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aux entreprises et aux travaux de ces années historiques auxquelles nous touchons encore.

Vous étiez de cette expédition d'Égypte, brillant épisode de gloire, qui jette une sorte de merveilleux sur les annales trop sanglantes de notre âge. On vous distinguait dans cette colonie savante qui vint s'embarquer à Toulon, sur une flotte de guerre, pour des périls in

connus.

Vous quittiez une des chaires de l'École polytechnique, alors naissante, si célèbre depuis, et qui soutient maintenant sa renommée, sous la protection d'un prince, appui du trône et cher à la patrie. Votre âme et celles de vos généreux compagnons n'étaient ouvertes qu'à l'enthousiasme de la science; mais dans le mouvement du monde, la science alors devenait aventureuse comme la guerre ; et, tandis que le jeune vainqueur d'Italie, naviguant vers l'Egypte, dévorait en espérance la conquête de tout l'Orient, sur le même vaisseau, de jeunes ambitieux d'une autre espèce rêvaient mille découvertes et la conquête de mille vérités nouvelles.

Moments rapides d'ivresse et de bonheur ! sublimes émotions que devaient suivre tant de souffrances! Faut-il en retracer l'image? Peut-on, Monsieur, parler après vous de cette Égypte, où tous les grands dominateurs des nations, Alexandre, César, Bonaparte, ont voulu passer tour à tour, comme par un instinct de gloire, qui leur disait que cette contrée fameuse donnerait à leurs exploits quelque chose de l'éternité de ses monuments?

Journées des Pyramides et du mont Thabor, bataille d'Héliopolis, et vous, Kléber, Desaix, vainqueurs désintéressés, grands hommes qui ne souhaitiez pas d'être dictateurs, vos noms ne s'effaceront jamais dans le souvenir d'un peuple ami de la gloire et fait pour elle !

Mais, parmi ces trophées de la vertu militaire, com

bien fut belle l'activité des sciences! combien leur génie parut-il secourable ! Après la soumission d'Alexandrie et du Caire, ce furent les sciences qui, par des procédés habiles et d'heureuses inventions, luttèrent contre les dangers d'un climat nouveau, les innombrables besoins d'une armée exilée dans sa conquête, et tous les obstacles réunis de la barbarie et de la guerre.

Les Berthollet, les Monge, les Conté1, les Malus, et d'autres que nous possédons encore, faisaient servir les connaissances les plus hautes à tous les arts utiles à la vie. On apprenait aux habitants à mieux distribuer le cours du Nil et à moudre plus rapidement le blé des moissons qu'il fait éclore. La capitale des Mameloucks recevait, comme par enchantement, les ingénieuses machines et les industries de l'Europe. A côté d'une poudrière et d'une fabrique d'armes s'élevait une imprimerie, comme si la civilisation, conduite par la guerre, eût voulu attaquer de toutes parts la barbarie musul

mane.

Sans indiquer votre utile concours à tous ces travaux, il suffit, Monsieur, de rappeler que vous fûtes alors, par le choix de vos collègues, nommé secrétaire de l'Institut d'Égypte, de cette création célèbre qui marque si bien le génie français, son amour des arts et sa confiance dans l'avenir. Vous y lisiez de savants mémoires, comme un poëte 2, encore aujourd'hui votre collègue, y récita plus d'une fois de beaux vers inspirés par la muse du Tasse et le ciel d'Orient.

Des soins politiques se mêlaient à vos études; une rapide intelligence de la langue arabe, l'art de communiquer avec les hommes, et cette urbanité, dont l'influence

Voir à la fin du Discours, note A.

* M. Parseval Grandmaison.

est sentie même des barbares, vous fit choisir pour être le commissaire de l'armée française auprès d'un divan formé des principaux ulémas de la ville du Caire. Pendant l'expédition de Syrie et l'absence du chef suprême, votre pouvoir s'accrut encore; et le secrétaire d'une Académie des sciences se trouva presque le gouverneur d'une moitié de l'Égypte; singularité qui ne devait pas surprendre, dans une époque où l'ambitieuse politique du conquérant inscrivait en tête de ses proclamations et de ses lettres : « Membre de l'Institut et général de l'armée française en Orient. »

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Plus tard, on vous confia dans l'Égypte l'administration de la justice, ce bien que tous les peuples comprennent, lors même qu'ils en sont privés; et ces Orientaux si malheureux éprouvèrent, au milieu de la guerre, le bienfait des lois. On venait du fond des Oasis de Libye demander justice au Caire, occupé par les Français.

Avant cette époque, vous aviez déjà pris part à ces nobles excursions que le zèle de la science tenta dans la haute Égypte, vers les ruines magnifiques de Thèbes; et vous fûtes le témoin ou l'auxiliaire de tant de découvertes conquises, pour ainsi dire, sur l'ennemi, dans ces courses périlleuses, où le géomètre, l'artiste, l'élève de Buffon calculaient les grandeurs, dessinaient les monuments, observaient la nature à la faveur d'une victoire, ou dans l'intervalle de deux combats.

Associé à tant de savants illustres, dont plusieurs furent martyrs de la science, vous avez, en remontant le cours du Nil, visité l'île mystérieuse d'Éléphantine, et recueilli, sur le lieu même, les impressions si vives dont vous avez plus tard animé vos récits.

On doit regretter que vous ne les ayez pas réunies toutes dans un ouvrage complet et détaillé. Cette gloire n'appartenait à personne mieux qu'à vous, dont l'élo

quence noble et simple servit d'interprète aux sentiments de vos concitoyens en Égypte. Dans les grandes douleurs qui frappèrent plus d'une fois cette vaillante armée, dans les pertes trop cruelles qu'elle eut à déplorer, c'était vous en effet, Monsieur, dont elle empruntait le secours.

Que ne puis-je, en quelques mots, ressusciter ces grandes scènes qu'anima votre voix ! L'armée française, abandonnée de son premier géneral et décimée par tant de victoires, avait capitulé par la main de Kléber; elle cédait toutes ses conquêtes, depuis les ports de la mer Rouge jusqu'à Damiette, antique rançon d'un roi de France; elle se retirait du Caire, et ne stipulait que son passage libre pour revenir en Europe. Mais cette promesse est tout à coup violée, et la captivité seule est offerte aux Français. Par une trahison calculée on leur ferme la mer, tandis qu'une grande armée musulmane, envahissant tout le pays qu'ils ont rendu, ne leur laisse plus d'asile que les sables du désert.

Forcé de combattre alors, Kléber, ramassant tous ses soldats, jusqu'aux vétérans mutilés, disperse les hordes nombreuses du grand vizir, le fait fuir par delà le Saïd, et du champ de bataille où il a vaincu, recommence en quelques jours la conquête de toute l'Égypte, dont il avait trop vite consenti l'abandon; mais il meurt assassiné au comble de la gloire.

Tous les Français vainqueurs, et délaissés par sa mort, conduisirent au lieu funèbre les restes inanimés du héros. A leur suite s'avançaient les chrétiens d'Égypte et de Syrie, les évêques, les prêtres et la légion grecque pleurant un libérateur : les musulmans même honoraient en lui cette clémence inconnue dans l'Orient. Alors, du haut d'un bastion, naguère enlevé par nos armes, ayant près de vous la ville du Caire, à demi sauvée des flammes, et sous vos yeux cette héroïque armée, qui serrait autour de

vous ses rangs trop peu nombreux, votre voix célébra dignement le vainqueur de Maëstricht et d'Héliopolis. Puissant panégyrique! grande et noble éloquence, qui redoublait au cœur des Français le courage de vaincre, et sur cette terre lointaine et barbare leur faisait sentir encore la patrie!

Quand votre bouche, en attestant les regrets des soldats, fit entendre ces mots : « Je vous prends à témoin, « intrépide cavalerie, qui accourûtes, pour le sauver, sur « les hauteurs de Coraïm, » l'armée entière se troubla en agitant ses étendards, et vous demeurâtes longtemps interrompu par le bruit des armes et le frémissement de tant de soldats en pleurs.

Deux mois après cette triste solennité, on apprit au Caire le destin du généreux Desaix, qui, récemment parti d'Égypte, avait déjà trouvé la mort et donné la victoire dans les plaines d'Italie1. Orateur de l'armée d'Orient, votre voix célébra la mémoire de Desaix au même lieu où vous aviez honoré les restes de Kléber. Des bords du Nil aux champs de Marengo, les armées de la France se communiquaient leur deuil et leur gloire.

Vos discours, alors si puissants sur les âmes, n'ont rien perdu après tant d'années; et lorsque, de nos jours, une noble pensée du roi, fondateur de la Charte, fit élever un tombeau à Kléber, dans sa ville natale, on ne trouva pas de plus belle consécration pour cette fête funèbre, que de répéter vos paroles au pied du monument.

Retenu en Égypte jusqu'au terme de l'expédition, éloquent témoin des derniers malheurs de l'armée, vous revites enfin la France avec le petit nombre de savants et de guerriers échappés à cette dévorante épreuve. D'une conquête si hardie, de tant de combats et de gloire, il ne

Voir à la fin du Discours, note B.

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