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science constate le phénomène parce qu'il est réel et vrai; mais elle n'en peut donner qu'une explication gratuite ce phénomène échappe à l'analyse.

En effet, l'expérience démontre que l'entendement ne prend pour guide aucune des considérations présentées par la philosophie. La certitude la plus absolue, la plus ferme, est le résultat spontané d'un instinct naturel; c'est une adhésion inébranlable arrachée par l'évidence, par la force du sens intime, par une impulsion involontaire; ce n'est pas une conviction produite par une série de raisonnements ces raisonnements, ces combinaisons n'existent que dans l'esprit du philosophe; ainsi, lorsqu'on veut signaler les fondements de la certitude, on n'indique point ce qui est, mais tout au plus ce qui pourrait ou devrait être.

Admettons que les philosophes se laissent guider par leurs systèmes, qu'ils ne les oublient point, qu'ils ne s'en écartent jamais; nous aurons la raison de la certitude philosophique, non la raison de la certitude humaine. Or, s'il est vrai que les philosophes se bornent à user de leurs moyens scientifiques du haut de leurs chaires, il suit que les prétendus fondements sont une pure théorie. Où donc est la réalité?

37. Cette démonstration de la vanité des systèmes philosophiques, à l'égard des fondements de la certitude, nous mène-t-elle au scepticisme? non; mais, par une juste appréciation du néant des subtilités de la raison, par la comparaison de notre impuissance

avec la force irrésistible de la nature, elle nous apprend à respecter les lois que le créateur a posées à notre intelligence; elle nous met sur la voie où marche l'humanité; elle nous incline au joug d'une philosophie judicieuse, de la philosophie du bon sens, c'est-à-dire à la loi de notre être'.

CHAPITRE IV.

La science transcendantale existe-t-elle dans l'ordre intellectuel absolu.

38. La philosophie cherche le premier principe des connaissances humaines; mais chaque philosophe présente le sien. Quel est le véritable? At-il même été découvert ?

Avant de demander quel est le premier principe, il eût été bon de savoir s'il existe un premier principe; or, on ne peut supposer cette dernière question résolue affirmativement, puisque la solution change selon le point de vue où l'on se place; nous le verrons bientôt.

Ce mot, premier principe, se peut entendre de deux manières il désigne une vérité unique, origine de toutes les autres, ou bien une vérité dont il faut supposer l'existence sous peine d'anéantir toute vérité. Dans le premier cas, le premier principe est comme une source d'où partent les mille canaux qui fertili3 Voyez la note III à la fin du volume.

sent l'intelligence; dans le second, c'est un point d'appui qui doit porter, sans faiblir, le poids d'un monde. 39. Existe-t-il une vérité, principe de toute vérité ? Dans la réalité, dans l'ordre des êtres, dans l'ordre intellectuel universel, oui dans l'ordre intellectuel humain, non.

40. Dans l'ordre des êtres, il existe une vérité première, parce que la vérité est la réalité, et qu'il existe un être auteur de tous les êtres. Cet être est une vérité, la vérité même, la plénitude de la vérité, car il est l'essence même de l'être, la plénitude de l'être.

Toutes les écoles philosophiques ont reconnu celte unité d'origine. Les athées la nomment force; les panthéistes, substance unique, l'absolu, l'inconditionnel. Les uns et les autres, ayant abandonné l'idée de Dieu, sont contraints de mettre à sa place quelque chose d'où ils puissent tirer l'univers et les phénomènes multiples de l'univers.

41. Dans l'ordre intellectuel universel, il existe une vérité mère de toute vérité, c'est-à-dire qu'il n'y a point seulement unité d'origine dans les vérités réalisées ou dans les êtres considérés en eux-mêmes, mais que cette unité se manifeste dans l'enchaînement des idées qui représentent les êtres; de sorte que, si notre entendement se pouvait élever à la connaissance de toutes les vérités, en les embrassant dans leur ensemble et dans leurs rapports, il verrait que malgré leur dispersion presque infinie, malgré leur divergence apparente, parvenues à une certaine hauteur, ces vérités vont convergeant vers un

centre commun, où elles s'unissent en faisceau, comme des rayons de lumière dans le point lumineux qui les verse sur le monde.

42. Il arrive souvent que les théologiens, en essayant l'explication des dogmes révélés, sèment les doctrines philosophiques les plus fécondes. C'est ainsi que saint Thomas d'Aquin, dans ses Questions sur Pentendement des anges et dans d'autres parties de ses œuvres, nous a laissé une théorie pleine d'intérêt et de lumière. Selon le saint docteur, à mesure que les purs esprits s'élèvent dans l'ordre hiérarchique, leur intelligence agrandie s'exerce sur un moindre nombre d'idées, et cette progression ne s'arrête qu'à Dieu; Dieu connaît toutes choses dans une seule idée, cette idée unique est son essence même. Ainsi, il y a non-seulement un être auteur de tous les êtres, mais encore une idée unique, infinie, qui renferme toutes les idées. Celui qui posséderait cette idée verrait tout en elle; or, comme cette plénitude de compréhension n'appartient essentiellement qu'à l'intelligence infinie de Dieu, les créatures, en arrivant, dans l'autre vie, à la vision béatifique, c'est-àdire à l'intuition de l'essence divine, verront plus ou moins d'objets selon qu'ils posséderont Dieu d'une manière plus ou moins parfaite. Chose admirable! le dogme de la vision béatifique, lorsqu'on sait le comprendre, est aussi une vérité philosophique de la plus haute portée. Le rêve sublime de Malebranche sur les idées était peut-être une réminiscence de ses études théologiques.

43. Réalité pour les purs esprits, chimère pour l'esprit de l'homme enfermé dans la prison du corps, la science transcendantale sera la récompense de l'âme heureuse, lorsqu'après l'épreuve de la vie elle s'élèvera dans les régions de la lumière.

44. S'il nous est permis de juger par analogie, elle existe, en effet, cette science transcendantale qui contient toutes les sciences, tandis qu'elle est contenue elle-même dans un seul principe, ou, pour mieux dire, dans une seule idée, dans une seule intuition. N'avons-nous point une image sensible de cette vérité dans la progression des êtres, dans les degrés divers où l'intelligence individuelle est distribuée, dans le développement progressif des sciences?

Un des caractères distinctifs de l'intelligence est de généraliser, de percevoir ce qui est commun dans ce qui est divers, de ramener le multiple à l'unité; et cette faculté est proportionnelle au développement intellectuel.

43. La brute ne perçoit rien au delà de ses sensations et des objets qui les causent. Nulle généralisation, nulle classification; rien qui s'élève au-dessus de l'impression reçue et de l'instinct qui pourvoit aux nécessités de la vie. L'homme, au contraire, dès le réveil de son intelligence, aperçoit des rapports sans nombre. Ce qu'il a vu dans une circonstance, il sait l'appliquer en une autre ; il généralise, il embrasse dans une idée unique une multitude de rapports et d'idées. L'enfant veut-il atteindre, de la main, un objet hors de sa portée, il improvise aussitôt un

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