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restait que les travaux de la science, la carte du pays, copie des monuments. On voulut au moins ne laisser perdre aucun de ces signes précieux de notre passage en Égypte.

Les hommes distingués auxquels ce soin était commis vous désignèrent, par un suffrage unanime, pour tracer le frontispice du temple qu'ils élevaient à la gloire des sciences et de la patrie. De là ce discours sur l'Égypte, exposition éloquente et rapide, où sont réunis à grands traits les événements de l'histoire, les observations de la science, les vues de la politique. Vous invoquez à la fois l'autorité des âges et les spéculations du génie. Vous montrez saint Louis, âme sublime dans un siècle barbare, qui, devançant la civilisation par l'enthousiasme, aspire à la conquête de l'Égypte, et remplit tout l'Orient de la gloire de ses infortunes et de la nouveauté de son héroïsme. Vous montrez, dans le siècle des arts, le grand Leibnitz proposant l'Égypte à Louis XIV, et traçant pour ce prince le plan de l'invasion que le courage français accomplit dans notre ère nouvelle.

Éclairé par cette glorieuse expérience, vous jetez de grandes lumières sur les entreprises que pourrait essayer l'Europe pour humaniser l'Orient. Là se trouvent quelques-unes de ces hautes idées auxquelles vous avez donné tout à l'heure une élévation et une énergie nouvelle. On aime à voir ainsi la supériorité de la raison venir à l'appui des espérances généreuses, et le savoir justifier l'enthousiasme.

Oh! si le génie de l'Europe pouvait enfin pénétrer dans ces beaux climats de l'Orient, non pour opprimer, mais pour secourir; comme elles se relèveraient ces races déchues, mais chrétiennes, Oasis vivantes au milieu du désert de la tyrannie turque, peuplades infortunées que depuis tant de siècles l'Évangile réserve et prépare au bienfait de la civilisation et de la liberté! Ce sont là,

peut-être, les conquêtes et les colonies laissées à notre âge. Le monde est parcouru. Il n'y a plus de nouveau continent à découvrir; mais il y a près de nous des contrées, mortes par la barbarie, à faire renaître par le commerce, la justice et les arts; c'est là que l'Europe doit s'indemniser d'avoir perdu l'Amérique.

Je m'attache, Monsieur, à ce caractère élevé, à ces grandes vues que tout le monde peut reconnaître dans vos ouvrages. Une autre partie de votre gloire m'échappe, mais vos juges naturels ont placé vos théories dans le rang de celles qui joignent la nouveauté de l'analyse à la grandeur des résultats. En portant l'application des lois mathématiques sur un nouvel ordre de phénomènes, vous avez, disent les savants, ajouté à la science; et nous éprouvons tous que votre esprit lui prête la plus lumineuse clarté.

Depuis votre retour en France, ces hautes méditations furent souvent mêlées pour vous au soin des affaires et à l'embarras des devoirs publics. Préfet de Grenoble pendant quatorze années, votre administration active et sage ne parut pas souffrir des distractions solitaires de la science; et elle en profita même quelquefois. De grands travaux publics achevés par vous, des marais desséchés, des terres rendues à la culture, la richesse et la salubrité du pays s'augmentant à la fois, ce sont là des titres, Monsieur, qui feront longtemps honorer votre nom dans les industrieux cantons de l'Isère.

Aussi, dans des temps difficiles, les plus honorables témoignages vous furent décernés par toutes les opinions. En vous, l'homme sage et bienveillant, le magistrat intègre et modéré obtenait autant d'estime que le savant illustre mérite d'admiration.

Continuez, Monsieur, dans la retraite, à cultiver ces hautes sciences qui font votre gloire, sans négliger les

D. M.

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lettres que vous aimez, et dont vous avez aussi le génie. Vous les servez, vous les honorez également par ces beaux éloges académiques, où, plus simple que Fontenelle, vous n'avez pas moins de grâce et de finesse. Rappellerai-je votre éloge d'Herschell, monument d'une éloquence inspirée par ces grandes découvertes qui sont le sublime de la science? Si, comme vous le dites, en parlant de cet illustre étranger, il n'a été donné à aucun homme de faire connaître aux autres un aussi grand nombre d'astres nouveaux, jamais ce magnifique présent du génie n'aura été plus dignement célébré. Vos regards savants pénètrent jusqu'aux limites de notre système planétaire, au delà duquel il découvrit une autre création, une autre science, et tout un infini de nouveaux univers; et redescendant de ces spéculations célestes, pour vous arrêter à peindre l'âme irréprochable, les jours paisibles et la douce famille d'Herschell, vous nous faites dire que la vertu vaut le génie, dans ce qu'il a de plus grand, et qu'une vie pure n'est pas moins belle à contempler que la splendeur des cieux. La même philosophie anime vos éloges du célèbre Delambre et de Bréguet, qui fut un grand artiste et un sage. Continuez, Monsieur, ces nobles travaux ; notre siècle est fait pour vous entendre.

Une sage indépendance élève les esprits; l'émulation est dans la société, la vertu sur le trône. Un prince, dont les inspirations naturelles sont toujours confiantes et généreuses, a marqué les premiers temps de son règne par l'affermissement de ce droit d'écrire, et de publier ce qu'on pense, bienfait irrévocable de deux monarques, institution royale et populaire que personne ne pourra désormais arracher à la France! Ainsi puissent les sciences et les lettres longtemps fleurir par la plus belle des protections, la liberté publique!

NOTES.

NOTE A.

On aurait pu facilement étendre cette liste. Beaucoup d'hommes associés à l'expédition d'Égypte sont encore aujourd'hui l'honneur des sciences. Il suffit d'indiquer MM. Geoffroy Saint-Hilaire, Girard, Cordier, Savigny, Jomard. Un administrateur éclairé, M. de Chabrol, servait en Égypte comme ingénieur. Les Desgeneltes, les Dubois, les Larrey commencèrent là leur grande réputation. Des officiers supérieurs et des généraux, les Caffarelli, les Andréossy, cultivaient les sciences, et mêlaient leurs observations à celles des savants les plus célèbres. Sous ce rapport, rien n'est plus curieux que la collection des Mémoires de l'Institut d'Égypte, imprimés au Caire.

Mais parmi tous les savants coopérateurs de l'expédition d'Égypte, il en est un que la reconnaissance de l'armée avait particulièrement distingué; c'est Conté, génie inventeur qui trouvait, par son industrie merveilleuse, autant d'expédients et de ressources, que l'armée éprouvait de besoins.

Dans les premiers jours de l'expédition, les soldats regardaient avec un peu de dérision ce cortége de savants dont ils étaient accompagnés. Dans leurs plaisanteries militaires, ils donnaient même un nom si respectable à cet animal utile et dédaigné dont il est fait grand usage en Égypte. Chaque soldat appelait son âne un savant. Mais bientôt ils revinrent de ce grossier dédain, et comprirent les grands égards que leur général avait pour de si précieux auxiliaires. Conté n'avait d'autre titre que chef des aérostiers; mais ses services furent immenses, et s'appliquaient à tout.

Cet homme, privé d'un œil qu'il avait perdu dans une expérience chimique, était, au milieu de l'Égypte redevenue barbare, un véritable Hermès Trismégiste, qui semblait créer tous les arts. Dès le commencement de l'expédition, si l'on avait cru son avis, il eût, par l'établissement d'une ligne de télégraphes, prévenu la surprise et le désastre de la flotte française dans la rade d'Aboukir; mais il sauva du moins Alexandrie.

Bientôt après, il établit des ateliers au Caire. La révolte de cette

ville ayant fait tomber aux mains des Turcs tous les instruinents que l'on avait apportés d'Europe, il en fabriqua de nouveaux, et fit à la fois les outils et les ouvrages de presque tous les métiers. Il établit des moulins, des fonderies, des fabriques d'acier et de toile. Dans ses ateliers, pour ainsi dire encyclopédiques, il faisait fabriquer des canons, des sabres, des instruments de chirurgie et de mathématiques, des lunettes, des loupes, des crayons, des trompettes, tout ce qu'il fallait enfin et aux besoins du soldat et aux recherches du savant. Il employait des naturels du pays à tous ces travaux. Il perfectionnait quelques grossières industries en usage chez eux, et leur apprenait à mieux faire le pain, en même temps qu'il les frappait d'admiration par le spectacle magique des aérostats.

Après la bataille d'Héliopolis, quand l'Égypte, bloquée par les Anglais, se trouva privée de tout commerce, il fabriqua des draps pour habiller les troupes et les habitants.

Mille recherches curieuses sur l'état du pays se mêlaient à tant de travaux. La droiture et les nobles qualités de cet homme si rare augmentaient encore l'admiration qu'il inspirait et les regrets qui suivirent sa perte. Conté mourut le 6 décembre 1805, quatre ans après son retour d'Égypte.

NOTE B.

Par une fatalité singulière, Desaix fut tué à Marengo le même jour et presqu'à la même heure où Kléber était assassiné sur la terrasse de la maison qu'il occupait au Caire. Ce fut le 14 juin 1800. Ces deux grands capitaines appartiennent à cette première école de généraux français qui, nés de la révolution, gardèrent dans les camps l'esprit de liberté. A la tête de tous, il faut nommer le général Hoche, si grand sur le champ de bataille, si généreux même dans la guerre civile, proscrit plus d'une fois par les chefs de la révolution, et se vengeant de chaque persécution par d'immortelles victoires. Là se place aussi le jeune et intrépide Marceau, que Kléber aima d'une vive amitié, et dont il dessina le monument funèbre. Le caractère commun de ces hommes n'était pas seulement le mépris du danger et l'instinct de la guerre, c'était surtout une sorte d'élévation humaine et patriotique, un amour de la France pour elle-même, un enthousiasme de liberté sans fureur politique, un désintéressement admirable et qui dédaignait à la fois le pouvoir et la richesse. L'histoire de ces grands capitaines morts trop tôt est signalée par une foule de traits qui feraient honneur aux vies de Plutarque.

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