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je redouble toute l'application que j'ai à vous donner cette joie. J'espère que tout ira bien; il nous semble même que depuis quelques jours cet enfant est devenu un garçon. Adieu, mon très cher. Je vous défends de m'écrire, mais je vous conjure de m'aimer. Pour moi, je vous aime; il y a si longtemps que je ne crois plus qu'il soit besoin de vous le dire.

M. DE COULANGES au même.

Vous avez beau dire et beau faire, si faut-il que je vous dise ici, Monsieur, que je suis très aise que vous soyez content de l'intendant et de l'intendante de Lyon'. Ils sont charmés de vous l'un et l'autre ; il n'est pas jusqu'à ma petite belle-sœur * qui ne nous écrive mille belles choses de vous. Ne vous mettez jamais en peine de me faire réponse : souffrez seulement que, me trouvant ici quand on vous écrit, je vous assure toujours que vous n'avez point de serviteur qui vous soit plus acquis que moi.

Madame votre femme est belle comme un ange. Madame votre femme vit comme un ange; et, s'il plaît à Dieu, elle accouchera heureusement d'un ange. Voilà tout ce que j'ai à vous dire pour aujourd'hui. Puisque vous êtes content de ma belle-sœur, trouvez-lui un peu quelque bon parti dans votre province: elle est nièce de M. Le Tellier, et cousine-germaine de M. de Louvois.

87.

Au même.

A Paris, mercredi 19 novembre 1670. Madame de Puisieux dit que, si vous avez envie d'avoir un fils, vous preniez la peine de le faire : je trouve ce discours le plus juste et le meilleur du monde. Vous nous avez laissé une petite fille, nous vous la rendons. Jamais il n'y eut un accouchement si heureux. Vous saurez que ma fille et moi nous allâmes samedi dernier nous promener à l'Ar

1 M. et madame du Gué-Bagnols, dont la fille aînée étoit femme de M. de Coulanges.

Mademoiselle du Gué-Bagnols, qui fut mariée depuis à M. du Gué-Bagnols, intendent de Flandre, son cousin.

senal; elle sentit de petites douleurs; je voulus, au retour, envoyer quérir madame Robinet; elle ne le voulut jamais. On soupa, elle mangea trèsbien M. le coadjuteur et moi nous voulûmes donner à cette chambre un air d'accouchement; elle s'y opposa encore d'une façon qui nous persuadoit qu'elle n'avoit qu'une colique de fille. Enfin, comme j'allois envoyer, malgré elle, querir la Robinette, voilà des douleurs si vives, si extrêmes, si redoublées, si continuelles; des cris si violents, si perçants, que nous comprîmes très-bien qu'elle alloit accoucher. La difficulté, c'est qu'il n'y avoit point de sage-femme : nous ne savions tous où nous en étions; j'étois au désespoir. Ma fille demandoit du secours et une sage-femme; c'étoit alors qu'elle la souhaitoit : ce n'étoit pas sans raison; car, comme nous eûmes fait venir en diligence la sage-femme de la Deville, elle reçut l'enfant un quart d'heure après. Dans ce moment, Pequet arriva, qui aida à la délivrer. Quand tout fut fait, la Robinette arriva un peu étonnée; c'est qu'elle s'étoit amusée à accommoder madame la duchesse, pensant en avoir pour toute la nuit. D'abord Hélène me dit : Madame, c'est un petit garçon. Je le dis au coadjuteur; et puis quand nous le regardâmes de plus près, nous trouvâmes que c'étoit une petite fille. Nous en sommes un peu honteuses, quand nous songeons que tout l'été nous avons fait des bėguins au Saint Père 3, et qu'après de si belles espérances, la signora met au monde une fille. Je vous assure que cela rabaisse le caquet. Rien ne console que la parfaite santé de ma fille; elle n'a pas eu la fièvre de son lait. Sa fille a été baptisée et nommée Marie-Blanche 4; M. le coadjuteur pour M. d'Arles ; et moi pour moi. Voilà un détail qu'on haïroit bien pour des choses indifférentes ; mais on l'aime fort pour celles qui tiennent au cœur. M. le premier président de Provence est revenu exprès

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de Saint-Germain pour faire son compliment ici; jamais je n'ai vu de si grandes apparences d'une veritable amitié. Que vous dirai-je encore? Oserai-je le dire? Je crois que la santé de votre chère épouse vous en consolera : c'est que notre aimable duchesse de Saint-Simon a la petite-vérole si dangereusement que l'on craint pour sa vie. Adieu, mon cher; je laisse à votre pauvre cœur à démêler tous ces divers sentiments; vous savez les miens il y a long-temps sur votre sujet. Les médisants disent que Blanche d'Adhemar ne sera pas d'une beauté surprenante; et les mêmes gens ajoutent qu'elle vous ressemble: si cela est, vous ne doutez pas que je ne l'aime fort.

88.

Au même.

A Paris, mercredi 26 novembre 1670.

Vous avez une lettre de votre chère femme; n'est-ce pas une folie de se mêler de vous écrire? Ce n'est aussi que pour vous dire que madame la duchesse de Saint-Simon est hors de tout danger. Le jour que je vous écrivis, elle avoit reçu tous ses sacrements, et l'on ne croyoit pas qu'elle dût vivre deux jours. Présentement, vous pouvez sentir toute la joie que vous donne la bonne santé de ma fille. Elle a reçu tantôt une nouvelle qui lui donne beaucoup de déplaisir; elle croyoit que le petit de Noirmoutier 1 dût être aveugle; elle avoit fait là-dessus toutes ses réflexions morales et chrétiennes ; elle en avoit eu toute la pitié que méritoit un tel accident : tout d'un coup on lui vient dire qu'il verra clair, et que ses pauvres yeux, que la fluxion avoit mis hors de la tête, y étoient rentrés beureusement comme si de rien n'étoit : là-dessus, elle demande ce qu'on veut qu'elle fasse de ses réflexions, et dit qu'on vient lui déranger ses pensées ; qu'on a bien peu de considération pour elle de lui dire cette nouvelle avant que les neuf jours soient passés. Enfin nous avons tant ri de cette folie, que nous avions peur qu'elle n'en fût malade.

'Antoine-François de La Trémouille, duc de Noirmoutier, il étoit alors âgé de 18 ans.

M. le Grand et le maréchal de Bellefond courent lundi dans le bois de Boulogne, sur des chevaux vites comme des éclairs: il y a trois mille pistoles de pari pour cette course.

89.

Au même.

A Paris, vendredi 28 novembre 1670.

Ne parlons plus de cette femme, nous l'aimons au-delà de toute raison; elle se porte très-bien, et je vous écris en mon propre et privé nom. Je veux vous parler de M. de Marseille', et vous conjurer, par toute la confiance que vous pouvez avoir en moi, de suivre mes conseils sur votre conduite avec lui. Je connois les manières des provinces, et je sais le plaisir qu'on y prend à nourrir les divisions; en sorte qu'à moins que d'être toujours en garde contre les discours de ces messieurs, on prend insensiblement leurs sentiments, et très-souvent c'est une injustice. Je vous assure que le temps ou d'autres raisons ont changé l'esprit de M. de Marseille depuis quelques jours il est fort adouci, et, pourvu que vous ne vouliez pas le traiter comme un ennemi, vous trouverez qu'il ne l'est pas. Prenons-le sur ses paroles, jusqu'à ce qu'il ait fait quelque chose de contraire; rien n'est plus capable d'ôter tous les bons sentiments que de marquer de la défiance; il suffit souvent d'être soupçonné comme ennemi pour le devenir : la dépense en est toute faite, on n'a plus rien à ménager. Au contraire, la confiance engage à bien faire; on est touché de la bonne opinion des autres, et on ne se résout pas facilement à la perdre. Au nom de Dieu, desserrez votre cœur, et vous serez peut-être surpris par un procédé que vous n'attendez pas. Je ne puis croire qu'il y ait du venin caché dans son cœur, avec toutes les démonstrations qu'il nous fait, et dont il seroit honnête d'être la dupe, plutôt que d'être capable de le soupçonner injustement. Suivez mes avis, ils ne sont pas de moi seule : plusieurs bonnes têtes vous demandent cette conduite, et vous assurent que vous n'y serez pas trompé. Votre

Toussaint de Forbin-Janson, évêque de Mar seille, depuis évêque et comte de Beauvais, cardinal et grand-aumônier de France.

famille en est persuadée : nous voyons les choses de plus près que vous; tant de personnes qui vous aiment, et qui ont un peu de bon sens, ne peuvent guère s'y méprendre.

Je vous mandai l'autre jour que M. le premier président de Provence étoit venu de Saint-Germain exprès, aussitôt que ma fille fut accouchée, pour lui faire son compliment: on ne peut témoigner plus d'honnêteté, ni prendre plus d'intérêt à ce qui vous touche. Nous l'avons revu aujourd'hui; il nous a parlé le plus franchement et le mieux du monde sur l'affaire que vous ferez proposer à l'assemblée (des États de Provence): il nous a dit qu'on vous avoit envoyé des ordres pour la convoquer, et qu'il vous écrivoit pour vous faire part de ses conseils, que nous avons trouvés trèsbons. Comme on ne connoit d'abord les hommesque par les paroles, il faut les croire jusqu'à ce que les actions les détruisent; on trouve quelquefois que les gens qu'on croit ennemis ne le sont point; on est alors fort honteux de s'être trompé; il suffit qu'on soit toujours reçu à se hair, quand on y est autorisé. Adieu, mon cher Comte, je me fonde en raison, et je vous importune.

Madame de Coulanges m'a mandé que vous m'aimiez; quoique ce ne me soit pas une nouvelle, je dois être fort aise que cette amitié résiste à l'absence et à la Provence, et qu'elle se fasse sentir dans les occasions.

J'ai bien à vous remercier des bontés que vous avez eues pour ***, il m'en est revenu de grands compliments. Le roi a eu pitié de lui; il n'est plus sur les galères, il n'a plus de chaîne, et demeure à Marseille en liberté. On ne peut trop louer le roi de cette justice et de cette bonté.

90.

Au même.

A Paris, mercredi 3 décembre 1670. Hélas! c'est donc à moi à vous mander la mort de madame la duchesse de Saint-Simon, après dixhuit jours de petite-vérole, tantôt sauvée, tantôt à l'extrémité? Enfin, elle mourut hier, et sa mort laisse presque tout le monde affligé de la perte d'une si aimable personne. Pour moi, j'en suis touchée au dernier point. Vous savez l'inclination naturelle

que j'avois pour elle; si vous en avez conservé autant, vous serez fâché d'apprendre une si triste nouvelle.

Au reste, le père Bourdaloue prêche divinement bien aux Tuileries '. Nous nous trompions dans la pensée qu'il ne joueroit bien que dans son tripot; il passe infiniment tout ce que nous avons ouï.

Adieu, mon très cher Comte, notre frère a prêché tantôt avec une approbation générale et sincère.

91.

Au même.

A Paris, mercredi 10 décembre 1670. Madame de Coulanges m'a mandé plus de quatre fois que vous m'aimiez de tout votre cœur, que vous parliez de moi, que vous me souhaitiez. Comme j'ai fait toutes les avances de cette amitié, et que je vous ai aimé la première, vous pouvez juger à quel point mon cœur est content d'apprendre que vous répondez à cette inclination que j'ai pour vous depuis si long-temps. Tout ce que vous écrivez de votre fille est admirable; je n'ai point douté que la bonne santé de la mienne ne vous consolât de tout. J'aurois eu trop de joie de vous apprendre la naissance d'un petit garçon; mais c'eût été trop de biens tout à-la-fois, et ce plaisir que j'ai naturellement à dire de bonnes nouvelles, eût été jusqu'à l'excès. Je serai bientôt dans l'état où vous me vites l'année passée; il faut que je vous aime bien pour vous envoyer ma fille par un si mauvais temps. Quelle folie de quitter une si bonne mère, dont vous m'assurez qu'elle est si contente, pour aller chercher un homme au bout de la France ! Je vous assure qu'il n'y a rien qui choque tant la bienséance que ces sortes de conduites. Je crois que vous aurez été touché de la mort de cette aimable duchesse. J'étois si affligée moi-même, que j'aurois eu besoin de consolation en vous écrivant.

Ma fille me prie de vous mander le mariage de M. de Nevers : ce M. de Nevers si difficile à ferrer, ce M. de Nevers si extraordinaire, qui

1 C'est-à-dire à la cour qui était alors au palais des Tuileries.

2 Philippe-Julien Mazarini-Mancini, duc de Ne

vers.

glisse des mains alors qu'on y pense le moins; il épouse enfin, devinez qui? Ce n'est point mademoiselle d'Houdancourt, ni mademoiselle de Grancei ; c'est mademoiselle de Thianges', jeune, jolie, modeste, élevée à l'Abbaye-aux-Bois. Madame de Montespan en fait les noces dimanche; elle en fait comme la mère, et en reçoit tous les honneurs. Le roi rend à M. de Nevers toutes ses charges; de sorte que cette belle, qui n'a pas un sou, lui vaut mieux que la plus grande héritière de France. Madame de Montespan fait des merveilles partout. Je vous défends de m'écrire : écrivez à ma fille, et laissez-moi la liberté de vous écrire, sans vous embarquer dans des réponses qui m'ôteroient le plaisir de vous mander des bagatelles. Aimez-moi toujours, mon cher Comte, je vous quitte d'honorer ma grand'maternité; mais il faut m'aimer, et vous assurer que vous n'êtes aimé en nul lieu du monde si chèrement qu'ici.

Ne manquez pas d'écrire à madame de Brissac2, je l'ai vue aujourd'hui; elle est très-affligée: elle m'a parlé du déplaisir qu'elle croit que vous aurez en apprenant la mort de sa mère.

M. de Foix est quelquefois à l'extrémité, quelquefois mieux; je ne répondrai point cette année de la vie de ceux qui ont la petite-vérole.

Il y a ici un jeune fils du landgrave de Hesse, qui est mort de la fièvre continue sans avoir été saigné : sa mère lui avoit recommandé en partant de ne point se faire saigner à Paris; il ne s'est point fait saigner, il est mort.

Noirmoutier est aveugle sans ressource; madame de Grignan peut reprendre toutes les vieilles réflexions qu'elle avoit faites là-dessus. La cour est ici, et le roi s'y ennuie à tel point, qu'il ira toutes les semaines trois ou quatre jours à Versailles.

Le maréchal de La Ferté dit ici des choses non pareilles; il a présenté à sa femme le comte de Saint-Paul et le petit Bon*, en qualité de jeunes

' Diane-Gabrielle de Damas, fille de Claude-Léonor, marquis de Thianges, et de Gabrielle de Rochechouart-Mortemar, sœur de madame de Montespan. * Gabrielle-Louise de Saint-Simon, duchesse de Brissac, fille de Claude, duc de Saint-Simon, et de Diane-Henriette de Budos. Elle avoit été mariée à 17 ans, en 1663, et elle étoit sœur du premier lit du duc de Saint-Simon, auteur des Mémoires. Depuis duc de Longueville.

Le comte de Fiesque.

gens qu'il faut présenter aux dames. Il fit des reproches au comte de Saint-Paul d'avoir été si longtemps sans l'être venu voir. Le comte a répondu qu'il étoit venu plusieurs fois chez lui, qu'il falloit donc qu'on ne lui eût pas dit.

92. *

De madame DE SÉVIGNÉ à M. DE COULANGES.

A Paris, lundi 15 décembre 1670.

Je m'en vais vous mander la chose la plus étonnante, la plus surprenante, la plus merveilleuse, la plus miraculeuse, la plus triomphante, la plus étourdissante, la plus inouie, la plus singulière, la plus extraordinaire, la plus incroyable, la plus imprévue, la plus grande, la plus petite, la plus rare, la plus commune, la plus éclatante, la plus secrète jusqu'à aujourd'hui, la plus brillante, la plus digne d'envie; enfin une chose dont on ne trouve qu'un exemple dans les siècles passés : encore cet exemple n'est-il pas juste; une chose que nous ne saurions croire à Paris : comment la pourroit-on croire à Lyon? une chose qui fait crier miséricorde à tout le monde ; une chose qui comble de joie madame de Rohan et madame d'Hauterive; une chose enfin qui se fera dimanche, où ceux qui la verront croiront avoir la berlue ; une chose qui se fera dimanche, et qui ne sera peut-être pas faite lundi. Je ne puis me résoudre à la dire, devinez-la, je vous le donne en trois; jetez-vous votre langue aux chiens? Hé bien ! il faut donc vous la dire: M. de Lauzun épouse dimanche au Louvre, devinez qui? Je vous le donne en quatre, je vous le donne en dix, je vous le donne en cent. Madame de Coulanges dit : Voilà qui est bien difficile à deviner; c'est madame de La Vallière: point du tout, Madame; c'est donc mademoiselle de Retz? Point du tout, vous êtes bien provinciale. Ah! vraiment nous sommes bien bêtes, dites-vous, c'est mademoiselle Colbert. Encore moins. C'est assurément mademoiselle de Créqui, vous n'y êtes pas. Il faut donc à la fin vous le dire : il épouse, dimanche au Louvre, avec la permission du roi, Mademoiselle,

'Antoine Nompar de Caumont, marquis de Puiguilhem, depuis duc de Lauzun.

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vinez le nom; il épouse Mademoiselle, ma foi, par ma foi! ma foi jurée ! MADEMOISELLE, la grande Mademoiselle, Mademoiselle, fille de feu MONSIEUR, Mademoiselle, petite-fille de HENRI IV, mademoiselle d'Eu, mademoiselle de Dombes, mademoiselle de Montpensier, mademoiselle d'Orléans, Mademoiselle, cousine-germaine du Roi; Mademoiselle, destinée au trône; Mademoiselle, le seul parti de France qui fût digne de MONSIEUR. Voilà un beau sujet de discourir. Si vous criez, si vous êtes hors de vous-même, si vous dites que nous avons menti, que cela est faux, qu'on se moque de vous, que voilà une belle raillerie, que cela est bien fade à imaginer; si enfin vous nous dites des injures, nous trouverons que vous avez raison; nous en avons fait autant que vous. Adieu; les lettres qui seront portées par cet ordinaire vous feront voir si nous disons vrai ou non.

95.*

De madame DE SÉVIGNÉ au comte DE BUSSY.

A Paris, ce 19 décembre 1670. Voilà M. de Plombières à qui je parlois de vous avec plaisir et déplaisir. Je ne vous fais pas valoir la douleur que j'ai de l'état de votre fortune: ce seroit vouloir excroquer des reconnoissances. Quand je vois des gens fort heureux, je suis au désespoir; cela n'est pas d'une belle ame; mais le moyen aussi de souffrir des coups de tonnerre de bonheur, comme il y en a, dit-on, pour les inclinations? Je vous remercie de votre compliment sur l'accouchement de ma fille, c'en est trop pour une troisième fille de Grignan; mais que dites-vous de la charge de grand-maréchal des logis qu'on vient de donner à notre cousin de Thianges?

Rodrigue, qui l'eût cru? Chimène, qui l'eût dit?

Je me tais tout court: j'irois trop loin si je ne me retenois; je dirai encore pourtant que je suis au désespoir quand je vois des gens heureux sans raison, et vous en l'état où vous êtes. Je trouve mon

Gaston de France, duc d'Orléans, frère de Louis XIII, mort à Blois en 1661.

intérêt si mêlé avec le vôtre, et l'amour-propre si confondu avec l'amitié, qu'il est impossible de les démêler.

La lettre que vous me faites l'honneur de m'écrire pour me dédier notre généalogie est trop ainiable et trop obligeante: il faudroit être parfaite, c'est-à-dire n'avoir point d'amour - propre, pour n'être pas sensible à des louanges si bien assaisonnées; elles sont même choisies, et tournées d'une manière que, si l'on n'y prenoit garde, on se laisseroit aller à la douceur de croire en mériter une partie, quelque exagération qu'il y ait. Vous devriez, mon cher cousin, avoir toujours été dans cet aveuglement, puisque je vous ai toujours aimé, et que je n'ai jamais mérité votre haine. N'en parlons plus; vous réparez trop bien le passé, et d'une manière si noble et si naturelle, que je veux bien présentement vous en devoir le reste. Adieu, Comte, c'est grand dommage que nos étoiles nous aient séparés. Nous étions bien propres à vivre dans une même ville: nous nous entendons, ce me semble, à demi mot. Je ne me réjouis pas bien sans vous; et si je ris, cela ne passe le nœud de la gorge. M. de Plombières me paroît passionné pour vous. Je voudrois bien, comme dit le maréchal de Grammont, que ce qu'il a dans la tête pour vous pût passer dans une autre tête que je dirois bien.

** 94.

Du comte DE BUSSY à madame DE SÉVIGNÉ.

A Chaseu, ce 23 décembre 1670.

De la manière que je vois que ma mauvaise fortune vous tonche, Madame, c'est à moi à vous consoler; car, pour mon particulier, je vous assure que j'en suis tout consolé, et plus je vois de choses extraordinaires sur la bonne fortune des autres, plus j'ai l'esprit en repos, comme je vous le disois l'autre jour ces coups-là honorent les honnêtes malheureux, et font croire que le même caprice qui fait faire des fortunes prodigieuses à de certaines gens, fait éprouver à d'autres de grandes disgraces sans fondement. Telles et semblables réflexions que je fais, jointes à la nécessité, m'ont fait prendre le parti de ne me plus

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