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a d'être infidèle me faisoit peur; mais il est des amis de toutes sortes. Si j'ai un secret, celui-là ne le saura pas, et surtout si c'est un dessein pour ma fortune, à quoi il puisse prétendre. Guarda la gamba; voilà qui est de mon crû, Madame; Corbinelli est à dix lieues d'ici; il faut avouer que j'ai un beau naturel, de savoir cela sans avoir jamais eu de maître.

Vous ne me mandez rien de la marquise d'Uxelles; cependant elle est de vos bonnes amies et assez des miennes. Est-ce qu'elle n'est plus à Paris, ou que vous ne m'en voulez pas parler, de peur d'ètre obligée de me mander ce qu'elle fait? Écrivez-lemoi, je vous prie, car enfin, je l'estime fort, et je serai bien aise de faire quelque chose pour elle; si elle peut une fois sortir de condition, je lui en offrirai...

Je suis ravi d'être bien avec messieurs vos oncles; jalousie à part, ce sont d'honnêtes gens; mais il n'y a personne de parfait en ce monde; s'ils n'étoient jaloux, ils seroient peut-être quelque chose de pis. Avec tout cela je ne les crains pas trop, et savez-vous bien pourquoi, Madame? c'est que je vous crains beaucoup, et que vous êtes cent fois plus jalouse de vous qu'eux-mêmes.

Toujours quelques douceurs, Madame, m'en saurois tenir, mais il n'y a point de danger à présent que madame de La Trousse voit mes lettres.

J'oubliois de vous dire que j'écris à M. de Coulanges sur la mort de madame sa femme; madame de Bussy me mande que je lui ai bien de l'obligation de ce qu'il a fait pour moi à la chambre des comptes; ce qui redouble le déplaisir que j'ai de la perte qu'il a faite, c'est que j'appréhende qu'il n'aille devenir mon quatrième rival, car il avoit assez de disposition du vivant de sa femme, mais la considération le retenoit toujours.

Adieu, ma belle cousine, c'est assez badiner pour cette fois. Voici le sérieux de ma lettre, je vous aime de tout mon cœur.

A madame DE LA TROUSSE.

Je vous suis extrêmement obligé, Madame, de l'avis que vous m'avez donné. Croyant que notre belle marquise eût lu mes lettres toute seule, je lui aurois peut-être écrit des choses que je ne vou

drois pas que d'autres qu'elle vissent, et Dieu sait quelle vie vous m'auriez faite à mon retour, et quelle honte vous et moi en aurions eue. Votre prudence a détourné ce malheur en m'apprenant que vous lisez tout ce que je lui écris, et a mis les choses en état que je vous donnerai toujours du plaisir, et jamais de chagrin; mais, Madame, en vous rassurant sur les lettres trop tendres, j'ai honte d'en écrire de si folles, sachant que vous les devez lire, vous qui êtes si sage, et devant qui les précieuses ne font que blanchir; il n'importe, votre vertu n'est point farouche, et jamais personne n'a mieux accordé Dieu et le monde que vous ne faites.

15. ***

De madame DE SÉVIGNÉ à MÉNAGE.

Aux Rochers, ce 1" d'octobre 1654.

J'ai reçu la lettre que vous m'avez envoyée de M. le coadjuteur, et je ne doute pas qu'elle ne fasse un très grand effet. Je l'envoyai dès hier à Nantes, à M. le maréchal de La Meilleraie, et je ne puis vous dire à quel point je vous suis obligée de la diligence avec laquelle vous m'avez rendu ce bon office : : en cela, j'ai bien reconnu votre manière ordinaire, et en vérité je vous en remercie d'aussi bon cœur, que de bon cœur vous avez pris cette peine. Je crois que vous en serez content. Je n'écris point à M. le coadjuteur pour lui en faire un compliment, je crois qu'il suffira que vous lui en fassiez un pour moi; je vous conjure de n'y pas manquer, et de me mander si le vôtre suffira. Mais voici qui est admirable de vous voir si bien avec toute ma famille; il y a six mois que cela n'étoit pas du tout si bien. Je trouve que les changements si prompts ressemblent fort à ceux de la cour; je vous dirai pourtant qu'à mon avis cette bonne intelligence durera davantage, et pour moi j'en ai une si grande joie, que je ne puis vous la dire au point qu'elle est. Mais, bon Dieu! où avez-vous été pêcher ce M. le Grand-Prieur, que M. de Sévigné appeloit toujours mon oncle le Pirate? Il s'étoit mis dans la fantaisie que c'étoit sa bête de ressemblance, et je trouve qu'il avoit assez raison. Mais, ditesmoi donc ce que vous pouvez avoir à faire ensem

ble, aussi bien qu'avec le comte de Bussy; j'ai une curiosité étrange que vous me contiez cette affaire, comme vous me l'avez promis; mais, en voici bien une autre, c'est que notre abbé, qui entend dire de tous côtés que l'on vous aime, se va mettre dans la tête de vous aimer aussi, tellement qu'il m'a déjà priée de vous en jeter quelques paroles par-ci parlà. Je lui ai promis de faire mes efforts, et s'il est vrai que vous aimiez ceux que j'aime, et à qui j'ai d'extrêmes obligations, je n'aurai pas beaucoup de peine à obtenir cette grace de vous: je vous donne le temps d'y penser, et en attendant je vous assure que vous devez être aussi content de moi, que le jour que je vous écrivis une lettre de dix mille écus. Marie DE RABUTIN-CHANTAL.

P. S. Un compliment à M. Girault; je n'ai point reçu son livre. Mandez-moi si c'est tout de bon que M. de Luynes soit mort, car je ne le saurois encore croire.

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Baigneurs d'en avoir de plus tendres et de plus fais foibles; chacun aime à sa mode; pour moi, je profession d'être brave aussi bien que vous voilà les sentiments dont je veux faire parade. Il y auroit peut-être quelques dames qui trouveroient ceci un peu romain, et rendroient grace aux Dieux de n'être pas Romaines,

Pour conserver encor quelque chose d'humain.

Mais là-dessus j'ai à leur répondre que je ne suis pas aussi tout-à-fait inhumaine, et qu'avec toute ma bravoure, je ne laisse pas de souhaiter, avec autant de passion qu'elles, que votre retour soit heureux. Je crois, mon cher cousin, que vous n'en doutez pas, et que je demande à Dieu de tout mon cœur qu'il vous conserve. Voilà l'adieu que je vous aurois fait, et que je vous prie de recevoir d'ici, comme j'ai reçu le vôtre de Landrecy.

16.

Au comte DE BUSSY.

A Livry, ce 26 juin 1655.

Je me doutois bien que tôt ou tard vous me diriez adieu, et que si ce n'étoit chez moi, ce seroit du camp devant Landrecy. Comme je ne suis pas une femme de cérémonie, je me contente de celuici, et je n'ai pas songé à me fâcher que vous eussiez manqué à l'autre. Je m'étois déjà dit vos raisons, avant que vous me les eussiez écrites, et je suis trop raisonnable pour trouver étrange que la veille d'un départ, on couche chez le Baigneur. Je suis d'une grande commodité pour la liberté publique, et pourvu que les bains ne soient pas chez moi, je suis contente; mon zèle ne me porte pas à trouver mauvais qu'il y en ait dans la ville.

Depuis que vous êtes parti, je n'ai bougé de ce beau désert, ici, où, pour vous parler franchement, je ne m'afflige point trop de vous savoir à l'armée. Je serois une indigne cousine d'un si brave cousin, si j'étois fâchée de vous voir, cette campagne, à la tête du plus beau corps qui soit en France, et dans un poste aussi glorieux que celui que vous tenez. Je crois que vous désavoueriez des sentiments moins nobles que ceux-là; je laisse aux

17. *

Du comte DE BUSSY à madame DE SÉVIGNÉ.

Au camp devant Landrecy, le 3 juillet 1655. D'où vient que je ne reçois pas de vos lettres, Madame? Me croyez-vous encore en Catalogne cette campagne, ou me grondez-vous de ne vous avoir point dit adieu? Pour le premier, je vous ai promis de venir en Flandre; et pour l'autre, je vous ai dit de si bonnes raisons, que vous seriez de fort méchante humeur, si vous n'en étiez satisfaite.

Mandez-moi, je vous prie, des nouvelles de l'amour du surintendant, vous n'obligerez pas un ingrat; je vais vous dire, à la pareille, des nouvelles du mien pour ma Chimène: il me semble que je vous fais un honnête parti, quand je vous offre de vous dire un secret pour des bagatelles.

Vous saurez donc que la veille de mon départ de Paris fut employée aux adieux, aux protestations de s'aimer toute la vie, et à toutes les marques les plus tendres que deux personnes qui s'aiment fort peuvent se donner de leur amour.

Ici je te permets, trop fidèle mémoire
De cacher à mes sens le comble de ma gloire.

On se promit de s'écrire souvent, et le malheur des lettres d'amour qui tombent tous les jours en

tre les mains du tiers et du quart, ne nous rebutant point d'en écrire, on résolut de s'écrire, sans chiffres, toutes les choses par leur nom. L'on convint seulement que les lettres seroient brûlées aussitôt qu'elles auroient été lues. Après cela, l'on recommença de se prouver, par de bons effets, que l'on s'aimoit éperdument. Ensuite, l'amour étant un vrai recommenceur, l'on se redit les mêmes choses qu'auparavant en d'autres termes, et quelques-unes en mêmes mots; on y ajouta seulement des assurances de ne jamais rien croire au désavantage de chacun : quelques larmes suivirent ces assurances; elles furent encore mêlées d'un moment de plaisir, et puis on ne fit autre chose que pleurer en se quittant.

Voilà, Madame, mon histoire amoureuse; je pense que celle du surintendant n'est pas si gaie, ni si lamentable: je vous supplie de me la mander, quelle qu'elle soit. Adieu, ma belle cousine.

18.

De madame DE SÉVIGNÉ au comte DE BUSSY.

A Paris, ce 14 juillet 1655.

Voulez-vous toujours faire honte à vos parents? Ne vous lasserez-vous jamais de faire parler de vous toutes les campagnes? Pensez-vous que nous soyons bien aises d'entendre dire que M. de Turenne mande à la cour que vous n'avez rien fait qui vaille à Landrecy? En vérité, c'est avec un grand chagrin que nous entendons dire ces choseslà, et vous comprenez bien de quelle sorte je m'intéresse aux affronts que vous faites à notre maison. Mais je ne sais, mon cousin, pourquoi je m'amuse à plaisanter, car je n'en ai pas le loisir, et, si peu que j'aie à vous dire, je le devrois dire sérieusement; je vous dis donc que je suis ravie du bonheur que vous avez eu à tout ce que vous avez entrepris. Je vous ai écrit une grande lettre de Livry, que je crains bien que vous n'ayez pas reque j'aurois quelque regret qu'elle fût perdue, car elle me sembloit assez badine.

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que vous n'aviez pas voulu confondre tant de rares merveilles. J'en suis bien aise, et je prétends avoir un de ces jours une voiture à part. Adieu, mon cousin; le gazetier parle de vous légèrement : bien des gens en ont été scandalisés, et moi plus que les autres; car je prends plus d'intérêt que personne à tout ce qui vous touche. Ce n'est pas que je ne vous conseille de quitter Renaudot de ses éloges, pourvu que M. de Turenne et M. le cardinal soient toujours bien informés de vos actions.

19.

Au même.

A Paris, ce 19 juillet 1655.

Voici la troisième fois que je vous écris depuis que vous êtes parti: c'est assez pour vous faire voir que je n'ai rien sur le cœur contre vous. J'ai reçu l'adieu que vous m'avez fait de Landrecy, pendant que j'étois à Livry, et je vous ai fait réponse en même temps: je vois bien que vous ne l'avez pas reçue, et j'en suis au désespoir; car, outre qu'elle étoit honnêtement tendre, c'est qu'elle étoit assez jolie, à ce qu'il me sembloit; et comme elle vous étoit destinée, je suis bien en colère qu'un autre en ait eu le plaisir. Depuis cela, je vous ai encore écrit par un laquais que vous avez envoyé ici, lequel étoit chargé de plusieurs lettres pour de belles dames. Je ne me suis point amusée à vous chicaner sur ce qu'il n'y en avoit point pour moi, et je vous fis une petite lettre en galopant, qui a dû vous faire connoître, quoique assez mal arrangée, la sensible joie que j'ai eue de votre bonheur à vos gardes de Landrecy, dont la nouvelle nous est venue ici le plus agréablement du monde par des gens de la cour, qui nous ont assuré que M. le cardinal de Mazarin avoit dit beaucoup de bien de vous devant le roi, lequel en avoit dit lui-même, et ensuite toute la cour, qui avoit fort loué cette dernière action. Vous pouvez croire que ma joie n'a pas été mediocre d'entendre dire tout cela de vous; mais, pour en revenir à mon conte, ce fut donc sur cela que je vous écrivis ma seconde lettre, et cinq ou six jours après, j'ai reçu celle où je vois que vous vous plaignez de moi. Cependant, mon pauvre

cousin, vous voyez bien que vous n'en avez aucun sujet ; et là-dessus on peut tirer une belle moralité: c'est qu'il ne faut jamais condamner personne sans l'entendre. Voilà ce que j'avois à vous dire pour ma justification: peut-être qu'une autre auroit pu réduire les mêmes choses en moins de paroles; mais il faut que vous supportiez mes défauts en faveur de mon amitié; chacun a son style : le mien, comme vous voyez, n'est pas laconique.

Je ne crois pas avoir jamais rien lu de plus agréable que la description que vous me faites de l'adieu de votre maîtresse. Ce que vous dites que l'amour est un vrai recommenceur est tellement joli et tellement vrai, que je suis étonnée que, l'ayant pensé mille fois, je n'aie jamais eu l'esprit de le dire. Je me suis même quelquefois aperçue que l'amitié se vouloit mêler en cela de contrefaire l'amour, et qu'en sa manière elle étoit aussi une vraie recommenceuse. Cependant, quoiqu'il n'y ait rien de plus galant que ce que vous me dites, sur toute votre affaire, je ne me sens point tentée de vous faire une pareille confidence sur ce qui se passe entre le surintendant et moi, et je serois au désespoir de vous mander quelque chose d'approchant. J'ai toujours avec lui les mêmes précautions et les mêmes craintes; de sorte que cela retarde notablement les progrès qu'il voudroit faire. Je crois qu'il se lassera enfin de vouloir recommencer toujours inutilement la même chose. Voilà ce que je puis vous en dire, et ce qui en est. Usez aussi bien de mon secret que j'userai du vôtre; vous avez autant d'intérêt que moi de le cacher.

Je ne vous dis rien de l'aventure de Bartet, je crois qu'on vous l'aura mandée, et qu'elle vous aura fort diverti; pour moi, je l'ai trouvée tout-àfait bien imaginée. Il y a une dame qu'on accuse d'avoir été les premiers jours demander si c'étoit un affront que cela, parce qu'elle avoit oui dire à l'intéressé que ce n'étoit qu'une bagatelle. On dit que présentement il commence à sentir son mal, et à trouver qu'il eût été mieux qu'il n'eût pas été tondu. Adieu, mon pauvre cousin, ce n'est point ici une jolie lettre, ni une réponse digne de la vôtre, mais on n'est pas toujours en belle humeur. Il y a huit jours que je suis malade, cela fait tort à ma vivacité. Aimez-moi toujours bien, car pour moi je fais mon devoir sur votre sujet, et je vous souhaite un heureux retour.

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Je vous rends grace de votre Malherbe, j'en ferai mon profit admirablement, et veux parer mon esprit de toutes sortes de belles choses, afin qu'il ne vous ennuie pas d'y demeurer. Celui qui me vint voir hier se contenteroit d'être placé plus bas, c'est-à-dire au cœur; mais il est persuadé que ce n'est pas une chose facile. C'est pourquoi, quelque envie qu'il ait de se mettre à la mode, je vois bien que nous en demeurerons à l'estime et au respect. Je lui suis très-obligée de la chaleur qu'il me témoigne pour vos intérêts; il me promet de faire des merveilles, et moi je vous conjure de vous guérir, et d'être persuadé que je vous aime et vous estime d'une façon tout extraordinaire. Dites toujours du bien de moi, cela me fait un honneur étrange.

21. **

Du comte DE BUSSY à madame DE SÉVIGNÉ.

A Bavay, ce 13 août 1655.

J'ai reçu vos trois lettres, Madame; celle de Livry est effectivement très-plaisante; mais, comme vous dites aussi, elle n'est pas la plus tendre du monde. Vous me parlez de désespoir et de larmes, tout exprès, ce me semble, pour me dire que ce n'est pas pour moi; je sais bien que je n'y dois pas rétendre; mais vous n'aviez que faire de m'exagérer si fort vos foiblesses pour un autre, et votre fermeté pour moi; quand on aime bien les gens qui vont à l'armée, on a plus de crainte pour le danger de leurs personnes que de joie dans l'espérance de l'honneur qu'ils vont acquérir. Je jurerois qu'il y a des mouvements de dépit dans ce que vous m'écrivez. Sur la fin, pourtant, vous vous radoucissez un peu, et, craignant que ce que vous me mandez sur mon départ ne sente trop la rudesse de Rome naissante, vous vous radoucissez un peu sur mon retour.

Pour votre lettre du 44 juillet, il n'y a rien de si obligeant ni de si flatteur que ce que vous me

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dites sur mes gardes de Landrecy; j'ai bien ri en lisant vos contre-vérités, et la honte que vous me mandez avoir eue des mauvaises actions que j'ai faites.

Pour votre troisième lettre, je vous dirai que, pour n'être pas d'un style laconique, elle ne laisse pas d'être fort agréable; je serois bien fâché qu'elle fût plus courte, et vous avez tort de dire que vous écririez mieux si vous n'étiez malade; vous vous portez mieux que vous ne pensez, et moi, ma chère cousine, je suis à vous mille fois plus tendrement que je ne saurois l'exprimer.

Je vous écris fort à la hâte, parce qu'il y a une heure que l'armée est en marche; je ne vous écris pas en galopant, comme vous me mandiez l'autre jour que vous faisiez, mais je vais galoper dans un moment pour vous avoir écrit.

92.

Du même à la même.

Du camp d'Angres, le 7 octobre 1655.

Je suis fort aise, Madame, que vous m'assuriez que M. le surintendant souhaite de trouver que j'ai raison dans l'affaire qu'on a voulu me susciter avec lui. Cela ne laisse pas de me surprendre, et je trouve fort extraordinaire qu'il aime mieux avoir sujet de se plaindre de madame de Martel que de moi.

M. le cardinal de Mazarin a été une seconde fois à l'armée pour voir Condé et Saint-Guilain, et pour laisser ces places en état de ne rien craindre en hiver, et de se passer de nous jusqu'au printemps. Son Eminence m'a fort bien traité, et m'a fait donner mille écus pour achever ma campagne.

Il y a deux ou trois jours qu'en causant avec M. de Turenne je vins à vous nommer; il me demanda si je vous voyois ; je lui dis qu'oui, et qu'étant cousins-germains, et de même maison, je ne voyois pas une femme plus souvent que vous; il me dit qu'il vous connoissoit, et qu'il avoit été vingt fois chez vous sans vous rencontrer; qu'il vous estimoit fort, et qu'une marque de cela étoit l'envie qu'il avoit de vous voir, lui qui ne voyoit aucune femme; je lui dis que vous m'aviez parlé de lui,

que vous aviez su l'honneur qu'il vous avoit fait, et que vous m'aviez témoigné lui en être très obligée.

A propos de cela, Madame, il faut que je vous dise que je ne pense pas qu'il y ait au monde une personne si généralement estimée que vous; vous êtes les délices du genre humain : l'antiquité vous auroit dressé des autels, et vous auriez assurément été déesse de quelque chose. Dans notre siècle, ой l'on n'est pas si prodigue d'encens, et surtout pour le mérite vivant, on se contente de dire qu'il n'y a point de femme à votre âge plus vertueuse ni plus aimable que vous. Je connois des princes du sang, des princes étrangers, de grands seigneurs façon de princes, de grands capitaines, des gentilshommes, des ministres d'état, des magistrats et des philosophes, qui fileroient pour vous si vous les laissiez faire. En pouvez-vous demander davantage? A moins que d'en vouloir à la liberté des cloîtres, vous ne sauriez aller plus loin.

J'oubliois de vous dire qu'il y a deux mois que Humières disant à Nogent quelque chose qui lui déplut, celui-ci donna du bout de ses gants sur le chapeau de l'autre. M. le cardinal et M. de Turenne défendirent à Humières, de la part du roi, d'en avoir aucun ressentiment; mais La Châtre, son beau-frère, fit appeler Nogent par un gentilhomme de ses parents nommé Sainte-Fère, lieutenant d'Humières. Nogent ne voulut point se battre, et dit depuis qu'il n'avoit tenu qu'à Sainte-Fère qu'il n'eût satisfait La Châtre. Il y a huit jours que Sainte-Fère lui faisant un éclaircissement là-dessus, Nogent le traita de petit mignon, et ne lui voulut donner aucune satisfaction. Sainte-Fère, qui tenoit un fouet de postillon à la main, lui en donna quelques coups. Nogent dit qu'il n'avoit point été frappé, et que Humières a voulu le faire assassiner. Humières dit qu'il n'a aucune part à cela, que véritablement, s'il avoit cru être offensé, il auroit fait donner cent coups de bâton à Nogent par un de ses domestiques, et même il veut bien que Nogent croie que c'est lui qui lui a fait faire cette insulte.

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