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ainsi, elle ne serait point vraie en elle-même et nous serions dans une erreur invincible. Or, en Dieu, être éminemment simple, il n'y a point de figures, bien qu'il y ait perception de ces figures. Donc, en Dieu, la connaissance des choses finies se rapporte à leur existence en tant que possible, et, partant, elle implique la condition « si elles existent ».

La connaissance en Dieu ne se rapporte point à la représentation purement idéale, mais à la réalité de cette représentation actuelle ou possible. Lorsque Dieu connaît une vérité sur les êtres finis, cette vérité n'est pas seulement la représentation des vérités qu'il possède en lui-même, mais de ce que ces vérités seraient, posé leur réalisation extérieure ou leur existence.

59. On peut considérer un objet sous deux points de vue dans l'ordre réel ou dans l'ordre idéal. L'ordre idéal est la représentation de cet objet dans un entendement, représentation qui n'a de valeur qu'en tant qu'elle se rapporte à la réalité actuelle ou possible. C'est ainsi seulement que l'idée est objective; autrement elle serait un fait purement subjectif, duquel on ne pourrait affirmer ou nier que le subjectif pur. L'idée que nous avons du triangle est pour nous une occasion de connaissance et de combinaisons en tant que son objet est réel ou possible; ce que nous affirmons ou nions de cette idée, nous le rapportons à son objet. Que l'objet disparaisse, l'idée devient un fait purement subjectif, auquel, sans une contradiction flagrante, nous ne pourrons appliquer les propriétés de la figure triangulaire.

CHAPITRE IX.

Idée de la négation.

60. On dit l'entendement ne conçoit point le néant; proposition vraie dans ce sens que nous ne le concevons point comme quelque chose; il y aurait contradiction. Le non être n'est rien; toutefois, nous concevons le non être. Le principe de contradiction, fondement de nos connaissances, « il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en un même temps,> repose sur cette perception.

61. On dira, peut-être, concevoir le néant c'est ne concevoir pas; or je le nie; en effet, concevoir qu'une chose n'est point ou ne la point concevoir ne sauraient être une même chose. Le premier fait implique un jugement négatif, qui se peut exprimer par une proposition négative; le second est la simple absence de la perception. Le premier est objectif, le second subjectif. Durant le sommeil, nous ne percevons point les objets; dira-t-on que cette non perception équivaut à percevoir que les choses ne sont point? On peut dire d'une pierre qu'elle ne perçoit point une autre pierre, mais non qu'elle perçoit le non être d'une autre pierre.

62. La perception du non être est un acte positif; et l'on ne peut dire, sans contradiction, qu'elle soit

la perception même de l'être; il suivrait qu'en percevant l'ètre nous percevrions sa négation, le non ètre, et vice versa, ce qui est absurde.

63. Il est vrai que nous percevons le non être relativement à l'être. Un entendement percevant, sans aucune idée d'être, le non être absolu, est chose incompréhensible; mais cela ne prouve point que les deux idées ne soient pas distinctes et contradictoires.

64. Chose étrange! l'idée de la négation se trouve non-sculement dans les principes fondamentaux de toute connaissance : « il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps; » « telle chose est ou n'est point; » mais elle entre dans presque toutes nos perceptions. Concevoir les êtres distinctement, c'est concevoir que l'un n'est pas l'autre; toute proposition, même affirmative, implique la négation. Ainsi l'idée du non être est comme l'idée de l'être, absolue et relative; l'on peut dire également : « le soleil est;»« les diamètres d'un même cercle sont égaux; « le phénix n'est point; » « les diamètres d'une ellipse ne sont point égaux. »

65. Demandez à ceux qui soutiennent que toute idée est l'image de l'objet, quelle est l'image de l'idée du non être. Nous avons déjà démontré qu'il ne faut point se représenter toutes les idées comme les types des choses; souvent, en effet, il nous est impossible d'expliquer ces phénomènes internes que nous nommons idées, bien qu'ils nous aident eux-mêmes à connaître les objets et à nous en rendre compte.

66. L'objet de l'intelligence, dit-on pareillement, c'est l'être, ce qu'il ne faut point expliquer dans ce sens que l'entendement ne perçoive point le non être; nous percevons le non être en le coordonnant à l'être; mais pour lui-même le néant ne saurait être origine de connaissance.

Remarquons toutefois une différence importante entre ces deux idées. L'idée de l'être peut s'étendre à toute chose; plus il y a d'être dans l'idée, plus notre conception embrasse. Que si l'on suppose un être sans aucune limite, ou, ce qui est la même chose, sans négation, on aura l'être infini. La perception du non être, au contraire, manifeste dans les objets et leur limite et leurs rapports. Etendons le non être; à mesure qu'il se rapproche de sa limite, c'est-à-dire du non être pur, du néant absolu, l'entendement voit s'évanouir les objets de ses connaissances; les points de comparaison, les éléments de combinaison lui manquent, toute lumière s'éteint, l'intelligence expire.

67. Nous concevons le néant universel, absolu comme une condition momentanée; mais impossible de l'admettre en réalité; on le suppose, voilà tout. S'il était possible d'imaginer un instant durant lequel il n'eût rien existé, il n'existerait rien. Le néant absolu n'offre à l'intelligence aucun point de départ. Toute combinaison est impossible, absurde; l'air manque, l'esprit se sent défaillir dans le vide qu'il a fait.

68. L'idée de la négation est complétement stérile, à moins qu'elle ne se combine avec l'idée de

l'être; mais, ainsi combinée, elle possède une sorte de fécondité. Les idées de distinction, de limitation, de manière d'être impliquent une négation relative; nous ne concevons point d'êtres distincts sans concevoir que l'un n'est pas l'autre; d'êtres limités sans concevoir qu'il leur manque, c'est-à-dire, en un certain sens, qu'ils ne sont point; d'êtres déterminés sans concevoir quelque chose qui les fait tels et non autres qu'ils ne sont.

CHAPITRE X.

Identité, distinction ; unité, multiplicité.

69. Voyons comment l'idée du non être donne l'explication des idées d'identité et de distinction, d'unité et de multiplicité.

Concevons un être, sans le comparer à quelque chose qui ne soit point lui, en nous arrêtant uniquement à lui, et en dehors de toute idée de non être; nous aurons les idées d'identité et d'unité, relativement à cet être; ou plutôt ces idées d'identité et d'unité ne seront autre chose que l'idée de l'être. Que si les idées d'identité et d'unité se peuvent ainsi expliquer par elles-mêmes, c'est qu'elles sont simples, ou qu'elles se confondent avec une idée simple dans laquelle il n'entre point de comparaison; la négation, lorsqu'elle s'y trouve, n'est pas remarquée, elle ne

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