut opposer parfois aux vues présentées par l'auteur, il est impossible de ne pas honorer son amour du bien, sa politique constamment généreuse, son intérêt si attentif et si tendre à la destinée du peuple dont il a peint la délivrance, et dont

il poursuit le bonheur, comme la solution du problème qu'il s'était posé. Nobles études d'un esprit actif et pénétrant, spéculations élevées, sans cesser d'être éclairées par les faits et soumises à l'expérience! En Irlande on ne voulait pas croire, tout récemment, que ce livre, où l'Irlande est peinte d'une manière si touchante et si vraie, fût l'ouvrage d'un étranger; M. de Beaumont avait prouvé par un exemple de plus que le génie communicatif de la France sait tout comprendre et tout exprimer, et que, par l'étude et la sympathie populaire, il n'est étranger nulle part. Nous devons lui en savoir gré; et l'Académie lui décerne le grand prix Montyon.

Après les ouvrages où le talent sert à recommander avec éclat, et à renouveler avec autorité quelque grande vérité morale, il n'est rien de plus digne de ces prix que les recherches judicieuses, les études approfondies et pratiques sur quelques-unes des misères humaines, et sur quelques-uns des remèdes qu'y peuvent apporter la religion, les mœurs et le travail. Là, comme ailleurs, sans doute, les livres ne font pas tout ; et il y a parfois un luxe de paroles bien stérile auprès des œuvres. Cependant de nos jours, et dans notre civilisation complexe, le bien même ne se fait pas sans la science. Deux ouvrages, sous ce rapport, ont particulièrement fixé l'attention de l'Académie. L'un, dont l'auteur est M. de la Farelle, ancien magistrat, indique, par le titre seul, une pensée utile et nouvelle, du Progrès social au profit des classes populaires non indigentes. C'est une réponse à beaucoup de déclamations et de systèmes; c'est le travail d'un esprit vraiment spéculatif, qui hait la violence, et qui voudrait voir le bien-être et la lumière s'étendre paisiblement à tous les rangs d'une société libre et gouvernée. De studieux voyages, des connaissances précises en statistique et en économie, l'enthousiasme du bien sans illusion, la

conviction sans esprit sectaire, donnent du prix à cet ouvrage. L'auteur y combat parfois une opinion qui s'annonçait de nos jours comme une religion, et qui l'était si peu qu'elle a disparu en moins de dix années. Mais il ne méconnaît pas les circonstances sociales auxquelles cette opinion avait dû naissance : les analysant avec justesse, il en trouve le correctif en elles-mêmes; et, de l'esprit d'égalité, de l'émulation pour le bien-être, de cette amélioration matérielle qui accroît et multiplie le travail, de cette amélioration morale qui seule donne du prix et de la dignité au bien-être, il fait sortir, avec le progrès des individus, la stabilité du pouvoir.

Dans cette utopie, souvent appuyée sur des chiffres, il reste beaucoup à faire, sans doute; et tout n'est pas également démontré ; mais on ne peut qu'honorer ce sage et généreux publiciste des classes populaires qui, parcourant sans cesse les lieux où elles s'instruisent, où elles souffrent, où elles travaillent, recherche tout ce qui peut les éclairer sans exalter leur orgueil, et veut améliorer à la fois leurs sentiments et leur état social. Rien de plus essentiel à cet égard que l'instruction primaire partout répandue et sagement graduée, telle que la conçoivent les pouvoirs de l'État, et telle que récemment un vote législatif vient de l'encourager avec une prodigalité judicieuse. Les bons ouvrages sur ce sujet, ceux qui sont le fruit du dévouement et de l'expérience, ne sauraient obtenir trop de faveur. C'est en ce sens que l'Académie a placé près du savant Traité de M. de la Farelle un simple Manuel de l'instruction primaire, le livre de mademoiselle Sauvan, ce livre écrit avec simplicité par une personne d'un esprit distingué, après trente ans de travaux et de vertus.

L'Académie décerne à chacun de ces deux ouvrages une médaille de 3 000 francs.

Un ouvrage également lié à l'instruction primaire, et qui la suit dans la famille pour la mettre toujours en rapport avec l'intérêt de l'État, le Cours de morale sociale par M. Dinocourt, reçoit de l'Académie une médaille de 2 000 fr., comme premier encouragement à d'utiles travaux. D'autres médailles semblables sont partagées entre des ouvrages où l'Académie a reconnu, sous des formes très-diverses, la même empreinte d'utilité morale.

Dans la Philosophie sociale de M. Hello, le sentiment et la tradition des vertus de l'ancienne magistrature se produisant avec force et gravité, dans les Mélanges littéraires de M. Gérusez, l'érudition choisie, l'élégance du style, la pureté des sentiments et du goût ont obtenu les suffrages de l'Académie; et elle a cru devoir signaler ce mérite indépendamment des autres éloges que peuvent attirer à ces deux ouvrages la science du jurisconsulte et le talent du critique.

L'histoire de France élégamment abrégée par M. Mennechet, et contenue dans les limites d'un récit intéressant et moral, a paru digne de la même distinction. Enfin l'Académie, pour être juste, a voulu récompenser le talent qu'une jeune personne, travaillant par un pieux de→ voir, a trouvé dans la pureté du sentiment filial qui la force d'écrire. Elle décerne à mademoiselle Crombach une médaille de 1 500 francs.

Sans prétendre être plus sévère sur le goût que sur la morale, l'Académie ne décernera pas cette année le prix qu'elle avait proposé depuis trois ans pour une question de littérature et d'érudition moderne, l'influence du génie espagnol sur les lettres françaises au commencement du XVIIe siècle. Un seul ouvrage remarquable lui était parvenu sur ce sujet ; et cet ouvrage, très-ingénieux dans quelques parties, était d'ailleurs incomplet et n'appré

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