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tent, d'une manière inédiate, en communication avec l'objet placé hors de notre intuition. Pourquoi n'en serait-il pas ainsi par rapport aux êtres insensibles qui sont seulement objets d'intuition intellectuelle ? Je ne sais ce que l'on peut opposer à ces réflexions confirmées, à la fois, et par l'observation des phénomènes internes et par le sens commun.

CHAPITRE XVI.

Valeur des principes, indépendamment de l'intuition sensible.

101. Le principe de contradiction, condition nécessaire de toute certitude et de toute vérité, principe sans lequel et l'intelligence et le monde extérieur tombent dans le chaos, va nous offrir un exemple de la valeur intrinsèque des concepts intellectuels purs, indépendamment de l'intuition sensible.

Lorsque j'affirme qu'il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps, ou l'exclusion du non être par l'être, je n'attache à ce mot être aucune idée déterminée; partant je fais abstraction de toute intuition sensible. Quel que soit l'objet, quels que soient et sa nature et les rapports de son existence, corps ou esprit, contingent ou nécessaire, fini ou infini, toujours est-il que l'être exclut le non être; l'incompatibilité entre ces deux extrêmes est

invincible et constante; l'affirmation de l'un est dans tous les cas et toujours la négation de l'autre.

Or circonscrire la valeur de ces concepts dans l'intuition sensible, c'est détruire le principe de contradiction, car restreindre le principe, c'est l'anéantir; son universalité absolue se lie à sa nécessité absolue. Restreint, il devient contingent; s'il faillit une fois, il perd sa vertu. Admettre la possibilité d'une chose absurde, n'est-ce point nier qu'elle soit absurde? Si, dans tous les cas, il n'y a pas contradiction entre l'être et le non être, il n'y a contradiction en aucun

cas.

102. Reste une difficulté comment passer du principe de contradiction aux vérités réelles; car ce principe n'établissant rien de déterminé, mais seulement la répugnance de l'affirmation à la négation et vice versa, la conséquence, c'est qu'il est impossible d'affirmer l'un de ces extrêmes sans nier l'autre ; or, comme à nous en tenir au principe lui-même, qui ne contient qu'un rapport général entre les idées les plus générales de la proposition, cela ne se peut faire, il nous faut conclure que, par lui seul, le principe est complétement stérile et ne saurait produire un résultat positif. Tout cela, nous ne le contestons point; mais nous n'y pouvons rien voir contre ce que nous avons dit de la valeur intrinsèque des idées générales.

J'ai fait observer déjà que la valeur des vérités de l'ordre idéal est purement hypothétique, et que ces vérités ont besoin, pour arriver à l'état de science

positive, d'un fait auquel elles se puissent appliquer ; mais nous avons vu pareillement que ces faits sont fournis par l'expérience, et que tout être pensant se trouve en présence d'un fait de ce genre, à savoir, la conscience de lui-même. Donc tout être pensant doit faire usage, d'une manière positive, du principe de contradiction, puisqu'il trouve, dans sa conscience, des faits auxquels il peut appliquer ce principe.

103. Notre esprit n'aurait-il que l'intuition sensible, il n'en faudrait rien conclure contre la valeur positive des principes généraux, et particulièrement du principe de contradiction. Si ces principes, combinés avec les intuitions dont il s'agit, nous révèlent, en dehors du témoignage des sens, un autre ordre d'êtres, il suit que ces êtres nous sont réellement connus, indépendamment de l'intuition immédiate. Il en est ainsi lorsque l'esprit humain s'élève par le raisonnement à la connaissance des phénomènes immatériels. D'une part, les faits d'expérience, de l'autre les vérités générales et nécessaires s'enchaineut, se combinent et constituent une science positive, science qui nous guide avec une entière sécurité vers la connaissance des objets qui ne tombent point sous l'expérience immédiate.

Cette théorie est si claire, si parfaitement évidente; elle est si naturellement établie sur la conscience de nos propres actes; elle est dans un si parfait accord avec ce que l'observation nous révèle des procédés de l'esprit humain, qu'en présence des altaques dirigées contre elle, l'esprit étonné s'épouvante

des égarements auxquels nous peut entraîner l'orgueil des systèmes.

104. Passer du connu à l'inconnu est un caractère de notre entendement; or la transition devient impossible, si toute connaissance, pour être réelle, doit être intuitive. Ce qui se présente par intuition nous est donné sans que nous ayons besoin de le chercher; que si tout objet, pour être réellement connu, doit s'offrir de la sorte, le développement intellectuel devient impossible; les progrès de notre esprit se réduiront à quelques combinaisons des formes relevant de la sensibilité, combinaisons qui ne sauraient nous mener à rien, lorsqu'elles cessent d'être intuitives, c'est-à-dire lorsqu'elles ne se rapportent point à des objets déterminés, immédiatement sentis. La Critique de la raison pure est la négation de toute raison; efforts de la raison qui veut se convaincre qu'elle n'a rien, en soi, de positif; suicide de la raison!

Réduisez les principes généraux à la valeur des intuitions sensibles, la science expire. Ce que nous avons démontré du principe de contradiction se peut appliquer à fortiori à tous les autres. Que si ce principe ne survit pas au naufrage, le naufrage est universel. Les principes cesseront d'être nécessaires; plus de certitude; nous saurons seulement qu'il existe en nous une série de phénomènes qui nous semblent nécessaires. Mais de quel usage nous seront-ils en dehors de l'ordre subjectif? Nous voilà tombés dans le plus complet scepticisme, jouets d'un

monde d'apparences, sans moyen de connaître la réalité.

105. Non! l'esprit humain n'est pas condamné à une stérilité si désespérante; la raison n'est pas un mot vide, le raisonnement un jeu puéril de l'intelligence. Au milieu des préoccupations, des erreurs, des égarements de notre misérable humanité, vit et se développe une force, une activité féconde, en vertu de laquelle l'esprit sort de lui-même, connaît ce qu'il ne peut voir et pressent le monde inconnu qu'il doit posséder un jour. La nature nous voile ses mystères; nous sommes environnés de secrets impénétrables; partout des ombres qui nous cachent la réalité; mais du milieu de ces ténèbres jaillissent quelques lueurs fugitives; malgré le silence profond qui règne sur l'océan des êtres, perdus que nous sommes et flottants parmi les vagues de cette mer sans limites, nous entendons, de temps en temps, quelques voix mystérieuses; et ces voix nous enseignent le courant qu'il faut suivre pour aborder aux plages désirées.

CHAPITRE XVII.

L'intuition proportionnelle à l'intelligence de l'être qui perçoit.

106. L'étendue et la clarté de l'intuition sont proportionnelles à la perfection de l'intelligence. L'intelligence infinie ne procède point par raisonne

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