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ments, mais par intuition; elle ne cherche point les objets, ils sont en sa présence; elle les contemple par une intuition d'identité en ce qui tient à son essence; par une intuition de causalité en ce qui touche à ce qui est ou peut être hors d'elle. L'intuition dans les esprits créés est d'autant plus parfaite qu'ils sont plus parfaits eux-mêmes. Ainsi la connaissance par concepts est de soi une imperfection de l'entendement.

107. Les rapports des êtres entre eux sont coordonnés à la place qu'ils occupent dans l'univers. Dieu, être infini, cause de tout ce qui est, de tout ce qui peut être, a des rapports immédiats et intimes. avec l'univers entier. C'est pourquoi tous les êtres sont représentés en lui, non-seulement dans ce qu'ils ont de général, mais dans leurs différences les plus imperceptibles. L'être universel, la cause universelle, ne connaît point les objets par des concepts vagues, au moyen de représentations universelles et communes; les moindres détails lui apparaissent avec une clarté parfaite, parce que ces objets relèvent de lui. Sa connaissance a pour fondement une réalité infinie qui n'est autre que lui-même; son intelligence ne va point flottant à travers un monde idéal, mais fixe; immuable dans l'intuition la plus vive et la plus distincte de la réalité infinie, elle voit l'être infini dans tout ce qu'il est, dans tout ce qu'il peut produire par son activité infinie. Son expérience ne procède point du dehors, car rien ne peut agir sur lui; elle est tout entière dans la connaissance et l'amour de lui-même.

108. Les êtres créés qui, dans l'ordre de l'univers, occupent une place déterminée, n'ont de rapport avec cet univers que par certains côtés; point de vue unique auquel leurs facultés perceptives sont subordonnées. La faculté de représentation est proportionnelle à la connaissance qu'elle doit produire; ainsi dans chaque être intelligent cette faculté est en rapport avec les fonctions que celui-ci doit remplir. Si l'être n'appartient point à l'ordre des intelligences, ses perceptions ne sortent point de l'ordre sensible, et s'exercent dans la mesure qui correspond à ses destinées.

109. Nous avons vu que les facultés intellectuelles sont fécondées au moyen d'idées générales et par l'intuition d'objets déterminés. D'où l'on conclut la nécessité de l'intuition pour toute intelligence qui veut sortir de l'ordre purement hypothétique et s'élever à la connaissance des choses.

L'esprit humain, dont la destinée est de gouverner un corps et de se trouver dans une continuelle communication avec le monde des corps, a reçu l'intuition sensible comme base des rapports qu'il doit établir. Les animaux ont reçu, comme l'homme, cette intuition, mais circonscrite dans les fonctions de la vie animale. Ils ne s'élèvent point au-dessus de la sphère des sens. La représentation, en eux, reste matérielle, si je puis m'exprimer ainsi, et ne devient jamais l'objet des combinaisons de l'esprit.

110. De l'animal à l'homme, la distance est immense. Le propre d'une intelligence étant la con

science d'elle-même avec la faculté d'arrêter son attention sur ses propres actes, l'intelligence humaine connaît intuitivement les actes qu'elle produit, et partant trouve en soi une intuition supérieure à l'intuition sensible. De plus, elle possède la puissance du raisonnement, origine de ces représentations, lesquelles nous aident à passer du connu à l'inconnu, de l'objet immédiat à l'objet médiat de nos percep

tions.

C'est ainsi que, partant des faits qui nous sont fournis par l'expérience externe et interne, aidés par les idées générales, condition primitive de toute intelligence et de tout ce qui est, il nous devient possible de pénétrer dans le monde des réalités et de connaître, bien qu'imparfaitement, et l'ensemble merveilleux des êtres que l'on appelle univers et la cause infinie qui les a créés.

CHAPITRE XVIII.

Aspirations de l'âme humaine.

111. Les aspirations de l'âme humaine ne s'arrêtent point aux réalités du monde actuel. L'âme s'élance, d'un irrésistible essor, à la recherche d'un ordre supérieur de vérités. Les objets que lui fournit l'intuition immédiate sont impuissants à la satisfaire; et, dans ces objets mêmes, elle ne se contente point de l'apparence, il lui faut la réalité.

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112. L'individuel pur ne peut suffire à l'intelligence. Imperceptible anneau de la chaîne immense des êtres, l'homme se met en rapport avec ce qui l'entoure, avec les êtres finis comme lui; mais ce n'est point assez; il veut connaître et ce qui est audessus et ce qui est au-dessous; il veut lire dans la raison des choses; il aspire à comprendre la loi de cette ineffable harmonie qui préside à la création. Ses jouissances les plus pures, il les goûte à franchir les limites imposées à ses facultés. Son activité est plus grande que ses forces; ses désirs sont supérieurs à son être. Le sentiment et la volonté participent de ce privilége douloureux de l'intelligence. L'homme a reçu du Créateur, en vue de ses besoins et de la conservation de l'espèce, des facultés déterminées dans leur objet; mais à côté des affections qu'il doit à ces facultés, affections de l'ordre individuel et pratique, il éprouve des sentiments plus nobles, plus élevés. Il se sent entraîné en dehors de sa sphère par une force inconnue. Les fleuves vont à l'Océan; l'âme de l'homme à l'infini.

J'en appelle à ces transports indéfinissables dont nous sommes saisis en présence des grands spectacles de la nature. Asseyez-vous au bord de la mer sur une grève solitaire; écoutez le mugissement sourd des vagues qui se brisent à vos pieds, ou la voix du vent qui pleure dans les sapins; laissez votre regard plonger dans cette immensité jusqu'à la ligne azurée qui sépare la voûte du ciel des grandes eaux; enfoncezvous dans une vaste plaine ou sous les chènes d'une

forêt séculaire; contemplez dans le silence de la nuit le firmament où scintillent ces globes lumineux qui, depuis l'origine des siècles, décrivent en silence leurs orbites incommensurables, comme ils les décriront durant des siècles encore; livrez-vous sans contention, sans effort, aux mouvements spontanés de votre pensée; vous sentez sourdre en vous des facultés inconnues; votre être tressaille jusque dans ses fibres les plus profondes; l'âme est ravie au-dessus d'ellemême; son individualité disparaît; elle appartient, pour ainsi dire, à l'immensité. Elle voit, elle sent, elle écoute l'ineffable harmonie qui préside à l'ensemble merveilleux dont elle n'est qu'un imperceptible atome. C'est l'heure de l'inspiration; heure solennelle, où l'homme de génie chante les grandeurs de la création; où sa main frémissante lève un coin du voile sous lequel se cache aux yeux mortels l'être par excellence, le grand ouvrier, le Créateur!

113. Ce sentiment grave, profond et calme à la fois, n'a nul rapport avec les objets individuels; expansion de l'âme, qui s'ouvre au contact de la nature comme la fleur aux rayons du soleil; sorte d'attraction par laquelle l'auteur de tout ce qui est nous élève au-dessus de cette poussière sur laquelle, durant quelques jours, nous avons à vivre et à souffrir. Ainsi l'intelligence s'harmonise avec le cœur ; l'un pressent ce que l'autre connaît. Ainsi sommes-nous avertis de ne point circonscrire dans la sphère étroite du monde matériel l'exercice de nos facultés.

Laissons à l'âme toute sa vie. L'insensibilité glace

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