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130. L'Etre dans le sens le plus étendu, dans son universalité la plus vaste, voilà l'objet de l'entendement, lorsqu'il procède par concepts indéterminés; voilà l'idée mère, l'idée fondamentale autour de laquelle toutes les autres se groupent et se coordonnent. De l'idée de l'être sortent le principe de contradiction avec ses applications innombrables, les idées de substance et d'accident, de cause et d'effet, de contingent et de nécessaire, enfin la science que nous avons nommée Ontologie, science de l'être.

131. Mais, nous l'avons dit, ces rapports généraux des êtres n'ont rien qui les caractérise; connaissances purement métaphysiques et sans application.

Nous ne concevons un être réel que par ses propriétés. Les idées, être et non être, accident et substance, effet et cause, combinées avec une réalité quelconque, sont éminemment fécondes; mais prises en général, sans rien qui les détermine, elles restent en dehors de l'existence et même du possible.

132. Que présente l'idée être une abstraction. Voulons-nous concevoir l'existence, ou la possibilité de l'être; nous la revêtons de propriétés caractéristiques. Lorsqu'il s'agit d'une chose qui existe, on s'enquiert instinctivement de ce qu'elle est, de sa nature. Dieu est l'être par essence, l'être infini; or Dieu ne représenterait rien, si, nous arrêtant à l'idée indéterminée de l'être, nous ne le concevions comme être intelligent, actif, libre, enfin avec toutes les perfections de son essence infinie.

133. L'idée substance est l'idée d'une chose per

manente qui reste elle-même et ne se confond pas avec ce qu'on appelle modification. Cette idée, prise dans sa généralité, sans autre détermination que l'idée d'existence ajoutée à l'idée de l'être, n'offre pareillement à l'esprit ni un objet réel, ni un objet réalisable.

Une substance existe, elle est possible, non en vertu de la permanence en général, ou de la non-inhérence à un sujet comme modification; elle est, elle devient réelle, en vertu d'une marque caractéristique, d'un attribut (l'attribut corporel, par exemple, intelligent, libre, ou tout autre) qui la détermine.

134. Il en est ainsi de l'idée de cause, ou activité créatrice. Une cause, en général, n'est ni une réalité, ni une possibilité. Nous concevons une activité déterminée; nous ne comprenons pas ce que peut être une activité, en général. Nous avons besoin de nous représenter l'action s'exerçant de telle manière, se rapportant à tel objet, et produisant, non des êtres, généralement parlant, mais tels êtres avec leurs attributs, avec leur caractère particulier. Ce que sont ces attributs, nous pouvons l'ignorer; nous n'ignorons pas qu'ils sont déterminés et précis. La cause la plus universelle qu'il nous soit possible de concevoir, c'est la cause première, la cause infinie, Dieu. Or nous ne le concevons point comme une cause abstraite, nous ne nous en tenons pas à l'idée simple d'activité créatrice; nous ajoutons à l'idée générale de cause les idées d'intelligence et de volonté libre. Lorsque nous disons de Dieu qu'il est tout-puissant,

nous donnons à sa puissance une sphère d'action infinie. Est-ce à dire que nous prétendions connaître les attributs caractéristiques des êtres innombrables qui relèvent de cette activité infinie? non certainement; mais nous savons que tout être existant ou possible est déterminé dans sa nature. Nous sommes certains que rien ne peut exister qui ne soit qu'être, ètre indéterminé.

135. Cette certitude est un fruit de l'expérience. C'est pourquoi, si l'entendement se bornait à combiner les rapports qui se révèlent à lui dans les conceptions indéterminées, il resterait stérile. Nous l'avons déjà vu (ch. xiv); à moins de refuser à l'être intelligent toute conscience de lui-même, il est impossible qu'une certaine communication ne s'établisse entre l'ordre idéal et l'ordre réel. Nous savons qu'elle existe; mais cela ne suffit point. Cherchons à découvrir comment elle existe et jusqu'où elle s'étend.

136. Avant de passer outre, je dois faire observer que la doctrine exposée dans ce chapitre ne se doit pas confondre avec celle du chapitre xiv. Dans le chapitre xiv, j'ai prouvé que les idées générales ont une valeur purement hypothétique et ne nous mènent à rien; à moins qu'on ne les combine avec un fait positif fourni par l'expérience. Dans les pages qu'on vient de lire, j'établis que les idées indéterminées, être, substance, cause, ne peuvent nous donner l'idée de l'existence ou de la possibilité de quoi que ce soit, à moins qu'elles ne soient accompagnées d'une idée

déterminée qui caractérise et spécifie l'idée générale; là je n'accorde aux idées générales qu'une valeur hypothétique par rapport à l'existence; ici j'affirme la nécessité d'attribuer aux idées indéterminées une propriété qui les rende capables de constituer une essence, au moins dans l'ordre possible. Distinctions de la plus haute importance et qu'il importe de ne point oublier; rappelons-nous la différence que nous avons établie entre les idées générales et les idées indéterminées; entre les idées déterminées et les idées particulières.

CHAPITRE XXII.

Limites de notre intuition.

137. Si nous pouvions déterminer les limites de l'expérience, si nous pouvions dire: Elle va jusquelà, et ne va pas plus loin; nous aurions déterminé les attributs caractéristiques sous lesquels tout être se présente ou se peut présenter à nous.

138. Sensibilité passive, sensibilité active, intelligence, volonté; voilà, sauf erreur, la sphère dans laquelle notre expérience s'exerce; de là vient que nous ne pouvons concevoir dans les êtres un attribut caractéristique hors de ceux que nous venons d'énoncer. Examinons-les séparément et avec soin. — L'importance des résultats l'exige.

139. Sensibilité passive. J'entends par cet attribut la forme sous laquelle se présentent les ètres que l'on appelle corps, à savoir, l'étendue terminée ou figurée.

Que cet attribut ait la propriété de déterminer un objet, rien de plus certain. Quoi de plus formel, en effet, que ces objets qui s'offrent à nous étendus et figurés avec le cortége de propriétés attachées à ces attributs essentiels? Le mouvement et l'impénétrabilité sont des caractères distinctifs de l'étendue, ou plutôt sont des rapports de l'étendue. Le mouvement est le changement de position d'un corps dans l'espace, ou le changement des positions de l'étendue d'un corps par rapport à l'étendue de l'espace. L'impénétrabilité est l'exclusion réciproque de deux étendues; les idées de solide et de liquide expriment les rapports de l'étendue d'un corps dans le sens de sa résistance plus ou moins grande à recevoir l'étendue d'un autre corps dans un même lieu.

Nous n'aurons pas à nous occuper ici de la nature de l'étendue; il nous suffit qu'elle soit un objet déterminé, clairement perçu. L'attribut de la sensibilité passive a toujours été considéré comme une détermination des plus caractérisées. La division en objets corporels et incorporels, inatériels et immatériels, sensibles et insensibles, n'appartient pas seulement aux écoles, elle est tombée dans le langage usuel. Il est facile de voir, en effet, que les mots corporel, matériel, sensible, bien qu'ils ne soient pas entièrement synonymes, sont employés dans un même sens,

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