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existantes? Il est vrai que, dans ce cas, il faudrait reconnaître à l'esprit la faculté de produire les espèces représentatives; mais on n'échappe point à cette nécessité en identifiant les perceptions avec les idées. Les perceptions germent, pour ainsi dire, du fond de notre âme, comme les fleurs sur la plante; elles apparaissent et disparaissent comme elles; ainsi, quoi qu'il en soit, il nous faut admettre une force intérieure qui, certaines conditions posées, produit ce qui n'existait pas. Hors de là, impossible de nous faire une idée de ce qu'est l'activité.

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207. On peut résumer comme il suit la doctrine que nous venons d'émettre sur les idées innées :

1o Il existe en nous des facultés sensitives qui se développent en vertu ou à l'occasion des impressions organiques.

2o Toutes nos sensations sont assujetties aux lois de l'organisme.

3o Les représentations sensibles internes doivent leurs éléments aux sensations.

4o Dire que les représentations sensibles préexistent aux impressions organiques, c'est aller contre l'expérience.

5o Les idées géométriques, c'est-à-dire celles qui ont rapport à des intuitions sensibles, ne sont pas innées; actes de l'entendement, qui agit sur les matériaux offerts par les sens.

6o Les idées intuitives de l'ordre intellectuel pur ne sont pas innées; actes d'entendement ou de volonté offerts à notre perception dans la conscience réflexe.

7° Les idées générales déterminées ne sont pas innées; représentations d'intuition qui impliquent un acte intellectuel.

8° Il est faux que les idées générales indéterminées soient innées; elles semblent être des actes de la faculté de percevoir appliquée aux objets sous un point de vue général.

9° Ce qui est inné dans notre esprit, c'est l'activité sensitive et l'activité intellectuelle; mais ces deux activités ont besoin, pour se mettre en mouvement, d'être sollicitées par un objet.

10° Cette activité débute par les affections organiques, et, bien qu'elle franchisse la sphère de la sensibilité, elle demeure plus ou moins soumise aux conditions que l'union de l'âme avec le corps lui impose.

11° Il est des conditions à priori de l'activité intellectuelle, complétement indépendantes de la sensibilité; l'esprit les applique à toutes choses, quelles que soient les impressions qu'il en reçoit. Parmi ces conditions figure au premier rang le principe de contradiction.

12° Donc il existe dans notre intelligence quelque chose d'absolu, une chose à priori qui demeurerait inaltérable alors même que les impressions que nous recevons des êtres, alors même que nos rapports avec les ètres subiraient un changement radical.

FIN DU QUATRIÈME LIVRE.

LIVRE CINQUIÈME.

IDÉE DE L'ÈTRE.

CHAPITRE Ier.

L'idée de l'être se trouve dans notre entendement.

1. Indépendamment des sensations, dans un ordre supérieur aux sensations, il est des idées que notre entendement applique à tout; élément nécessaire de toute pensée. Au premier rang il faut placer l'idée de l'être. L'objet de l'entendement est l'être, objectum intellectus est ens, disaient les scolastiques; vérité profonde et l'un des fails idéologiques les plus certains, les plus importants.

2. L'être en soi, abstraction faile de toute modification, de toute détermination, l'être considéré dans sa plus grande généralité est conçu par notre entendement. Quelle que soit l'origine de cette idée, n'importe la manière dont elle se forme en nous, il est certain qu'elle existe. Nous l'appliquons sans cesse; elle accompagne toutes nos pensées. Dans toutes les langues on trouve le verbe être, expression de cette idée; il n'est pas de proposition qui ne la renferme ;

le savant, l'ignorant l'emploient dans le même sens, avec la même certitude.

Il est toutefois entre le savant et l'ignorant une différence; celui-ci ne réfléchit point; celui-là médite sur cette idée; mais chez tous les deux la perception directe est la même, également claire, également vive. Telle chose est ou n'est point; a ou n'a pas été; sera ou ne sera pas; quelque chose existe ou il n'existe rien, etc. Voilà des applications de l'idée d'être; applications universelles, qui ne laissent aucune ombre dans la pensée. Chacun comprend le sens des mots et possède en lui l'idée qui leur correspond. La difficulté, s'il en est, commence à l'acte réflexe, c'est-à-dire à la perception non de l'être, mais de l'idée de l'être. Quant à l'acte direct, c'est un concept qui ne laisse rien à désirer.

3. Ce fait d'expérience se peut appuyer par les plus fortes raisons. Tous les philosophes conviennent que le principe de contradiction est évident par luimême, qu'il ne demande aucune explication, chaque mot emportant la sienne; or il n'en serait point ainsi dans le cas où tous les hommes n'auraient point l'idée de l'être. « Il est impossible qu'une chose soit et ne soit point en un même temps »; voilà le principe; il ne s'agit, on le voit, ni d'esprit ou de corps, ni de substance ou d'accident, ni de fini ou d'infini, mais de l'être, d'une chose, n'importe laquelle, d'une chose en général, et l'on affirme de cette chose qu'elle ne saurait être et n'être point en un même temps. Si nous n'avons l'idée de l'être, le principe est

incompréhensible; où sera la contradiction, si l'idée des extrêmes contradictoires n'existe pas; or les extrêmes sont être et ne pas être.

4. Autre exemple tiré du principe: « Quelque chose est ou n'est point. » Ici encore il s'agit de l'être, dans le sens le plus indéterminé; de l'être en tant qu'être, et rien de plus. Otez cette idée, l'axiome n'a plus de sens.

5. Descartes a dit : « Je pense, donc je suis. » Ce principe implique pareillement l'idée de l'être, « je suis. » Le philosophe l'explique par ce fait ce qui n'est pas ne peut agir; ainsi l'idée de l'être entre nonseulement dans le principe, mais dans la base même du principe.

6. Que l'on prenne comme base de nos connaissances le sens intime, que l'on préfère l'évidence, en vertu de laquelle une idée nous apparaît dans une autre idée, l'élément primitif est toujours l'être, l'idée de l'être (penser implique l'entendement); il nous faut supposer l'existence de nos sensations, de nos sentiments, des opérations et des affections de notre âme avant d'en chercher l'origine et la cause, avant d'en étudier la nature. Il nous faut supposer que nous sommes; il nous faut admettre l'existence du moi avant de faire un acte quelconque d'intelligence.

Donc l'idée de l'être est inhérente à notre entendement; elle est un élément indispensable de tout acte de raison.

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