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C'est dans cette pensée que, sur une part restée libre de la fondation Montyon, l'Académie a proposé un prix de 3 000 francs, pour une question qui embrasse quelques points importants de notre histoire littéraire, et d'où peuvent sortir d'utiles conseils : « Examiner quelle a été, « sur la littérature française, au commencement du « XVIIe siècle, l'influence de la littérature espagnole, et, « en général, rechercher par quel art et par quelles heu« reuses circonstances notre littérature, à diverses épo«ques, a profité du commerce des littératures étrangères, en maintenant son caractère original. »

Une autre somme de 6 000 francs est destinée à récompenser les meilleures traductions d'ouvrages de morale qui seraient publiées d'ici au 1er janvier 1839.

En même temps, Messieurs, l'Académie, attentive à maintenir ce prix d'éloquence qui fut ambitionné par des hommes illustres du dernier siècle, désire le rendre inséparable de quelques études approfondies, afin que l'ardeur sérieuse du travail mette dans nos concours cette gravité de paroles, qui vient ailleurs de la passion et de la réalité. Elle ne craint pas, dans ce but, de revenir encore à cette forme des Éloges, dont le talent a parfois abusé, mais à laquelle il est facile de rendre un caractère historique et vrai. Elle a choisi un nom plutôt respecté que célèbre, celui de Gerson, chancelier de l'Université de Paris, personnage qui eut grande autorité sur son siècle, et n'est pas indigne d'être étudié par le nôtre.

Placé dans une époque décisive pour l'esprit humain, entre la fin du moyen âge et l'essor de la renaissance, philosophe succédant aux scolastiques, réformateur orthodoxe de l'Église1, lui refusant le droit du glaive et lui

1 Protestatio super statum Ecclesiæ, Gersonii opera, edit. Antwerpiæ, 1706, t. II, p. 2.

2 De potestate ecclesiastica, t. II, p. 225.

conseillant la science et la vertu', intrépide contradicteur des puissances injustes et des préjugés funestes2, se servant de l'opinion du temps, c'est-à-dire, de l'opinion religieuse, pour flétrir, devant le peuple et dans les conciles, la doctrine tour à tour impie ou fanatique de l'assassinat politique; tantôt ambassadeur du roi de France, tantôt pauvre pèlerin cachant le reste de sa vie dans une école de faubourg, où il apprend à lire aux petits enfants du peuple, et leur répète en mourant : Priez pour l'âme du pauvre Gerson; voilà l'homme dont une biographie savante et caractérisée retrouverait les vertus, le génie, l'influence, et ferait partout connaître et applaudir le

nom.

L'Académie met cet éloge au concours, pour la date du 15 mai 1838.

Le sujet du prix de poésie, pour l'an prochain, à la même date, sera l'Arc de triomphe.

Enfin, Messieurs, l'Académie, sans se décourager, proroge jusqu'au 1er janvier 1839, le prix de 10 000 francs qu'elle avait proposé pour la meilleure tragédie en cinq actes et en vers, ou pour la meilleure comédie également en cinq actes et en vers, qui sera morale et applaudie.

p. 576.

Sermo de vita clericorum, t. II, Tractatus de Simonia, de Temperantia, de Cœlibatu. Ibid., p. 645, 634, 617.

2 De origine juris et legum, t. II, p. 256. - De erroribus circa artem magicam, t. I, p. 210. - Ibid., p. 203, 208 et 220.

De præcepto: Non occides, t. II, p. 330, 338. — Propositio facta in Concilio Constantiensi, ad condemnationem conclusionum Joannis. Ibid., p. 319 et 386.

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Dépositaire de deux grands prix, l'un pour la littérature consacrée à la morale, l'autre pour la vertu manifestée par des actes, l'Académie n'éprouve guère d'embarras que sur la destination du premier de ces prix. Les traits de dévouement et de courage ne manquent jamais dans une grande nation : c'est l'honneur, c'est le droit de l'humanité. Les bons livres, inférieurs aux bonnes actions, sont plus rares; et on ne saurait en espérer tous les ans.

L'Académie ne rencontrera pas souvent un ouvrage qui réponde tout à fait à la pensée du fondateur et à la sienne, un ouvrage où la vérité soit éloquente et populaire, qui saisisse fortement les âmes, et les entraîne vers un noble but, ou qui élève la raison publique, en la corrigeant de quelque préjugé funeste. De tels ouvrages se comptent à longs intervalles; mais, toutes les fois que le

D. M.

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bien aura été tenté, aura été voulu par l'écrivain, toutes les fois que son zèle a pour inspiration l'intérêt moral de l'homme et de la société, ses efforts méritent estime et faveur; et on doit quelquefois à de semblables écrits la même récompense qu'aux actions vertueuses.

L'Académie, cette année, Messieurs, ne décerne pas le grand prix légué par M. de Montyon; mais elle a remarqué plusieurs ouvrages, dignes de mentions et de médailles.

Le premier de ces ouvrages, qui reçoit une médaille de 4 000 francs, l'essai sur la Démocratie nouvelle, de M. Édouard Alletz, semble, par le titre et par l'honorable analogie de quelques principes, rappeler le beau travail de M. de Tocqueville, déjà couronné par le public et par l'Académie. Mais l'imitation est quelquefois un obstacle plutôt qu'un secours; et ici le nouvel auteur essayait, à quelques égards, une tâche plus difficile que celle de son éloquent devancier; car il veut nous instruire, non de l'Amérique, mais de la France. Il n'a pas, pour nous intéresser, le tableau d'un autre monde, et le curieux contraste de mœurs étrangères. C'est notre état social, nos propres idées, nous-mêmes qu'il entreprend d'analyser à nos yeux. Il se fait notre interprète dans notre pays même, et notre traducteur dans notre propre langue.

Quelles que soient la candeur et la sagacité qu'on apporte à une œuvre semblable, on doit y rencontrer bien des contradicteurs. État politique, état moral, lois, enseignement public, littérature, société, famille, M. Alletz a tout jugé, ou du moins parlé de tout. Il décrit ce qui change encore; il approuve ce qui n'est pas achevé ; iì blâme quelquefois ce qu'il ne connaît pas assez : car qui peut tout connaître ? Il substitue souvent à la réalité les illusions d'un cœur honnête. Mais il a deux mérites in

contestables: en politique, il aime sincèrement les institutions de son pays, et ne se propose d'autre utopie que leur affermissement et leur progrès; en morale, il est sévère sans amertume, et vrai sans satire. On ne peut pas toujours partager ses vues: on l'estimera d'avoir offert à la France ce portrait d'elle-même, bienveillant, mais non flatté, souvent inexact, mais sincère. On en détachera çà et là quelques vérités toujours utiles à redire sur les droits du jury, sur l'action indispensable de la presse et le bienfait de la publicité. On lui saura gré de n'avoir jamais séparé la morale de la religion et de la liberté, c'est-à-dire de la sanction qui la couronne, et de l'épreuve qui l'ennoblit encore.

Ces motifs ont déterminé l'Académie à distinguer honorablement un ouvrage dont la lecture ne peut exciter dans les âmes que l'émulation du bien, et le sentiment des devoirs privés et publics.

Les livres qui entretiennent de telles pensées sont le meilleur correctif de cette licence d'imagination que M. Alletz reproche à notre temps, et qu'il explique par le scepticisme et l'amour-propre, en la nommant assez bien une terrible manière de faire du bruit.

Opposer à cet abus du talent un talent égal, consacré par un plus noble usage, serait un difficile effort; mais quelquefois les faits eux-mêmes viennent aider et élever l'écrivain.

Il est des souvenirs historiques, des événements, des personnages qu'il suffit de reproduire, ou plutôt de dévoiler fidèlement à nos yeux, pour porter dans les âmes une impression de grandeur morale et une salutaire admiration de la vertu.

A ce titre, un livre d'histoire, et d'histoire contemporaine, a particulièrement occupé les débats de l'Académie; c'est la vie d'un pontife, du pape Pie VII: et l'Aca

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