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DISCOURS

PRONONCÉ A L'ACADÉMIE FRANÇAISE

PAR M. VILLEMAIN,

EN VENANT PRENDRE SÉANCE A LA PLACE DE M. LE COMTE FONTANES (28 JUIN 1821).

MESSIEURS,

Le soin d'honorer la mémoire des membres que vous perdez est toujours, dans la bouche de leurs successeurs, un hommage rendu à la dignité même des lettres. Pour moi, c'est aujourd'hui l'accomplissement d'un devoir personnel et sacré. Au moment où vos indulgents suffrages ont daigné me choisir, il m'a semblé que par une insigne faveur vous m'aviez admis à prononcer devant vous l'éloge public d'un bienfaiteur et d'un ami. Je me suis involontairement rappelé cette coutume romaine qui, lorsque la mort avait enlevé quelque célèbre citoyen, noble patron de la jeunesse, autorisait un de ses clients, un de ses élèves, à déplorer une telle perte du haut de la tribune, sans autre droit pour y monter, que le privilége de la reconnaissance et cette recommandation que laisse après elle une illustre amitié. Je ne puis en effet, Messieurs, me rendre compte à moi-même des

faibles titres qui m'ont amené jusqu'à vous, je ne puis jeter les yeux sur les premiers degrés de ma carrière, peu longue et peu remplie, sans y retrouver partout la main tutélaire et la généreuse amitié de M. de Fontanes. Elle m'accueillit au sortir des écoles publiques, et m'y replaça bien jeune encore dans les fonctions de l'enseignement elle encouragea mes premiers essais, et les suivit dans l'épreuve de ces concours littéraires, qui m'ont quelquefois attiré vos regards; elle les protégea de son estime; elle me protégea longtemps moi-même; elle m'honora toujours.

Et lorsque j'espérais jouir d'une si précieuse bienveillance, lorsque, comparant à la frêle durée de la jeunesse cette maturité pleine de force qui semblait promettre beaucoup d'années à M. de Fontanes, je me confiais au temps et à l'avenir pour lui payer toute ma reconnaisil nous est enlevé par un coup soudain ; et je ne pourrai rien pour lui que célébrer son rare talent et son noble cœur, par un éloge que vos regrets ont prévenu, et dont sa renommée n'a pas besoin.

sance,

J'aperçois parmi vous, Messieurs, un des plus honorables et des plus fidèles amis de M. de Fontanes, celui même qui me présentait, il y a dix ans, à sa bienveillance; et le sort l'a choisi pour me recevoir aujourd'hui près de sa tombe.

La vie de M. de Fontanes, que les événements jetèrent dans les grands emplois politiques, avait commencé par ce dévouement aux lettres, par ce pur enthousiasme de l'étude, première vocation et dernière préférence des talents faits pour la gloire. Né avec la passion de la poésie, il y fut encouragé, dès l'enfance, par l'exemple d'un frère, qui mourut fort jeune, à l'aurore du talent, et dont il aimait dans ses derniers jours à répéter le nom et les

vers.

M. de Fontanes sortait d'une famille protestante; il a lui-même rappelé cette origine dans un poëme de sa jeunesse à la louange du mémorable édit qui rendait aux protestants les droits de famille et de cité glorieuse réforme, accomplie par le vœu libre et spontané de Louis XVI! monument d'une justice qui devançait les lois ! Les vers de M. de Fontanes couronnés par l'Académie française étaient dignes d'un si favorable sujet. La philosophie judicieuse et modérée, le respect de la religion, le culte de la gloire et des arts, qui distinguèrent toujours le talent de M. de Fontanes, sont vivement empreints dans cet ouvrage écrit à une époque où la censure amère du passé était facile et populaire. Tout en déplorant la fatale révocation de l'édit de Nantes, qu'il nomme la grande erreur du siècle de la gloire, le jeune poëte offrait un éloquent hommage à l'ombre auguste de Louis XIV; et en accusant les rigueurs du faux zèle, il célébrait la religion, dont les secours, dit-il dans un beau vers, apportent aux misères humaines

Ce dictame immortel qui fleurit dans les cieux.

Quelques autres essais déjà sortis de la plume de M. de Fontanes avaient tous également annoncé cette prédilection invariable, ce penchant naturel qui le conduisaient vers l'école littéraire du siècle de Louis XIV, et ce talent qui méritait d'en perpétuer la gloire. Ces premiers essais d'un jeune homme ignoré parurent au milieu de toutes les recherches du faux goût, et de toutes les prétentions paradoxales, qui marquèrent les heureux et derniers loisirs du XVIIIe siècle, dans cette société tout à la fois curieuse et fatiguée des lettres, qui avait pour ainsi dire usé l'esprit comme le bonheur, et que ses lumières et sa frivolité, sa raison et ses vices tourmentaient du besoin d'une immense nouveauté. Dans cette corruption d'Athènes en

décadence, M. de Fontanes excita la surprise par la perfection du goût. Ses vers éclatants de pureté semblaient faits sur le modèle des anciens ou de la nature; et cette éloquence qui s'est montrée tant de fois égale aux plus nobles sujets et aux plus grands événements, M. de Fontanes en posséda le secret dès qu'il commença d'écrire, et il en répandit toutes les richesses dans son premier ouvrage, dans le discours d'une maturité si précoce et d'une élégance vraiment originale qui précède la traduction de l'Essai sur l'homme de Pope.

Ainsi, Messieurs, dans la double carrière de l'éloquence et de la poésie s'annonçait, il y a près de quarante ans, un nouvel écrivain, digne de continuer la succession des grands talents, unissant le goût et l'imagination, la correction et l'éclat, et qui surtout semblait retrouver dans ses écrits la langue du xvir® siècle, cette langue noble et pure, précise et sonore, que Voltaire avait entendue dans la vieillesse de Louis XIV, et qu'il avait parlée si longtemps, et sur tant de modes divers, à la France trop enchantée par sa voix. Voltaire était descendu dans la tombe, sans avoir d'héritier, et ne laissant après lui d'autre élève que son siècle même; mais la tradition de la licence n'est pas l'héritage du génie ; et cet empire des lettres où Voltaire avait régné, qu'il agitait de sa présence, dont il parcourait à la fois tous les points opposés, parut un moment désert et silencieux après sa mort.

Cependant de grandes renommées soutenaient encore le déclin de la poésie française, et l'enrichissaient de beautés hardies ou brillantes, mais sans lui rendre la pureté de ses premiers modèles. M. de Fontanes, inspiré par des muses plus sévères, porta le goût classique jusque dans la poésie descriptive, où l'abus du talent est si voisin de sa richesse. Le Verger, la Forêt de Navarre, l'Essai sur l'Astronomie, semblaient moins une imitation

complaisante de la nouvelle école, qu'un heureux exemple de précision et de pureté qui lui était offert. Que de beautés en effet, Messieurs, dans ces rapides esquisses abrégées par le goût ! Quel art de mêler toujours l'homme à la nature, et d'embellir chaque tableau par la vérité des sentiments, plus rare encore que celle des images ! Le poëme sur le Jour des Morts, plein d'une mélancolie religieuse, révéla dans l'âme du jeune poëte une autre source d'inspiration, et fit voir que la sévérité du goût n'exclut pas cette heureuse originalité qui naît toujours d'une émotion profonde. Que de promesses de gloire dans un tel début!

Au milieu de cette douce préoccupation, parmi les amusements du monde et le bonheur de l'étude, M. de Fontanes, animé par sa réputation naissante, et méditant un grand poëme, avait à peine touché le terme de la première jeunesse, quand l'approche de nos troubles civils vint saisir tous les esprits, changer et mêler toutes les routes, effacer toutes les traces, et jeter chacun dans les hasards d'une destinée nouvelle. Ces jeux de la littérature et du théâtre, qui faisaient depuis un siècle les principaux événements d'une société paisible, ces académies naguère si puissantes, ces réunions ingénieuses, tous ces travaux d'une civilisation élégante et oisive tombèrent en un moment devant le terrible intérêt d'une révolution commencée.

A la vue de ce grand désastre social, dont le progrès surprit et enveloppa ceux même qui l'avaient préparé, dans ce mouvement rapide qui emportait tant d'esprits imprévoyants, M. de Fontanes se rangea du parti de la royauté tempérée par les lois ; et il resta fidèle à la puissance opprimée, dans ces temps d'orage où le calcul et la peur trouvent plus sûr de la combattre que de la secourir il consacra ses talents à défendre dans une feuille

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