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il semblerait que l'intelligence ne saisit pas ces objets d'une manière distincte; qu'elle ne fait que les fixer sous certains signes, avec la certitude toutefois qu'elle peut dérouler tout ce que ces signes contiennent et le contempler au grand jour.

CHAPITRE XX.

S'il existe des représentations intermédiaires entre Pintuition sensible et l'acte intellectuel.

125. Ici se présente une question grave. L'entendement perçoit-il les rapports géométriques offerts dans l'intuition sensible, sans le secours de représentations intermédiaires qui le mettent en contact avec cet ordre de phénomènes? (Voir ch. vi.) A première vue, la nécessité d'un intermédiaire semble évidente, car l'entendement n'étant point une faculté sensitive, les éléments sensibles ne sauraient être objet de cette faculté. Toutefois, après examen, j'inclinerais à exclure tout moyen terme, sauf un signe servant à rattacher, les uns aux autres, les éléments sensibles, à nous indiquer le point où ces éléments se doivent réunir et les conditions sous lesquelles ils doivent se ranger. Ce signe d'ailleurs, étant une parole, ou toute autre chose susceptible d'être représentée, partant une chose sensible, la difficulté reste. En effet, on peut toujours faire cette

question Comment l'intelligence se met-elle en rapport avec le signe sensible?

Nous nous accoutumons à considérer les facultés de l'âme, non-seulement comme des facultés distinctes, mais comme des facultés séparées, chacune exerçant ses fonctions isolément dans une sphère particulière, exclusive. De là tout le mal. Cette méthode favorise la classification des opérations, mais elle heurte l'expérience.

On ne saurait le nier. L'observation nous révèle en nous des affections, des opérations déterminées, diverses dans leur objet et dans leurs résultats; ce qui conduit à distinguer nos facultés les unes des autres et pour ainsi dire à séparer leurs fonctions; mais il n'est pas douteux aussi que toutes les opérations, toutes les affections de l'âme ont le même centre. C'est un fait attesté par la conscience, que l'être qui pense, l'être qui sent ou qui veut, l'ètre qui agit ou qui souffre, est un être identique et un; qu'il existe entre toutes les facultés de l'âme une communication intime. La réflexion suit instantanément l'impression scntie; l'impression suit instantanément la réflexion. Nous réfléchissons notre volonté; nous voulons ou nous rejetons notre pensée. Notre âme est dans une sorte de bouillonnement continu; dans un flux et reflux de phénomènes qui se modifient, s'enchaînent, se produisent, se reproduisent sans cesse; nous avons conscience de ces phénomènes. Le moi qui les éprouve est leur centre commun.

Qu'est-il besoin d'imaginer des ètres intermédiai

res? Pourquoi l'âme, en vertu de son activité que nous nommons entendement, ne pourrait-elle prendre connaissance, d'une manière immédiate, des affections et des représentations sensibles, enfin de tout ce que la conscience lui présente? La conscience étant dans une indivisible unité le centre commun de tous les phénomènes internes, pourquoi l'activité intellectuelle aurait-elle recours à des espèces imaginaires, sortes de messagers chargés de transmettre tour à tour à nos diverses facultés les impressions qui ne seraient point de leur ressort?

126. Il nous semble que la philosophie peut admettre l'entendement agissant des aristotéliciens, en tant qu'il signifie une activité de l'âme applicable aux représentations sensibles. Mais si l'on suppose que l'entendement peut produire de nouvelles représentalions distinctes de l'acte intellectuel lui-même, nous n'oserions le soutenir. Comprendre, c'est être actif; l'entendement est tout entier activité. Dans l'acte de la compréhension, l'âme n'est passible qu'en tant qu'elle fournit les matériaux. Les concepts élaborés, en présence de ces matériaux, ne semblent être autre chose que cette même activité en action, activité subordonnée, d'une part, aux conditions qui ressortent de la chose comprise; de l'autre, aux conditions générales de toute intelligence.

127. Est-ce à dire que l'acte intellectuel n'ait point d'objet correspondant? non; mais je remplace l'idée par des actes d'une autre espèce; par des affections ou des représentations; phénomènes actifs ou

passifs, il n'importe. Que si l'on me demande quel est l'objet immédiat de l'acte intellectuel qui perçoit l'intuition sensible déterminée, je répondrai : cet objet, c'est l'intuition elle-mêine. On insistera peutêtre sur la difficulté d'expliquer l'union de choses si différentes; mais je puis répondre encore: 1o que cette union existe dans l'unité de la conscience; et j'invoquerai la conscience elle-même; 2o que l'objection se peut tourner contre ceux qui prétendent que l'entendement compose une espèce intelligible, en la tirant de l'intuition sensible; je demanderai comment l'intelligence pour composer son espèce intelligible se met en contact avec cette intuition. Si le contact immédiat est impossible en un cas, il devra l'être dans l'autre; même raisonnement s'ils admettent la possibilité.

L'entendement ne s'appliquerait-il à aucune intuition déterminée, se rapporterait-il uniquement à des intuitions sensibles, en général, son objet immédiat est la possibilité de ces intuitions, en général, possibilité subordonnée aux conditions de l'objet, considéré en général, et à celles de toute intelligence; parmi ces conditions le principe de contradiction tient la première place.

CHAPITRE XXI.

Idées indéterminées et déterminées.

128. Il est d'autres actes intellectuels que les actes qui se rapportent à l'ordre sensible en général. Notre intelligence ne se borne pas à percevoir, à combiner les objets que lui présente la sensibilité; le sensualisme serait la conséquence forcée de l'opinion contraire. Cependant, si l'objet de l'acte intellectuel n'appartient pas à l'ordre sensible, quel est-il? Question hérissée de difficultés, mais pleine d'intérêt.

129. L'acte intellectuel pur peut être, soit une idée déterminée, soit une idée indéterminée, c'est-à-dire une idée réalisable en un être qui s'offre ou peut s'offrir à notre perception; ou une idée irréalisable, parce qu'elle a pour objet des rapports généraux et sans application. Ne confondons point les idées générales avec les idées indéterminées, ou les idées particulières avec les idées déterminées. Toute idée indéterminée est générale; mais toute idée générale n'est pas indéterminée. Idée générale et indéterminée : l'Être; idée générale, mais déterminée, l'intelligence. L'idée particulière a pour objet un individu; l'idée déterminée, une propriété. Que celle-ci n'ait aucun rapport avec une individualité existante, il n'importe. N'oublions pas cette distinction; elle nous mène à des considérations de la plus haute importance.

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