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elle est certaine qu'il existe. Il ne saurait être question de subjectivité et d'objectivité à propos de la raison immédiate, c'est-à-dire de l'intelligence des vérités nécessaires.

173. Je laisse au lecteur à décider entre l'explication qui précède et la raison impersonnelle. Les mélaphysiciens les plus éminents ont professé notre théorie. Avec Dieu tout devient intelligible et clair; tout est chaos sans lui; cela est vrai dans l'ordre des faits et plus encore dans l'ordre des idées. Notre perception est un fait; nos idées sont des faits; un ordre admirable préside à toutes choses, toutes choses s'enchaînent selon des lois indestructibles, et ni cet enchaînement, ni cet ordre ne relèvent de nous. Le mot raison est plein de profondeur car il se rapporte à l'intelligence infinie. Il ne peut y avoir deux raisons humaines, vérité pour l'un, erreur pour l'autre. Indépendamment de toute communication entre les intelligences créées, indépendamment de toute intuition, il est des vérités nécessaires à toutes les intelligences. Voulons - nous expliquer cette unité, il nous faut sortir de nous-mêmes; il faut nous élever à la grande unité d'où tout sort, où tout revient.

174. Ce point de vue est élevé, mais il est le seul; s'en écarter, c'est cesser de voir; les mots perdent leur signification, phénomène étrange, mais consolant. Dans le temps même que l'homme oublie Dieu, qu'il le nie peut-être, Dieu rayonne dans son intelligence, dans ses idées, dans tout ce qu'il est, dans tout ce qu'il pense. C'est de Dieu qu'il tient la force

de perception la vérité objective repose sur Dieu même; l'homme ne peut affirmer une vérité qu'elle n'ait en Dieu sa représentation. Cette communication du fini avec l'infini est une des vérités les plus certaines de la métaphysique; les études idéologiques n'auraient-elles d'autre résultat que la découverte d'une vérité de cette importance, le temps que nous leur avons consacré ne serait point perdu!

CHAPITRE XXVIII.

Observations sur les rapports des mots avec les idées.

175. Pendant que nous parlons, nous pensons; pendant que nous pensons, nous parlons une parole intérieure : la parole est le fil conducteur de l'intelligence dans le labyrinthe des idées.

176. Le signe suit l'idée; il sembte nécessaire à l'idée; de tous les signes, le plus universel, le plus commode est la parole; signe arbitraire toutefois, puisque dans les diverses langues, et souvent dans une même langue, les mêmes idées sont rendues par des mots différents.

177. Il était nécessaire de déterminer les idées par des signes sensibles; de là le rapport des idées avec le langage. La parole est, de tous les signes, le plus général, le plus flexible, le plus facile à manier; de

là, son importance; tout autre signe aurait la même valeur, s'il réunissait les mêmes propriétés. Matériellement, la parole écrite diffère beaucoup de la parole parlée, et toutefois elle tient sa place souvent sans désavantage.

178. La parole intérieure est plutôt une réflexion dans laquelle s'étend et se développe l'idée, que l'expression de l'idée. Il est vrai qu'en général cette parole intérieure accompagne la pensée; mais, comme nous l'avons observé plus haut, la parole est un signe arbitraire; c'est pourquoi l'on ne peut établir un parallélisme exact entre les idées et le langage intérieur.

179. Si rapide que soit la parole, elle cède à la pensée. Le verbe intérieur est plus prompt que le verbe extérieur; toutefois il implique succession dans les mots qui l'expriment et par conséquent une durée. La pensée se produit instantanément. Le langage est un moyen merveilleux de communication mis au service des idées, un auxiliaire puissant de l'intelligence; mais établir que toute pensée est impossible sans une parole pensée qui lui corresponde, c'est, je l'ose dire, une exagération.

180. Souvent la pensée se produit de toutes pièces; le développement vient après; exemple, ces reparties promptes, ces éclairs d'esprit à l'occasion d'un mot, d'un fait qui nous surexcite ou nous blesse. La réplique est instantanée; partant elle devance la parole intérieure. La solution d'une difficulté nous apparaît quelquefois avec la rapidité de l'éclair, et ce

pendant, que de paroles pour l'exposer et la rendre intelligible! On connaît ces gestes involontaires, ces exclamations, ces regards, ces mouvements de tète ou d'épaule, expressions de la pensée, souvent plus éloquentes, toujours plus rapides que la parole la plus rapide et la plus spontanée.

181. Soit cette proposition:« Tous les hommes sont naturellement égaux. » Le sens demeure suspendu jusqu'à l'énonciation de l'adjectif égaur; mais à peine a-t-il été prononcé Erreur! vous écriezvous aussitôt; et prenant la parole, vous détruisez dans un raisonnement suivi le thème vague du déclamateur. Comment cela se fait-il? Jusqu'au mot naturellement rien ne décidait le sens de la proposition, car, à la place du qualificatif égaux, vous anriez pu entendre ceux-ci : mortels, inconstants, etc.— Mais le mot égaux refentit, et sur-le-champ l'intelligence proteste, sans donner le temps à la parole interne ou externe de se formuler. Donc le parallélisme absolu que certains philosophes supposent entre les idées et les paroles n'existe pas; exagération détruite par l'expérience.

Autre exemple: « Si le fait est attesté par les sens, ce fait est vrai; s'il est vrai, les sens doivent l'attester."

Vous donnez votre assentiment à la première partie de la proposition, et vous restez en suspens, quant à la seconde, jusqu'à ce que les mots doivent l'attester retentissent à votre oreille; mais alors la négation jaillit instantanément de vos lèvres, ou vous l'exprimez par un geste. L'aviez-vous déjà intérieu

rement formulée? Non, car voici la formule nécessaire. « Il est faux que tout fait doive être attesté par les sens, puisqu'il en est de très réels qui ne relèvent point de la sensibilité. » Ces paroles ou d'autres du même genre ne sont-elles pas incompatibles avec l'instantanéité de la négation?

182. Mais, dira-t-on peut-être, autre chose est la négation, autre le pourquoi de la négation. Un non suffit pour la première; le pourquoi demande qu'on le formule; il implique la parole parlée ou pensée. C'est une erreur. Lorsqu'on a dit non, ce n'était point sans motif; ce motif on le voyait dans l'erreur même que l'on a combattue plus tard; il faudrait admettre autrement que la négation était aveugle et sans cause. Or, ce motif sur lequel le jugement s'appuie, cette raison de la négation, avec quelque brièveté qu'on l'exprime, s'exprime par des mots qui n'ont pu être formulés ni par le verbe intérieur, ni par le verbe extérieur. Pure question de temps. Le sens de la proposition n'a été connu qu'après ces mots doivent l'attester, et après le point final. Avant le point, rien n'empêchait de les remplacer par ceux-ci ne le démentiront pas.

J'ai dit le point final, pour indiquer l'instantanéité de la perception et du jugement; établissant ainsi que l'entendement ne se détermine qu'en dernier lieu. En effet, supposons que l'on eût dit sans point final les sens doivent l'attester, en ajoutant, si le fait tombe sous leur appréciation. Ces mêmes paroles n'auraient point provoqué de négation. Pourquoi?

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