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CHAPITRE XXII.

De la divisibilité infinie.

162. Divisibilité de la matière; tourment de la philosophie. La matière est divisible, puisqu'elle est étendue; l'étendue implique des parties. Ces parties elles-mêmes sont ou ne sont pas étendues; et selon que la réponse est affirmative ou négative, il faut admettre une divisibilité nouvelle ou la simplicité de ces parties; ce qui nous mènerait à reconnaître, dans la matière, des points inétendus.

On n'évite cette conséquence qu'en admettant la divisibilité infinie; mais c'est éluder la difficulté. Je l'ai dit ailleurs (chap. V.), la divisibilité, poussée à l'infini, semble supposer le fait même qu'elle nie. La division implique l'existence des parties, elle ne les crée pas un être simple est indivisible; donc les parties que la division doit fournir préexistent dans le composé divisible à l'infini.

Imaginons que Dieu, dans sa puissance infinie, pousse la division jusqu'à la limite extrême du possible; la divisibilité s'épuisera-t-elle ? Répondre négativement, c'est mettre des bornes à la toute-puissance; affirmativement, c'est arriver aux parties simples.

Supposons que Dieu n'accomplisse point cette di

vision; il est certain que son intelligence infinie voit, dans leur entier, les parties qui forment le composé divisible; il suivrait, du contraire, que l'intelligence infinie n'atteindrait pas la limite de la divisibilité. Que si l'on répond que cette limite n'existe point et par conséquent ne peut être vue, il faut admettre alors un nombre infini de parties dans chaque particule de matière; la divisibilité, dans ce cas, est sans limites, parce que le nombre des parties est inépuisable. Mais ce nombre infini, quel qu'il soit, l'intelligence infinie le voit; elle connaît toutes les parties telles qu'elles sont; nous voyons reparaître la même difficulté que tout à l'heure. Ces parties sontelles simples, l'opinion que nous combattons vient aboutir aux points inétendus; sont-elles composées, elles seront divisibles de nouveau.

Conséquence: nouvel infini dans chacune des parties du premier nombre infini; mais comme cette suite d'infinis sera toujours connue par l'intelligence infinie, il faut en venir aux points simples et indivisibles, ou dire que l'intelligence infinie ne connaît pas tout ce que contient la matière.

Répondre que les parties ne sont pas actuelles, mais possibles, ce n'est pas résoudre la difficulté. Des parties possibles sont des parties existantes; car la négation de la réalité de ces parties implique l'affirmation de la simplicité, et par conséquent de l'indivisibilité. Plus encore; si ces parties sont possibles, elles peuvent exister par l'intervention d'un pouvoir infini. Dans ce cas, que sont-elles? étendues ou iné

tendues? On le voit, nous retombons dans la même difficulté.

163. Selon certains métaphysiciens, la quantité mathématique, c'est-à-dire un corps envisagé du point de vue mathématique est divisible à l'infini, ce qui ne se peut dire des corps tels qu'ils existent dans la nature, parce que leur forme exige une quantité déterminée. C'est l'explication des écoles. Mais il est facile de voir que les raisons sur lesquelles on établit l'existence de ces formes naturelles, comprenant une certaine quantité que la division ne peut franchir, sont une pure imagination qui ne se peut prouver ni à priori ni à posteriori : à priori, parce que nous ne connaissons pas assez l'essence des corps pour affirmer qu'il existe un point au-delà duquel la division ne se peut faire; à posteriori, parce qu'avec nos moyens d'observation imparfaits et grossiers, nous ne pouvons nous flatter d'atteindre la limite dernière de la division et d'arriver à la partie indivisible. Plus encore; en atteignant cette quantité que la division ne peut franchir, nous nous trouvons en présence d'une quantité véritable, puisqu'on la suppose telle; cette quantité suppose l'étendue; l'étendue implique des parties; donc elle est divisible; donc il ne semble pas qu'il puisse exister de forme naturelle, limite extrême de la division.

164. La distinction que l'on veut établir entre les corps envisagés mathématiquement et les corps envisagés naturellement, ne me semble donc point admissible, du moins quant à la divisibilité. La divisibilité

ressort de la nature même de l'étendue; or l'étendue existe réellement dans les corps naturels, comme elle existe idéalement dans les corps mathématiques. Dire que dans un corps naturel les parties ne se trouvent point en acte, mais en puissance, cela peut signifier deux choses: ou que les parties ne sont point actuellement séparées, ou qu'elles ne sont pas distinctes; or il est sans importance aucune, pour la division, qu'elles ne soient point séparées, car on peut concevoir la division, sans la séparation des parties. Si l'on entend qu'elles ne sont pas distinctes, la division devient impossible; elle ne se peut même concevoir.

165. On ne veut pas admettre la divisibilité infinie des corps naturels; voilà l'origine de la distinction dont nous venons de parler; mais il est facile de s'apercevoir que la difficulté persistant, par rapport aux corps mathématiquement considérés, le mystère demeure; on ne peut assigner une limite à la division, tant qu'il reste quelque chose d'étendu; car, si, pour assigner cette limite, on arrive aux points simples; comment reconstituer l'étendue? C'est là le nœud du mystère; la difficulté tient à la nature même des choses étendues, conçues ou réalisées; l'ordre réel participe des inconvénients de l'ordre idéal. Si l'étendue pensée ne se peut constituer au moyen des points inétendus, il en sera de même de l'étendue véritable; et si l'étendue pensée ne se peut diviser jusqu'à la limite extrême des points simples, l'étendue réelle suivra la même loi: ces impossibilités

tiennent à l'essence de l'étendue; elles en sont inséparables.

CHAPITRE XXIII.

Les points inétendus.

166. Il existe contre l'existence des points inétendus deux objections puissantes; nécessité de les supposer en nombre infini. Est-il possible autrement d'atteindre le simple en partant de l'étendu? Impossibilité de produire l'étendue, même en supposant ces points en nombre infini. Telle est la force de ces deux objections, qu'elles rendent excusables toutes les divagations en sens contraire. Devant ces étrangetés : le simple formant l'étendu, l'infini contenu dans une molécule de matière, rien ne nous doit paraître étrange.

167. Peut-on arriver aux points inétendus autrement que par la division poussée à l'infini ? l'inétendu est zéro dans l'ordre de l'étendue. Pour en arriver à zéro dans une progression géométrique décroissante il faut la continuer à l'infini. Nous pouvons rendre ce calcul sensible par une image.

Deux parties unies supposent deux faces; l'une par laquelle ces parties se touchent, l'autre qui n'est pas en contact. Séparons la face intérieure de la face extérieure; voilà deux faces nouvelles; l'une extérieure, l'autre en contact. Que si l'on continue la

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