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publique la justice inséparable de la liberté, et le trône qui les garantissait l'une et l'autre. Associé quelque temps aux Clermont-Tonnerre et aux Lally-Tollendal, il poursuivit cette honorable tàche au milieu des périls et des violences de l'anarchie; et il ne s'éloigna de Paris qu'après avoir été témoin de ces crimes qui ne laissent plus au bon citoyen ni le courage de l'espérance ni l'utilité du sacrifice.

Mais il avait choisi pour retraite le lieu même qui devait être bientôt le plus affreux théâtre de la proscription et de la guerre civile, cette cité de Lyon, sur laquelle la tyrannie révolutionnaire épuisa son acharnement et la fureur de ses décrets. D'heureux liens de famille avaient fixé M. de Fontanes au milieu des désastres de cette ville, dont les infortunés habitants devinrent ses concitoyens. Après la victoire de la Convention, lorsque les horreurs du siége furent remplacées par les vengeances de la paix, lorsque le nom même de la malheureuse ville fut aboli, et disparut dans la poudre de ses maisons incendiées, Lyon n'existant déjà plus que pour fournir des victimes, une plainte hardie s'éleva du milieu de ses ruines. Trois hommes de l'aspect le plus simple et le plus grossier parurent à la barre de la Convention, comme les envoyés de la cité proscrite: on redouta moins dans leur bouche l'éloquence du malheur et de l'humanité; on osa les entendre. Un d'eux prend la parole; et, dans son accent rude et vulgaire, le discours qu'il prononce, étonnant mélange de pathétique et de fierté, d'élévation et d'adresse, fait passer impunément sous les yeux de l'assemblée tout le spectacle de ses violences, la saisit d'un trouble involontaire, et l'épouvante elle-même des maux qu'elle a faits on accueille la plainte; on ordonne l'examen : un frémissement d'émotion s'est prolongé dans toute la séance. Les uns se rappellent en rougissant le Paysan du

Danube reprochant au sénat la barbarie de ses préteurs ; d'autres cherchent déjà quel est le dangereux écrivain, le conspirateur secret qui a surpris leur pitié, en empruntant l'organe peu suspect de ces envoyés populaires : ce dangereux écrivain, Messieurs, ce conspirateur, c'était M. de Fontanes.

Retenu parmi les ruines de Lyon, il avait inspiré les pétitionnaires : il avait écrit pour eux ce discours où son talent le trahissait une nouvelle fuite et de nouveaux dangers furent le prix de cette généreuse imposture aisément découverte. La plainte des Lyonnais et l'émotion de l'assemblée passèrent bientôt ; mais l'humanité avait parlé, le crime avait senti sa honte, et le devoir du bon citoyen était rempli. On aime, Messieurs, à s'arrêter sur ce trait d'une honorable vie, et à montrer, par l'exemple d'un homme dévoué à la monarchie, que l'amour de l'ordre n'est pas une faiblesse d'âme, et qu'il se change en intrépidité contre une tyrannie sanguinaire.

Puni de ce courage par un arrêt de proscription, M. de Fontanes fut obligé de cacher sa tête, jusqu'au moment où une première lueur de justice et d'humanité vint ranimer la France. Il reparut alors; et comme on cherchait parmi les débris de la société à relever quelque apparence d'ordre public, comme la hache de la barbarie s'était arrêtée, et qu'enfin quelque chose d'honorable pouvait être impuni, M. de Fontanes retrouva dans sa patrie les égards et l'inviolabilité qui sont dus au talent. On le choisit pour remplir une chaire de littérature dans les écoles qui venaient de se former. Il fut admis dans l'Institut naissant; et l'éclat de son mérite lui aurait ouvert dès lors une route facile sous le premier gouvernement qui succédait à l'anarchie de la Terreur. Mais ce gouvernement, tout empreint des vices de son origine, ce Directoire, qui pesait sur la France de tout le poids

de sa faiblesse, insultait trop à l'héritage de Louis XIV et de Henri IV. M. de Fontanes n'hésita point à le combattre.

La France offrait alors un des spectacles les plus curieux dans l'histoire morale des peuples. La lassitude du crime avait amené des lois plus douces. Une sorte de trêve avait suspendu les vengeances civiles : dans cet intervalle l'ordre social essayait de renaître. Les maux s'oubliaient rapidement; on se hâtait d'espérer, et de se confier au sol tremblant de la France. Une joie frivole et tumultueuse s'était emparée des àmes, comme par l'étonnement d'avoir survécu; et on célébrait des fêtes sur les ruines. Ainsi dans les campagnes ravagées par le Vésuve, quand le torrent de flamme a détruit les ouvrages et les habitations des hommes, bientôt la sécurité succède au péril, on se réunit, on se rapproche, et on bâtit de nouvelles demeures avec les laves refroidies du volcan.

Mais cette renaissance de la société en France manifestait en même temps, Messieurs, une grande et salutaire vérité, le retour de tous les sentiments généreux par la seule force de la conscience publique, la liberté servant elle-même à flétrir les crimes commis en son nom, un pouvoir illégal vaincu par les principes qu'il avait proclamés, et la patrie entière conspiraient pour toutes les idées qui rappelaient la monarchie légitime. Une coalition dans les assemblées nationales soutenait cette cause favorisée par le vœu public; de nombreux écrivains la secondaient de leur courage et de leurs talents: et la France semblait, à mesure qu'elle était rendue à ellemême, se rapprocher de ses rois et revendiquer à la fois leur pouvoir et sa liberté. M. de Fontanes se distingua parmi les écrivains qui luttaient pour un but si noble : avec eux il fit retentir ces mots de religion, de justice, et d'humanité, qui sont mortels à toute injuste puissance;

D. M.

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avec eux il proclama le respect pour la vraie liberté, les droits du malheur, la sainteté des tombeaux; avec eux il encourut la proscription; et, quand les déserts de Sinnamari furent la réponse que le Directoire opposait aux députés de la France, quand les ministres de la religion et les organes des lois furent frappés ensemble, M. de Fontanes, proscrit et dépouillé, subit un exil que partageaient d'illustres citoyens, à côté desquels il a siégé plus tard dans les Conseils et dans l'Académie.

Une nouvelle révolution dans nos mobiles destinées rouvrit aux victimes du Directoire le chemin de leur patrie M. de Fontanes se hâta d'y rentrer. Deux ans d'intervalle avaient changé la France. Un pouvoir oppresseur et méprisé s'était évanoui devant l'éclat d'une fortune nouvelle. L'insupportable horreur des derniers temps, la fatigue d'une si longue instabilité, l'ascendant de la force et la dangereuse popularité de la victoire, tout, dans ce moment, livrait la France au bras puissant assez hardi pour la saisir. Il semblait aux yeux éblouis de la foule qu'on allait commencer une époque de réparation et de repos, où la fidélité même ne perdait pas ses espérances. Les proscriptions avaient cessé. Les exilés de toutes les époques revoyaient leur patrie; les bons citoyens étaient tranquilles; les temples étaient rouverts. Plusieurs actes d'une politique habile, quelque bien accompli, beaucoup d'illusions répandues, la dissimulation de Cromwell, et peut-être les promesses de Monk concouraient à séduire et à calmer la France.

C'est à cette époque mémorable que M. de Fontanes, sur lequel pesait encore une demi-proscription, fut tout à coup tiré de la retraite pour prononcer dans une solennité publique l'éloge de Washington. Je ne chercherai pas, Messieurs, si, en célébrant la mémoire de ce vain

queur désintéressé, de ce général soumis aux lois, le consul ambitieux qui s'élevait alors en France n'avait pas voulu s'envelopper d'une gloire étrangère, et couvrir ses desseins sous un faux enthousiasme pour des vertus modestes qu'il se promettait de ne pas imiter. Quelle que fût cette pensée secrète, la mission de l'orateur était belle; et M. de Fontanes y porta son éloquence et la dignité de son caractère. Tandis que les plus odieux souvenirs étaient encore puissants et armés, il ne craignit pas de les flétrir, en rappelant avec une juste indignation ces pompes barbares et récentes, où l'on prodiguait le mépris à de grandes ruines, et la calomnie à des tombeaux. Il peignit avec force et simplicité la grande âme de Washington, héros qui fut un sage. Il parla dignement des nouveaux et immortels trophées de la France; mais il ne méconnut aucune autre gloire, ni surtout aucune adversité. Dans ce discours l'éloge même de la puissance devenait un conseil de bien user de la fortune. C'était un nouveau langage, dont la justesse et la dignité semblaient inspirer, et marquer par les expressions mêmes ce retour salutaire à toutes les idées sociales, qui fit d'abord l'espoir et la sécurité de la France.

Une telle influence, Messieurs, ne sera pas contredite dans cette enceinte et parmi les hommes qui savent combien les arts de l'esprit tiennent de près à la paix publique et à la prospérité des empires. De grands troubles civils, en agitant toutes les âmes, en créant des prodiges de crime et d'énergie, en forçant toutes les idées, en passionnant toutes les paroles, menacent la littérature d'une barbarie presque inévitable, surtout lorsqu'ils succèdent à une époque de civilisation avancée et de raffinement littéraire. D'heureux talents peuvent naître et brillér encore sur ce terrain sillonné par l'orage: mais dans ces premiers moments, la langue se corrompt, le naturel

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