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du barreau, du théâtre. Ces genres si divers se touchent et se réunissent. Ce mélange même est le caractère de l'Académie. Chacune de nos pertes, comme chacun de nos choix, nous en avertit. Naguère nous a été enlevé un orateur, dont la parole grave, élevée, morale, après avoir longtemps retenti dans les assemblées de la nation, se faisait écouter, avec un charme instructif, au milieu de nos paisibles séances, homme de bien et d'éloquence, qui fut respecté dans la retraite, et même dans le pouvoir. Qui nous rendra M. Lainé!

Que nos regrets du moins lui soient offerts! et qu'on nous pardonne d'avoir saisi cette première occasion publique d'honorer sa mémoire, et de rendre un hommage impartial à sa tombe si récente et si modeste.

D. M.

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L'Académie décerne enfin le prix annoncé dès 1831, pour le meilleur Discours sur le courage civil. Elle se console aisément du retard, en pensant que si les paroles se sont fait attendre, les actes, ce qui vaut mieux, n'ont pas manqué, et qu'à défaut d'un bon éloge du courage civil, la France en a, depuis cinq ans, donné beaucoup d'exemples. Mais ces temps de crise et de lutte, qui font ressortir des vertus qu'ils rendent nécessaires, ne sont pas favorables pour en disserter paisiblement; et l'Académie, en proposant un tel sujet, avait anticipé d'un peu loin sur l'époque de calme et de loisir où les esprits pourraient s'en occuper.

Elle ne regrette pas cependant d'avoir offert ce texte à la réflexion. Les lettres sont la philosophie de la politique. Elles doivent nous distraire de ses passions, et épurer ses principes. Mais cette œuvre, qui plaît à la conscience, est fort délicate pour le goût. En touchant certaines vérités sociales, à la fois mal comprises et très-re

battues, on est exposé à la facilité du lieu commun; et il fallait aux jeunes concurrents beaucoup d'esprit et de talent, seulement pour n'être pas déclamateurs.

Ce mérite a frappé l'Académie dans quelques-uns des nombreux ouvrages envoyés au concours. Dans le no 34, portant pour épigraphe cette pensée de Cicéron: Le vrai courage, c'est l'énergie combattant pour l'équité, elle a remarqué des exemples bien choisis et sentis avec âme, surtout l'exemple de Malesherbes, cet invariable apôtre de la liberté, mort martyr de la royauté malheureuse; Malesherbes, qui parcourut tous les degrés du courage civil, dans l'opposition, dans le ministère, dans la retraite et sur l'échafaud. L'auteur l'a dignement loué.

Un autre discours plus méthodique et plus nerveux, le n° 29, s'est encore approché davantage de notre temps. On y touche aux passions de la veille et du jour; on y agite des noms qui appartiennent à la polémique plutôt qu'à l'histoire. Il a paru aussi que l'écrivain, malgré la précision habituelle de ses pensées et de son style, montrait quelque indécision de principes; que, dans l'affectation d'un scepticisme un peu chagrin, il ne distinguait pas assez le courage civil de la passion politique, ou plutôt qu'il avait fait quelquefois du courage civil une des formes de l'esprit de faction, au lieu d'y voir la vertu qui modère et surmonte les factions mêmes.

L'Académie mentionne honorablement ces deux dis

cours.

D'autres mérites, et surtout une grande pureté de sentiment moral, une candeur qui n'est pas sans éloquence, ont désigné pour le prix le n° 37, inscrit sous ces mots de M. Dupin: L'Hôpital est parmi nous le modèle le plus parfait du courage civil. L'auteur est M. Pros per Faugère. L'ouvrage forme un dialogue où paraît surtout le chancelier de l'Hôpital.

Peut-être verra-t-on dans ce cadre, et surtout dans cette date, un moyen d'échapper à plusieurs difficultés du sujet, et de rejeter la leçon dans un lointain plus commode pour l'auteur et pour les juges.

Déjà, dans une autre année, un des concurrents avait traité la même question, en prenant pour interlocuteurs Cicéron et Brutus. C'était aussi remonter trop loin, et renoncer à la plus belle moitié du sujet, le monde moderne et chrétien, notre magistrature et nos communes.

Le jeune auteur qui s'arrête au chancelier de l'Hôpital garde une plus belle part. Il trouve, parmi les fortes vertus d'un siècle orageux, d'éclatants modèles du courage civil, dans le guerrier, le ministre, le magistrat, le prêtre; il a toutes nos passions politiques, sous la forme religieuse, et jusqu'à la république sous le nom d'hérésie. Il a la liberté à reconnaître et à défendre sous le nom de tolérance; et s'il s'est privé de grands exemples plus récents, il y gagne, en revanche, cette impartialité d'éloge et de blâme, que le temps seul peut donner.

L'auteur, du reste, en appuyant sa fiction sur quelques circonstances historiques peu connues et bien choisies, a placé avec art le chancelier de l'Hôpital en face de Montaigne, l'homme de bien actif, le philosophe militant, près du rêveur paisible; et alentour il a réuni, par de précieux détails, quelques noms oubliés qui méritent la gloire, et quelques vertus s'ignorant ellesmêmes, qui s'animent à la voix des deux sages.

Il a particulièrement fait sentir que le courage civil appartient à toutes les conditions comme à tous les temps; que ce n'est pas un ornement des grands jours, mais une vertu de pratique et d'usage, qui trouve partout sa place, et à laquelle chacun peut prétendre, depuis le juge de village jusqu'au roi : car le devoir est à la portée de tous.

En couronnant cet ouvrage, plus moral que politique, et politique par cela même, l'Académie est fidèle à l'esprit qui la dirige dans les nombreux concours dont elle est juge. Elle n'élève pas une tribune de plus au milieu de celles qu'a établies la loi; mais elle admet, elle appelle, sous le point de vue philosophique, toutes les questions, toutes les idées qui sont l'entretien d'une société libre. La morale des nations, en effet, se compose en grande partie du degré de liberté dont elles jouissent.

On ne s'étonnera donc pas que l'Académie, chargée par la munificence d'un généreux citoyen de distribuer des prix pour les ouvrages les plus utiles aux mœurs, étende insensiblement le cercle de cette expression, et y comprenne tous les nobles produits de la pensée.

Dans notre civilisation, les idées d'un peuple, sous leurs formes les plus diverses, sa philosophie et ses romans, ont une grande influence sur ses mœurs. Sa littérature est son enseignement de chaque jour, enseignement corrupteur ou salutaire, suivant qu'il flattera l'imagination par les sens, ou qu'il fortifiera l'àme par la réflexion. Dans l'instabilité des esprits, tout ouvrage sérieux qui se fait lire, tout travail instructif et sévère qui apprend à juger, ou seulement à réfléchir sur les vérités sociales, est utile aux mœurs publiques, et réalise, sans l'exagérer, la pensée du fondateur de ces prix.

Sous ce rapport, Messieurs, l'Académie, après un long examen, n'a point hésité à réserver, pour le grand prix Montyon, un travail en apparence tout critique, une étude de législation et d'histoire, étrangère à notre pays, le livre de la Démocratie en Amérique, par M. de Tocqueville.

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