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En gardant ce juste respect aux rois vaincus par nos armes, M. de Fontanes, dans plusieurs occasions, ne défendit pas avec moins de noblesse la dignité du Corps législatif, dont chaque triomphe nouveau resserrait aussi les chaînes. Je parle de la dignité, Messieurs; car, depuis longtemps, la liberté n'était plus. La jalousie du pouvoir s'augmentant chaque jour, elle en vint jusqu'à contester au Corps législatif le titre qu'il portait, et à déclarer que les députés de la France, sans mission et sans droit, n'occupaient que le quatrième rang dans les conseils du souverain. La réponse de M. de Fontanes est remarquable, Messieurs, et ne sera pas oubliée par l'histoire. Après l'avoir prononcée, il ne garda pas longtemps le privilége de parler au nom des représentants de la nation; mais du moins il n'avait pas laissé avilir dans ses mains le faible et dernier simulacre de ces libertés publiques qui, plus tard, ranimées par l'excès de nos malheurs, devaient dans la même assemblée retrouver des voix généreuses pour avertir le despotisme de ses dernières fautes et commencer le salut de la France.

M. de Fontanes, dont le rare talent inspirait l'estime lors même qu'il pouvait déplaire, avait été appelé à la direction suprême de l'enseignement par un pouvoir qui savait habilement employer des hommes honorables dans l'intérêt de sa grandeur. Je ne serai démenti par personne, en disant, Messieurs, que ce choix parut alors à tous les pères de famille un heureux événement. M. de Fontanes avait une tâche consolante et laborieuse, beaucoup de mal à prévenir, beaucoup de mal à réparer. Que d'ordres rigoureux n'a-t-il pas adoucis! quelle autorité salutaire n'a-t-il pas exercée! Cette unité despotique qui enlevait les enfants à leurs familles, cet envahissement des esprits par l'éducation, furent heureusement corrigés sous la main prudente et paternelle de M. de Fontanes.

L'Université naissante reçut dans ses premières dignités académiques une réunion d'hommes distingués, dont la plupart, Messieurs, appartenaient à vos rangs. M. de Fontanes ne fit ou ne désigna que des choix estimables; il en arracha quelques-uns: le dernier chef de l'école religieuse qu'illustra Fénelon fut appelé dans le conseil de l'Université; il y retrouva le peintre élégant et fidèle de Fénelon, et l'éloquent auteur de l'Essai sur le Divorce. Des noms éminents dans les sciences naturelles et mathématiques, des hommes distingués par la connaissance des lois, des écrivains célèbres y représentaient toutes les parties de l'enseignement.

A la même époque commencèrent, sous l'inspiration de M. de Fontanes, ces cours publics si favorables à la jeunesse, et où les sciences, la philosophie, l'érudition classique se glorifient d'avoir de dignes interprètes et de studieux élèves. De nouvelles chaires furent fondées; M. de Fontanes y nomma Delille, et le brillant historien du xvIe siècle. Attentif à recueillir les sages traditions des anciennes écoles, il remit aux mains de l'expérience et il surveilla lui-même cette école Normale, d'où sont sortis tant de jeunes talents et de maîtres habiles, espoir de l'enseignement public.

Enfin, Messieurs, des hommes qu'une honorable opposition éloignait de toutes les carrières, des talents persécutés ou méconnus trouvèrent dans l'Université ce qu'elle doit toujours offrir, la considération et l'indépendance. De vénérables ecclésiastiques furent protégés, défendus. L'Université devint un lieu d'asile c'était le mouvement de cœur de M. de Fontanes. Les lettres, le malheur, étaient sacrés pour lui. Il aimait le mérite; l'espérance même du plus faible talent lui était précieuse; et si quelque jeune homme n'avait encore en sa faveur que l'amour de l'étude, vous pouvez m'en croire, Mes

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sieurs, il lui tendait la main, il lui donnait du courage et de l'appui. Mille exemples ont attesté cette généreuse influence et, je ne crains pas de le dire, pendant cinq ans l'administration de M. de Fontanes fut un bienfait public pour la religion, pour la morale, pour les lettres et pour la jeunesse.

Renfermé dans ses grandes et paisibles fonctions, M. de Fontanes, sans participer aux événements politiques, vit s'accomplir la révolution qui brisait le joug appesanti de la France, et lui rendait enfin ses rois et sa liberté; il partagea le vœu de la patrie. Combien cet esprit éclairé, cette imagination amie des traditions et des souvenirs, devait recevoir avec enthousiasme les fils de Louis XIV et de Henri IV, éprouvés par tant d'infortunes, et rapportant sur le trône toutes les vertus du malheur!

Vainement la Providence sembla-t-elle se démentir, et permettre au monde de douter de sa justice; vainement le génie de la guerre, tout à coup ranimé, traversat-il le sol attristé de la France, pour disparaître, en laissant après lui les longs désastres de son retour d'un moment: M. de Fontanes resta fidèle à la cause qu'il avait embrassée. Il vit dans la royauté affermie malgré tant d'orages la sauvegarde de tout ce qu'il aimait, la paix, la morale, les arts. Il avait cessé, dès la première époque de la restauration, d'occuper à la tête de l'enseignement public cette grande place, à laquelle il manquera longtemps, et où il avait fait le bien que dans les mêmes circonstances aucun autre n'aurait pu faire : il n'avait plus l'occasion de parler à la jeunesse ce noble langage toujours si puissant sur elle. Mais dans la chambre des pairs et dans vos séances, il fit plus d'une fois entendre les sentiments qu'il avait dans le cœur, pour la monarchie et pour la France. On n'a point oublié le jour où, recevant parmi vous le défenseur de Louis XVI, il

lui décerna ce juste et éloquent éloge auquel la postérité pourra seule ajouter quelque chose.

La raison élevée de M. de Fontanes, non moins que sa loyauté, lui montrait dans l'inviolabilité du trône légitime une condition de l'ordre social en Europe: il pensait qu'après les violentes et profondes secousses qui avaient ébranlé tous les États, dans cette vieillesse des sociétés qui se confond avec leurs progrès, à ces époques où le monde inondé de systèmes et de soldats se débat entre deux puissances inégales, la spéculation et la force, il n'y avait de barrière contre les ravages de la force, et de sûreté pour la civilisation, que dans la reconnaissance d'un droit antérieur, qui servit à fixer, à consacrer les formes nouvelles de l'ordre politique, et fût la sanction de la liberté, comme la source du pouvoir.

Tel est, messieurs, l'immortel bienfait de la Charte. Tel est l'ouvrage accompli par le roi, par ce monarque fondateur qui paraîtra dans l'avenir tout ensemble l'auguste héritier et le chef nouveau de sa dynastie, juge éclairé des temps et des hommes, dont la haute modération est une supériorité de lumières autant qu'une vertu de cœur, et qui, de cette sphère impartiale où il est placé, jette un regard vigilant sur la France agitée sans péril dans le cercle régulier de la loi. Persécuté par la fortune comme Henri IV, il a montré la majesté dans le malheur, la sagesse dans le pouvoir et l'amitié sur le trône. Protecteur des arts comme Louis XIV, il fait plus que les protéger, il les cultive, il les éclaire; et son règne leur ouvre une époque de paix et d'indépendance où la dignité morale des institutions doit élever le talent, où la tribune doit inspirer les lettres, où l'éloquence doit s'agrandir par la défense du trône et de la liberté publique. Quelle gloire pour un souverain, Messieurs, après des révolutions si funestes et si longues, de préparer ce

second avenir d'un grand peuple, de fonder, d'unir à ja · mais par les libertés et les lois cette société que l'anarchie avait détruite, que le despotisme avait rebâtie, et non pas ranimée, et de la transmettre chaque jour plus puissante et plus heureuse à sa dynastie révérée!

Nul Français ne ressentit avec plus d'émotion que M. de Fontanes ce retour de la monarchie. Toutes ses opinions politiques, ainsi que son talent, étaient empreintes de l'influence des lettres et se liaient aux souvenirs de leur plus illustre époque. Il aimait la royauté comme l'antique protectrice, comme la noble amie des arts et du génie français. Il aimait son pays comme une terre de gloire, patrie naturelle de tous les talents, fertile en guerriers, en grands hommes, donnant à l'Europe sa langue, ses lois et ses mœurs, quelquefois heureuse avec imprudence, malheureuse avec dignité, et, dans toutes les fortunes, puissante par l'illustration de tant de souvenirs, parmi lesquels il retrouvait cette splendeur des lettres qui lui était si chère.

Une injuste censure avait quelquefois accusé M. de Fontanes de négliger sa première gloire, parce qu'on voyait rarement sortir de sa plume des productions toujours désirées; et cependant à toutes les époques de sa plus haute fortune, d'heureux vers lui étaient échappés. Cette publicité, qu'il semblait craindre, il l'avait bravée pour défendre le talent d'un illustre ami contre les rigueurs de la critique et l'inimitié du pouvoir; et on avait aussitôt reconnu les accents doux et purs de cette voix qu'on se plaignait de ne plus entendre. Nul talent n'eut en effet un caractère à la fois plus classique et plus personnel à l'auteur. M. de Fontanes avait porté l'élégance jusqu'au point où elle devient une création littéraire. Un petit nombre d'écrits marqués de cette empreinte heureuse et rare suffisaient à sa renommée. Il intéressait par

D. M.

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