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quences que l'on peut tirer de son principe. Il avait dit, sans détours, sans restrictions: Tout ce qui est positif dans l'étendue, à l'exception de la limite, se trouve en Dieu. Il avait dit : L'étendue limitée est corporelle; pour convertir l'étendue en immensité, il suffit de la supposer illimitée. Partant, il attribuait à Dieu une étendue véritable, bien qu'infinie; et bientôt voulant expliquer et fortifier sa doctrine, il affirme que cette étendue n'a point de parties. Mais que l'on nous dise ce qu'est une étendue qui n'a point de parties. L'étendue n'implique-t-elle point un ordre de choses placées les unes hors des autres? N'a-t-elle pas toujours été comprise ainsi?

Lorsqu'on parle d'une étendue qui n'a point de parties, il ne suffit point de dire qu'elle est illimitée, il faut ajouter que le mot étendue est pris dans un sens nouveau. Le cygne de Cambrai semble avoir reconnu son erreur; malgré l'obscurité de ses définitions antérieures, il ajoute, inspiré par son génie et par sa foi : « Dieu n'est en aucun lieu, non plus qu'il n'est en aucun temps: car il n'a, par son être absolu et infini, aucun rapport aux lieux et aux temps, qui ne sont que des bornes et des restrictions de l'être. Demander s'il est au-delà de l'univers, s'il en surpasse les extrémités en longueur, largeur, profondeur, c'est faire une question aussi absurde que de demander s'il était avant que le monde fùt, et s'il sera encore après que le monde ne sera plus.

<< Comme il ne peut y avoir en Dieu ni passé ni futur, il ne peut y avoir non plus en lui ni un au-delà ni un

en deçà; comme la permanence absolue exclut toute mesure de succession, l'immensité n'exclut pas moins toute mesure d'étendue. Il n'a point été, il ne sera point, mais il est. Tout de même, à proprement parler, il n'est point ici, il n'est point là, il n'est point au-delà d'une telle borne, mais il est absolument. Toutes ces expressions qui le rapportent à quelque terme, qui le fixent à un certain lieu, sont impropres et indécentes. Où est-il donc? Il est, et il est tellement, qu'il faut bien se garder de demander où; ce qui n'est qu'à demi, ce qui n'est qu'avec des bornes, est tellement une certaine chose, qu'il n'est que cette chose précisément. Pour lui, il n'est précisément aucune chose singulière et restreinte. Il est tout, il est l'être; ou, pour tout dire encore mieux en disant plus simplement, il est. Car moins on dit de paroles, plus on dit de choses. Il est; gardez-vous bien d'y rien ajouter. »

76. En lisant ces magnifiques paroles, en me laissant ravir à ces idées sublimes, dignes en quelque sorte de la grandeur et de l'immensité de Dieu, j’oublie les obscurités précédentes. Oserai-je comparer le saint prélat au philosophe Clarke? Dans l'illustre écrivain, le chrétien et le poëte corrigent le penseur.

CHAPITRE XII.

En quoi consiste l'espace.

77. Ainsi, Descartes identifie l'espace avec la

matière et fait consister l'essence des corps dans l'étendue même, en établissant que partout où nous concevons l'espace il y a corps; mais il n'a pu le prouver, nous venons de le voir. Peut-être serait-il plus vrai de dire, qu'en effet l'espace n'est autre chose que l'étendue même des corps, soit qu'il constitue ou ne constitue point leur essence, mais en lui refusant l'intinité.

78. Étudions cette opinion. L'idée espace n'est au fond que l'idée abstraite de l'étendue; l'analyse le prouve. Je puis, en plaçant sous mes yeux une orange, arriver, par des abstractions successives, à l'idée d'une étendue pure, égale à celle de l'orange. J'abstrais la couleur, l'odeur, la saveur, toutes les propriétés qui peuvent affecter mes sens, et bientôt il ne me reste plus qu'un être étendu, lequel devient, si je le dépouille de la mobilité, une portion d'espace égale au volume.de l'orange.

Ces abstractions, je les puis faire sur l'univers entier, ce qui me donnera l'idée de l'espace qui contient l'univers.

79. On élève une difficulté sur cette explication de l'idée de l'espace: cherchons à la résoudre. Je saisirai cette occasion pour jeter quelque lumière sur l'origine de l'idée espace infini, ou espace imaginaire.

Voici la difficulté un volume d'espace, conçu par abstraction des qualités qui'accompagnent l'étendue, ne nous peut donner qu'un volume égal à celui du corps sur lequel nous aurons opéré l'abstraction. Donc l'abstraction faite sur une orange ne nous don

nera qu'un volume égal à celui d'une orange, l'abstraction faite sur l'univers, un volume d'espace égal à celui de l'univers; où donc est alors l'espace sans limites, l'espace considéré en lui-même?

Solution. L'abstraction s'élève du particulier au général. Exemple: nous faisons abstraction des propriétés qui constituent l'or pour le considérer comme métal; nous voilà devant une idée qui, nonseulement convient à l'or, mais à tous les métaux; partant, elle est plus étendue; nous avons effacé la ligne de démarcation; l'idée nouvelle, s'étendant à tous les métaux, n'en spécifie ou n'en exclut aucun. Que si je fais abstraction de ce qui constitue l'or métal, pour m'en tenir à ce qui le classe parmi les minéraux, l'idée devient plus générale encore. Elle atteint enfin son expression dernière dans l'idée de l'être qui com. prend toutes choses'.

On le voit, c'est en effaçant la ligne de démarcation qui distingue et pour ainsi dire sépare les objets, que l'abstraction s'élève à l'idée générale. Appliquez cette doctrine aux abstractions sur les corps, vous aurez la raison de l'illimitabilité de l'espace.

Lorsque, après les abstractions successives faites sur l'orange qui nous sert d'exemple, je me trouve en présence de l'idée unique de son étendue, je n'ai pas encore atteint le plus haut degré d'abstraction. Je conçois l'étendue de l'orange, non l'étendue en soi. Je conçois son étendue, non l'étendue; mais si je

1 Je ne m'occupe point ici des différentes manières dont l'idée de l'être est applicable à Dieu ou aux autres créatures.

fais abstraction du pronom, l'idée de figure disparaît; il m'est impossible d'assigner à l'étendue une limite, puisqu'une limite, quelle qu'elle fût, me donnerait une étendue déterminée, une étendue particulière; alors, pour ainsi dire, les frontières de l'univers s'évanouissant, l'univers ne serait qu'une étendue particulière, non l'étendue elle-même. Voilà comment il nous semble que l'idée des espaces imaginaires est engendrée.

80. Observez les phénomènes de l'imagination; ils viennent à l'appui de ce raisonnement. Lorsque j'imagine une orange, j'imagine l'étendue de cette orange avec une limite d'une certaine couleur, d'une certaine qualité; impossible d'imaginer une figure qui ne soit terminée par des lignes. Cette limite se distingue, en quelque chose, et de l'étendue qu'elle embrasse et de l'étendue contiguë; car, pour nous apparaître comme limite, elle doit offrir un caractère distinctif; s'il n'en était ainsi, comment remplirait-elle son objet? Donc l'abstraction n'est pas complète, car l'image contient une chose très déterminée: les lignes qui constituent la limite. Effacez ces limites, l'image se dilate; à mesure que les limites se reculent et s'éloignent, elle s'étend de plus en plus et se perd dans une sorte d'abîme ténébreux, immense, semblable à ce que nous imaginons par delà l'univers.

Un exemple très simple va simplifier encore cette explication notre imagination se peut comparer au tableau noir sur lequel on trace les figures dans les écoles de mathématiques. Voir le trait blanc qui

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