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a que vous qui puissiez comprendre, car je viens de recevoir votre lettre: elle vaut mieux que tout ce que je puis écrire. Vous mettez ma modestie à une trop grande épreuve, en me mandant de quelle manière je suis avec vous et avec votre cher solitaire. Il me semble que je le vois et que je l'entends dire ce que vous me mandez: je suis au désespoir que ce ne soit pas moi qui aiedit: La métamorphose de Pierrot en Tartufe. Cela est si naturellement dit, que si j'avois autant d'esprit que vous m'en croyez, je l'aurois trouvé au bout de ma plume.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très-vraie, et qui vous divertira. Le roi se êle depuis peu de faire des vers: messieurs de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Grammont: M. le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent parce qu'on sait que depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : Sire, votre majesté juge divinement bien de toutes choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. Le roi se mit à rire, et lui dit : N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh! bien! dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement: c'est moi qui l'ai fait. Ah! sire, quelle trahison! que votre majesté me le rende: je l'ai lu brusquement. Non, M. le maréchal; les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrois que le roi en fit là-dessus, et qu'il jugeât par-là combien il est loin de connoitre jamais la vérité. Nous sommes sur le point d'en avoir une bien cruelle, qui est le rachat de nos rentes sur un pied qui nous envoie à l'hôpital. L'émotion est grande, mais la dureté l'est encore plus. Ne trouvez-vous point que c'est entreprendre bien des choses à la fois? Celle qui me touche le plus n'est pas celle qui me fait perdre une partie de mon bien.

Mardi 2 décembre.

Notre cher et malheureux ami a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement, que plusieurs n'ont pu s'empêcher de l'admirer. M. Renard a dit, entre autres: « Il faut avouer que cet » homme est incomparable; il n'a jamais si bien » parlé dans le parlement, il se possède mieux » qu'il n'a jamais fait. » C'étoit encore sur les six millions et sur ses dépenses. Il n'y a rien de com parable à ce qu'il a dit là-dessus. Je vous écrirai jeudi et vendredi, qui seront les deux derniers jours de l'interrogation, et je continuerai encore jusqu'au bout.

Dieu veuille que ma dernière lettre vous apprenne ce que je souhaite le plus ardemment. Adieu, mon très-cher Monsieur; priez notre solitaire (Arnauld d'Andilly) de prier Dieu pour notre pauvre ami. Je vous embrasse tous deux de tout mon cœur, et, par modestie, j'y joins madame votre femme.

Pour toute la famille du malheureux, la tranquillité y règne. On dit que M. de Nesmond a témoigné en mourant que son plus grand déplaisir étoit de n'avoir pas été d'avis de la récusation de ces deux juges; que s'il eût été à la fin du procès, il auroit réparé cette faute; qu'il prioit Dieu qu'il lui pardonnât celle qu'il avait faite.

Mardi 3 décembre.

M. Fouquet a parlé aujourd'hui deux heures entières sur les six millions; il s'est fait donner audience, il a dit des merveilles; tout le monde en étoit touché, chacun selon son sentiment. Pussort faisoit des mines d'improbation et de négative, qui scandalisoient les gens de bien.

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Quand M. Fouquet a eu cessé de parler, M. Pussort s'est levé impétueusement, et a dit : « Dieu merci, on ne se plaindra pas qu'on ne l'ait laissé >> parler tout son saoûl. Que dites-vous de ces paroles? Ne sont-elles pas d'un bon juge? On dit que le chancelier est fort effrayé de l'érysipele de M. de Nesmond, qui l'a fait mourir; il craint que ce ne soit une répétition pour lui. Si cela pouvoit lui donner les sentiments d'un homme qui va paroître devant Dieu, encore seroit-ce quelque chose; mais il faut craindre qu'on ne disc de lui comme d'Argant e mori come visse.

59.

Au même.

Jeudi 4 décembre 1064. Enfin les interrogations sont finies ce matin. M. Fouquet est entré dans la chambre; M. le chancelier a fait lire le projet tout du long. M. Fouquet a repris la parole le premier, et a dit : Monsieur, je crois que vous ne pouvez tirer autre chose de ce papier, que l'effet qu'il vient de faire, qui est de me donner beaucoup de confusion. M. le chancelier a dit: Cependant vous venez d'entendre, et vous avez pu voir par-là que cette grande passion pour l'état, dont vous nous avez parlé tant de fois, n'a pas été si considérable que vous n'ayez pensé à le brouiller d'un bout à l'autre. Monsieur, a dit M. Fouquet, ce sont des pensées qui me sont venues dans le fort du désespoir où me mettoit quelquefois M. le cardinal, principalement lorsqu'après avoir contribué plus que personne du monde à son retour en France, je me vis payé d'une si noire ingratitude. J'ai une lettre de lui et une de la reine-mère, qui font foi de ce que je dis; mais on les a prises dans mes papiers, avec plusieurs autres. Mon malheur est de n'avoir pas brûlé ce misérable papier, qui étoit tellement hors de ma mémoire et de mon esprit, que j'ai été près de deux ans sans y penser, et sans croire l'avoir. Quoi qu'il en soit, je le désavoue de tout mon cœur, et je vous supplie de croire, Monsieur, que ma passion pour la personne et pour le service du roi n'en a pas été diminuée. M. le chancelier a dit : Il est bien difficile de le croire, quand on voit une pensée opiniâtre exprimée en différents temps. M. Fouquet a répondu : Monsieur, dans tous les temps, et même au péril de ma vie, je n'ai jamais abandonné la personne du roi; et dans ce temps-là vous étiez, Monsieur, le chef du conseil de ses ennemis, et vos proches donnoient passage à l'armée qui étoit contre lui.

M. le chancelier a senti ce coup; mais notre pauvre ami étoit échauffé, et n'étoit pas tout-à-fait le maître de son émotion. Ensuite on lui a parlé de ses dépenses; il a dit: Je m'offre à faire voir que je n'en ai fait aucune que je n'aie pu faire, soit par mes revenus, dont M. le cardinal avoit connoissance, soit par mes appointements, soit par le bien de ma femme; et si je ne prouve ce que je dis, je

consens d'être traité aussi mal qu'on le peut imaginer. Enfin cet interrogatoire a duré deux heures, où M. Fouquet a très-bien dit, mais avec chaleur et colère, parceque la lecture de ce projet l'avoit extrêmement touché.

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Quand il a été parti, M. le chancelier a dit: Voici la dernière fois que nous l'interrogerons. M. Poncet s'est approché de M. le chancelier, et lui a dit Monsieur, vous ne lui avez pas parlé des preuves qu'il y a, comme il a commencé à exécuter le projet. M. le chancelier a répondu : Monsieur, elles ne sont pas assez fortes, il y auroit répondu trop facilement. Là-dessus, Sainte-Hélène et Pussort ont dit : Tout le monde n'est pas de ce sentiment. Voilà de quoi rêver et faire des reflexions. A demain le reste.

Vendredi 5 décembre.

On a parlé ce matin des requêtes, qui sont de peu d'importance; sinon autant que les gens de bien y voudront avoir égard en jugement. Voilà qui est donc fait; c'est à M. d'Ormesson à parler; il doit récapituler toute l'affaire : cela durera encore toute la semaine prochaine, c'est-à-dire, qu'entre ceci et là, ce n'est pas vivre que la vie que nous passerons. Pour moi, je ne suis pas reconnoissable, et je ne crois pas que je puisse aller jusque-là. M. d'Ormesson m'a priée de ne le plus voir que l'affaire ne soit jugée; il est dans le conclave, et ne veut plus avoir de commerce avec le monde. Il affecte une grande réserve; il ne parle point, mais il écoute; et j'ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je pense. Je vous manderai tout ce que j'apprendrai. Hé! Dieu veuille que ma dernière nouvelle soit bonne! je la désire. Je vous assure que nous sommes tous à plaindre, j'entends vous et moi, et ceux qui en font leur affaire comme nous. Adieu, mon cher Monsieur, je suis si triste et si accablée ce soir, que je n'en puis plus.

40.

Au même.

Mardi 9 décembre 1664.

Je vous assure que ces jours sont bien longs à passer, et que l'incertitude est une épouvantable

chose: c'est un mal que toute la famille du pauvre prisonnier ne connoît point. Je les ai vus, je les ai admirés. Il semble qu'ils n'aient jamais su ni lu ce qui est arrivé dans les temps passés; ce qui m'étonne encore plus, c'est que Sapho (mademoiselle de Scuderi) est tout de même; elle dont l'esprit et la pénétration n'ont point de bornes. Quand je médite là-dessus, je me flatte, et je suis persuadée, ou du moins je me veux persuader qu'elles en savent plus que moi. D'un autre côté, quand je raisonne avec d'autres gens moins prévenus, et dont le sens est admirable, je trouve nos mesures si justes, que ce sera un vrai miracle si la chose ne va pas comme nous le souhaitons. On ne perd souvent que d'une voix, et cette voix fait tout. Je me souviens de ces récusations, dont ces pauvres femmes pensoient être assurées; il est vrai que nous les perdimes de cinq à dix-sept; depuis cela, leur assurance m'a donné de la défiance. Cependant, au fond de mon cœur, j'ai un petit brin d'espérance. Je ne sais d'où il vient, ni où il va, et même il n'est pas assez grand pour faire que je puisse dormir en repos. Je causai hier de toute cette affaire avec madame du Plessis; je ne puis voir que les gens avec qui j'en puis parler, et qui sont dans les mêmes sentimens que moi. Elle espère, comme je fais, sans en savoir la raison. Mais pourquoi espéIez-vous ? Parce que j'espère: voilà nos réponses; ne sont-elles pas bien raisonnables? Je lui disois avec la plus grande vérité du monde que, si nous avions un arrêt tel que nous le souhaitons, le comble de ma joie étoit de penser que je vous enverrois un homme à cheval, à toute bride, qui vous apprendroit cette agréable nouvelle, et que le plaisir d'imaginer celui que je vous ferois rendroit le mien entièrement complet. Elle comprit cela comme moi; et notre imagination nous donna dans cette pensée plus d'un quart d'heure de campos. Cependant je veux rajuster la dernière journée de l'interrogatoire sur le crime d'état. Je vous l'avois mandée comme on me l'avoit dite, mais la même personne s'en est mieux souvenue, et me l'a redite à moi. Tout le monde en a été instruit par plusieurs juges. Après que M. Fouquet eut dit que les seuls effets que l'on pouvoit tirer du projet, c'étoit de lui avoir donné la confusion de l'entendre, M. le chancelier lui dit : Vous ne pouvez pas dire que ce ne soit là un crime d'état. Il répondit: Je confesse,

Monsieur, que c'est une folie et une extravagance, mais non pas un crime d'état. Je supplie ces messieurs, dit-il, en se tournant vers les juges, de trouver bon que j'explique ce que c'est qu'un crime d'état ce n'est pas qu'ils ne soient plus habiles que nous, mais j'ai eu plus de loisir qu'eux pour l'examiner. Un crime d'état, c'est quand on est dans une charge principale, qu'on a le secret du prince, et que tout d'un coup on se met du côté de ses ennemis; qu'on engage toute sa famille dans les mêmes intérêts; qu'on fait ouvrir les portes des villes dont on est gouverneur à l'armée des ennemis, et qu'on la ferme à son véritable maître; qu'on porte dans le parti tous les secrets de l'état : voilà, messieurs, ce qui s'appelle un crime d'état. M. le chancelier ne savoit où se mettre, et tous les juges avoient fort envie de rire. Voilà au vrai comme la chose se passa. Vous m'avouerez qu'il n'y a rien de plus spirituel, de plus délicat, et même de plus plaisant.

Toute la France a su et admiré cette réponse. Ensuite il se démentit en détail, et a dit ce que je vous ai mandé. J'aurois eu sur le cœur que vous n'eussiez point su cet endroit; notre cher ami y auroit beaucoup perdu. Ce matin, M. d'Ormesson a commencé à récapituler toute l'affaire ; il a fort bien parlé, et fort nettement. Il dira jeudi son avis. Son camarade parlera deux jours: on prend quelques jours encore pour les autres opinions. Il y a des juges qui prétendent bien s'étendre; de sorte que nous avons encore bien à languir jusqu'à la semaine qui vient. En vérité ce n'est pas vivre que d'être en l'état où nous sommes.

Mercredi 10 décembre.

M. d'Ormesson a continué la récapitulation du procès; il a fait des merveilles, c'est-à-dire il a parlé avec une netteté, une intelligence et une capacité extraordinaires. Pussort l'a interrompu cinq ou six fois, sans autre dessein que de l'empêcher de si bien dire; il lui a dit sur un endroit qui paroissoit fort pour M. Fouquet: Monsieur, nous parlerons après vous, nous parlerons après vous.

41.

Au même.

Jeudi 11 décembre 1664.

M. d'Ormesson a continué encore: quand il est venu sur un certain article du marc d'or, Pussort a dit: Voilà qui est contre l'accusé. Il est vrai, a dit M. d'Ormesson, mais il n'y a pas de preuves. Quoi! a dit Pussort, on n'a pas fait interroger ces deux officiers-là? Non, a dit M. d'Ormesson. Ha! cela ne se peut pas! a répondu Pussort. Je n'en ai rien trouvé dans le procès, a dit M. d'Ormesson. Là-dessus Pussort a dit avec emportement : Ha! Monsieur, vous deviez le dire plus tôt, voilà une lourde faute. M. d'Ormesson n'a rien répondu ; mais si Pussort lui eût dit encore un mot, il lui eut répondu : Monsieur, je suis juge, et non pas dénonciateur. Ne vous souvient-il plus de ce que je vous contai une fois à Fresne? Voilà ce que c'est M. d'Ormesson n'a découvert cela que lorsqu'il n'y a point eu de remède. M. le chancelier a interrompu plusieurs fois encore M. d'Ormesson; il lui a dit qu'il ne falloit point parler du projet, et c'est par malice; car plusieurs jugeront que c'est un grand crime, et le chancelier voudroit bien que M. d'Ormesson n'en fit point voir les preuves, qui sont ridicules, afin de ne pas affoiblir l'idée qu'on a voulu donner.

Mais M. d'Ormesson en parlera, puisque c'est un des articles qui composent le procès. Il achèvera demain. Sainte-Hélène parlera samedi. Lundi, les deux rapporteurs diront leur avis, et mardi ils s'assembleront tous dès le matin,' et ne se sépareront point qu'après avoir donné un arrêt. Je suis transie quand je pense à ce jour-là. Cependant la famille a de grandes espérances. Foucault va solliciter partout, et fait voir un écrit du roi, où on lui fait dire qu'il trouveroit fort mauvais qu'il y eût des juges qui appuyassent leur avis sur la soustraction des papiers; que c'est lui qui les a fait prendre; qu'il n'y en a aucun qui serve à la défense de l'accusé; que ce sont des papiers qui touchent son état, et qu'il le déclare, afin qu'on ne pense pas juger là-dessus. Que dites-vous de tout ce bon procédé? N'êtes-vous point désespéré qu'on fasse la chose de cette façon à un prince qui aimeroit la justice et la vérité, s'il les connoissoit? Il

disoit l'autre jour à son lever que Fouquet étoit un homme dangereux; voilà ce qu'on lui met dans la tête. Enfin nos ennemis ne gardent plus aucune mesure ils vont à présent à bride abattue; les menaces, les promesses, tout est en usage; si nous avons Dieu pour nous, nous serons les plus forts; vous aurez peut-être encore une de mes lettres, et si nous avons de bonnes nouvelles, je vous les manderai par un homme exprès à toute bride. Je ne saurois dire ce que je ferai si cela n'est pas; je ne comprends pas moi-même ce que je deviendrai. Mille compliments à notre solitaire et à votre chère moitié. Faites bien prier Dieu.

Samedi 13 décembre.

On a voulu, après avoir bien changé et rechangé, que M. d'Ormesson dit son avis aujourd'hui, afin que le dimanche passât par-dessus, et que Sainte-Hélène, recommençant lundi sur nouveaux frais, fit plus d'impression. M. d'Ormesson a done opiné au bannissement perpétuel et à la confiscation de ses biens au roi. M. d'Ormesson a couronné par-là sa réputation. L'avis est un peu sévère; mais prions Dieu qu'il soit suivi. Il est toujours beau d'aller à l'assaut le premier.

42. Au même.

Mercredi 17 décembre 1664.

Vous languissez, mon pauvre Monsieur, mais nous languissons bien aussi. J'ai été fâchée de vous avoir mandé que l'on auroit mardi un arrêt; car, n'ayant point eu de mes nouvelles, vous avez cru que tout étoit perdu; cependant nous avons encore toutes nos espérances. Je vous mandai samedi comme M. d'Ormesson avoit rapporté l'affaire et opiné; mais je ne vous parlai point assez de l'estime extraordinaire qu'il s'est acquise par cette action. J'ai oui dire à des gens du métier que c'est un chef-d'aruvre que ce qu'il a fait, pour s'être expliqué si nettement, et avoir appuyé son avis sur des raisons si solides et si fortes; il y měla de l'éloquence et même de l'agrément. Enfin jamais homme de sa profession n'a eu une plus belle occasion de paroître, et ne s'en est mieux servi. S'il avoit voulu ouvrir la porte aux louanges, sa maison n'auroit pas désempli;

mais il a voulu être modeste, et s'est caché avec soin. Son camarade très indigne, Sainte-Hélène, parla lundi et mardi; il reprit l'affaire pauvrement et misérablement, lisant ce qu'il disoit, et sans rien augmenter, ni donner un autre tour à l'affaire : il opina, sans s'appuyer sur rien, que M. Fouquet auroit la tête tranchée, à cause du crime d'état. Et pour attirer plus de monde à lui, et faire un trait de Normand, il dit qu'il falloit croire que le roi donneroit grâce, et pardonneroit; que c'étoit lai seul qui le pourroit faire. Ce fut hier qu'il fit cette belle action, dont tout le monde fut touché, autant qu'on avoit été aise de l'avis de M. d'Or

messon.

Ce matin, Pussort a parlé quatre heures, mais avec tant de véhémence, tant de chaleur, tant d'emportement, tant de rage, que plusieurs juges en furent scandalisés, et on croit que cette furie peut faire plus de bien que de mal à notre pauvre ami. Il a redoublé de force sur la fin de son avis, et a dit, sur ce crime d'état, qu'un certain Espagnol nous devoit faire bien de la honte, qui avoit eu tant d'horreur d'un rebelle, qu'il avoit brûlé sa maison, parce que Charles de Bourbon y avoit passé; qu'à plus forte raison nous devions avoir en abomination le crime de M. Fouquet; que, pour le punir, il n'y avait que la corde et les gibets; mais qu'à cause des parents considérables, il se relâchoit à prendre l'avis de M. de SainteHélène.

Que dites-vous de cette modération? C'est à cause qu'il est oncle de M. Colbert et qu'il a été récusé, qu'il a voulu en user si honnêtement. Pour moi, je saute aux nues quand je pense à cette infamie. Je ne sais si on jugera demain, ou si l'on trainera l'affaire toute la semaine. Nous avons encore de grandes salves à essuyer; mais peut-être que quelqu'un reprendra l'avis de ce pauvre d'Ormesson, qui jusqu'ici a été si mal suivi. Mais écoutez, je vous prie, trois ou quatre petites choses qui sont très-véritables, et qui sont assez extraordinaires. Premièrement, il y a une comète qui paroit depuis quatre jours au commencement, elle n'a été annoncée que par des femmes, on s'en est moqué; mais à présent tout le monde l'a vue. M. d'Artagnan veilla la nuit passée, et la vit fort à son aise. M. de Neuré, grand astrologue, dit qu'elle est d'une grandeur considérable. J'ai vu

M. du Foin qui l'a vue avec trois ou quatre savants. Moi, qui vous parle, je vais veiller cette nuit pour la voir aussi : elle paroît sur les trois heures; je vous en avertis, vous pouvez en avoir le plaisir ou le déplaisir.

Berrier est devenu fou, mais au pied de la lettre; c'est-à-dire, qu'après avoir été saigné excessivement, il ne laisse pas d'être en fureur; il parle de potences, de roues, il choisit des arbres exprès; il dit qu'on le veut pendre, et fait un bruit si épouvantable qu'il le faut tenir et lier. Voilà une punition de Dieu assez visible et assez à point nommé. Il y a eu un nommé Lamothe qui a dit, sur le point de recevoir son arrêt, que MM. de Bezemaux, gouverneur de la Bastille, et Chamillard (on y met Poncet, mais je n'en suis pas si assurée), l'avoient pressé plusieurs fois de parler contre M. Fouquet et contre de Lorme; que moyennant cela ils le feroient sauver, et qu'il ne l'a pas voulu, et le déclare avant que d'être jugé. Il a été condamné aux galères. Mesdames Fouquet ont obtenu une copie de cette déposition, qu'elles présenteront demain à la chambre. Peut-être qu'on ne la recevra pas, parce que l'on est aux opinions; mais elles peuvent le dire; et comme ce bruit est répandu, il doit faire un grand effet dans l'esprit des juges. N'est-il pas vrai que tout ceci est bien extraordinaire?

Il faut que je vous raconte encore une action héroïque de Masnau: il étoit malade à mourir, il y a huit jours, d'une colique néphrétique, il prit plusieurs remèdes, et se fit saigner à minuit. Le lendemain, à sept heures, il se fit traîner à la chambre de justice, il y souffrit des douleurs inconcevables. M. le chancelier le vit pâlir, il lui dit: Monsieur, vous n'en pouvez plus, retirezvous. Il lui répondit: Monsieur, il est vrai, mais il faut mourir ici. M. le chancelier, le voyant quasi s'évanouir, lui dit, le voyant s'opiniâtrer: Hé bien, Monsieur, nous vous attendrons. Sur cela il sortit un quart d'heure, et dans ce temps, il fit deux pierres d'une grosseur si considérable, qu'en vérité cela pourrait passer pour un miracle, si les hommes étoient dignes que Dieu en voulût faire. Ce bonhomme rentra gai et gaillard, et chacun fut surpris de cette aventure.

Voilà tout ce que je sais. Tout le monde s'intéresse dans cette grande affaire. On ne parle d'autre

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