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son style, par cette poésie naturelle avec art, correçte avec nouveauté, qui reproduisait la ressemblance, et non pas l'imitation des modèles. Dans son éloquence, dont les formes faciles et pures annonçaient une langue si polie, il avait mêlé quelque chose de poétique et d'élevé, qui rappelait les grands orateurs sacrés du XVIIe siècle. Ses vers, d'un tour noble, harmonieux, concis, se portaient naturellement sur les pensées religieuses; ils en recevaient l'inspiration. Majestueuse et rapide dans l'épître où il a célébré l'éloquence des Livres saints, cette inspiration est attendrissante et naïve dans le poëme de la Chartreuse; une tristesse pleine de douceur et de poésie anime cette espèce d'élégie: la mélodie des paroles s'y confond avec l'émotion de l'âme; et on croit entendre au loin quelques sons à peine affaiblis de la lyre de Racine.

M. de Fontanes travaillait avec soin ses beaux vers; un goût difficile l'a ramené sur plusieurs ouvrages de sa jeunesse, qu'il a refaits et embellis. Souvent il se plaisait à lutter contre les poëtes de l'antiquité; et ses fragments de traduction sont des chefs-d'œuvre dont il n'a pas toujours réclamé la gloire. Combien ne devait-on pas espérer que ses loisirs donneraient encore d'heureux fruits pour les lettres! il avait lu dans vos séances des odes dont l'élévation et l'harmonie rappellent l'école de Rousseau. On savait qu'il avait souvent repris avec ardeur l'entreprise d'un poëme sur la Grèce délivrée; sujet d'un favorable augure pour les amis de la gloire et des arts. Plusieurs chants étaient achevés avec cette perfection de détails qu'il ne séparait pas de l'imagination poétique.

Il était plus que jamais préoccupé par la passion de l'étude et par la verve du talent. Cette impression répandait sur ses entretiens et dans tous les traits de son caractère un charme d'enthousiasme, de naturel et de

bonté, qui lui était particulier. On voyait de toutes parts en lui l'homme supérieur et l'excellent homme. On voyait une âme dont tous les sentiments étaient généreux et rapides comme les instincts mêmes du talent. Jamais on ne réunit à plus de vivacité une tolérance plus aimable. Personne ne concevait mieux toutes les opinions désintéressées et sincères. Personne n'appréciait davantage la fidélité à d'autres amitiés que la sienne. Mais surtout quelle grâce et quel feu dans ses discours, lorsqu'il parlait des grands modèles de notre admirable littérature ! quel sentiment délicat! quelles ingénieuses applications de leurs beautés! quelle mémoire éloquente!

Pardonnez, Messieurs, ce langage; il n'y a pas longtemps que la voix de M. de Fontanes était encore tout animée de cette chaleur et de cet enthousiasme. Même après la première atteinte d'un mal funeste, ses amis l'ont vu libre d'inquiétudes, rendu tout entier à la vie, revenant à ses souvenirs de littérature et d'éloquence, et l'âme ardente, attentive, récitant quelques vers de nos grands poëtes, dont son imagination était sans cesse entretenue. Il allait publier un de ses premiers ouvrages qu'il avait revu avec tout l'effort et toute l'expérience du talent, et qui devait soutenir une honorable rivalité. Son imagination était tout occupée de ces heureuses et paisibles idées qu'inspirent les lettres. Hélas! l'ouvrage qu'il venait d'achever devait paraître trop tard pour lui-même; et cet heureux retour vers les poétiques inspirations de sa jeunesse avait été son dernier adieu à la vie ! Une entière sécurité de quelques heures fut suivie d'un danger sans espérance; et, au milieu des promesses divines de la religion, ses dernières pensées obscurcies des ombres de la mort n'eurent que peu de temps pour s'arrêter sur la douleur de sa respectable épouse, et de sa fille qu'il léguait en mourant à l'auguste intérêt du roi.

Perte cruelle pour l'amitié, pour les lettres, et surtout pour ceux à qui M. de Fontanes accordait cette estime invariable et cette active bonté que rien ne remplace dans la vie! Puissent du moins les regrets publics s'attacher longtemps à une si honorable mémoire, et récompenser ainsi ce beau caractère dont toutes les vertus étaient des mouvements de cœur, et ce beau talent que l'on doit admirer comme un modèle de goût et d'élévation, ou plutôt qu'il faut pleurer maintenant, puisqu'il était l'expression et la vive image de celui que nous avons perdu, de cette âme si bienveillante, si généreuse, si supérieure à l'envie, et si naturellement passionnée pour tout ce qu'il y a de grand et de bon sur la terre.

RÉPONSE

AU DISCOURS DE M. DACIER

LE JOUR DE SA RÉCEPTION

A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

Appelé à l'honneur de recevoir dans l'Académie l'un des plus vénérables représentants de l'érudition littéraire, je n'éprouve ni l'embarras ni le besoin de préparer avec art un de ces éloges publics et solennels dont l'usage est un peu ancien parmi nous, et que la vérité même ne sauve pas toujours de la monotonie. Quatrevingts ans d'une vie honorable et pure, incessamment occupée par l'étude, dévouée tout à la fois à l'amour des lettres, et à l'encouragement, à la gloire de ceux qui les cultivent; voilà ce qui rend inutile envers vous, Monsieur, tout langage flatteur, et ce qui ne permet, dans ma bouche surtout, que l'expression mesurée du respect. Les louanges passagères sont la palme et l'ambition du jeune homme; l'estime publique est la couronne du vieillard. Que pourrais-je vous dire, Monsieur, qui valût ce témoignage universel et paisible d'une considération lentement acquise par de nobles travaux, et consacrée sur votre tête par l'épreuve de l'âge et du temps? Votre réputation date déjà d'un autre siècle; et l'auteur du Voyage

d'Anacharsis, le vertueux, le savant, l'ingénieux Barthélemy, frappé de retrouver en vous ce mélange d'érudition et d'urbanité dont il était lui-même le modèle, vous nommait, il y a plus de trente ans, à cette même place, où les suffrages d'une autre génération vous appellent aujourd'hui. Ainsi, Monsieur, vous ne pouvez dire, comme un célèbre Romain, d'une humeur un peu chagrine, que l'on est malheureux d'avoir pour juges de ses actions des hommes qui n'étaient pas nés quand on les a faites. Vous éprouvez, au contraire, que les bons écrits, qui sont les actions de l'homme de lettres, ne vieillissent pas dans la mémoire, et forment une recommandation toujours contemporaine, et des titres toujours présents.

Les vôtres, Monsieur, s'ils ont commencé à une époque déjà bien loin de nous, se sont jusqu'à ce moment même entretenus et renouvelés sans cesse par de rapides et intéressantes productions, où se conserve toujours le précieux caractère qui marqua vos premiers travaux, la connaissance profonde, le sentiment vrai de l'antiquité, surtout de cette antiquité grecque, la mère de tous les arts et la source des plus vives lumières qui aient éclairé l'esprit humain.

Cette heureuse prédilection, ce culte du bon goût qui vous dicta, dès la jeunesse, l'élégante traduction du plus naturel et du plus pur des écrivains attiques, semblait, il y a peu de temps encore, vous inspirer une véritable éloquence, lorsque, rendant hommage à la mémoire de l'un des plus fervents adorateurs de la Grèce, de M. de Choiseul-Gouffier, vous partagiez l'enthousiasme exprimé dans son ouvrage. Avec quelle force, Monsieur, avec quelle jeunesse de pinceau, pardonnez-moi cette expression, n'avez-vous pas représenté ce digne et fidèle amant de tous les beaux souvenirs, parcourant, plein d'une religieuse douleur, le territoire asservi du Péloponèse,

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