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en excepter une seule. Puisque cette vérité comprend toute vérité, elle est infinie, et, partant, supérieure au corps, qui n'est qu'un effet. Donc, elle est quelque chose de spirituel; en d'autres termes, elle est Dieu, le Dieu des chrétiens, le vrai Dieu. Mesurons sur cette vérité la vérité humaine; celle-ci relève de nous, puisque nous avons coordonné ses divers éléments; elle réside en nous; à l'aide de certains raisonnements, nous pouvons l'étendre jusqu'à l'infini. Coordonner ces vérités, c'est les connaître et les créer en même temps. Voilà pourquoi nous possédons en ce cas le genre ou la forme selon laquelle nous agissons » (Ibid. 3).

Il m'est impossible de rien trouver là contre le scepticisme; supposons le principe de causalité généralement admis, ce qui est inexact, que tirer de ce principe, en admettant pour criterium unique l'œuvre même de l'entendement qui doit s'en servir? Si la causalité est le seul criterium, que devient l'intelligence? Dans l'ordre des effets, elle ne peut aller au delà de ceux qu'elle produit; dans l'ordre des causes, elle ne peut descendre plus profondément qu'elle-même, sans trouver aussitôt la cause à laquelle elle doit l'existence. Donc, la victoire reste au scepticisme; la connaissance se renferme dans le monde intérieur, dans le monde des apparences. Que si l'on veut en sortir, on se heurte contre l'obstacle du criterium unique, l'entendement ne connaît que ce qu'il a fait. Plus de réalités; nous en sommes séparés par un abime. Le monde est comme s'il n'exis

tait point. Cette loi s'appliquant à toutes les intelligences, seule, la cause première pourra connaître les réalités sensibles.

Conséquences inévitables du système de Vico: le doute absolu. Etrange moyen de combattre le scepticisme!

CHAPITRE XXXI.

Suite.

304. S'il est un terrain sur lequel on puisse admettre le criterium de Vico, c'est le terrain des vérités idéales. Ces vérités n'ayant aucun rapport avec l'existence, il est permis, à la rigueur, de supposer que l'entendement les comprend, bien qu'il ne les produise pas. En tant que connues, elles ne contiennent rien de réel, et par conséquent n'impliquent aucune condition de force productrice hors de l'ordre purement idéal. Mais dans cet ordre de vérités, la raison semble en effet produire. Prenons pour exemple la géométrie n'est-il pas évident qu'elle est l'œuvre de la raison? Edifice magnifique, dont chaque pierre, pour ainsi parler, a été tirée de l'intelligence humaine. Oui! c'est à l'énergique persévérance de la raison qu'est dû ce monument gigantesque. Elle peut dire en toute vérité : ceci est mon ouvrage!

Il suffit de suivre avec attention les développements

de la science géométrique pour reconnaître que la longue chaîne des axiomes, des théorèmes, des problèmes dont elle se compose, se rattache à certains principes peu nombreux, se continue à l'aide de ces principes ou de quelques autres que la raison découvre et combine, selon l'utilité ou le besoin.

Qu'est-ce que la ligne? une série de points. Construction intellectuelle, puisqu'une série de points n'est autre chose que le point en mouvement. Qu'estce que le triangle? trois lignes réunies par leur extrémité, en vertu d'une conception de l'esprit. Qu'est-ce que le cercle? l'espace compris dans une circonférence, formée par l'extrémité d'une ligne tournant autour d'un point; autre composition intellectuelle. Que sont toutes les courbes? des lignes tracées par le mouvement d'un point soumis à une certaine loi d'inflexion. L'idée de superficie n'est-elle point engendrée par le mouvement d'une ligne, celle d'un solide par le mouvement d'une superficie? lignes, surfaces, solides de diverses espèces et diversement combinées, n'est-ce point là toute la géométrie?

L'arithmétique universelle elle-même, y compris l'algèbre, est l'œuvre de l'intelligence. L'entendement compose les nombres à l'aide de l'unité. Deux, c'est un plus un; trois, deux plus un. Toutes les valeurs numériques se forment de cette manière. Les idées qui expriment ces valeurs sont une création de notre esprit; elles contiennent ce qu'il y a mis, rien de plus.

305. De ces observations il semble ressortir que

le système de Vico se peut appliquer aux mathématiques pures, science de l'ordre idéal. Peut-être en estil ainsi de plusieurs autres sciences; de la métaphysique, par exemple. Mais, les mathématiques étant le seul terrain sur lequel toutes les opinions se trouvent forcément d'accord, nous nous en tiendrons là. D'ailleurs, en exposant jusqu'à quel point ce système se peut appliquer aux mathématiques, nous aurons fait comprendre les difficultés qu'il présente par rapport aux sciences.

306. La raison combine, suppose, compare, déduit; opérations qui ne peuvent se concevoir sans une sorte de composition intellectuelle. Dans ce cas, l'entendement sait ce qu'il fait, car son œuvre lui est présente; lorsqu'il combine, il sait ce qu'il combine; lorsqu'il compare et déduit, il sait ce qu'il déduit et compare; lorsqu'il s'appuie sur certaines suppositions qu'il a lui-même établies, il sait ce qu'elles sont, puisqu'il s'appuie sur elles. Donc l'intelligence compose dans l'ordre purement idéal.

307. L'entendement connaît ce qu'il fait, mais il connaît autre chose; il est des vérités qui ne sont ni ne peuvent être son œuvre, puisqu'elles sont le fondement de tout ce qu'il fait. Dans ce principe : « Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en même temps,» reconnaissez-vous une création de la raison? non certainement; la raison elle-même repose sur ce principe, elle reconnaît sa préexistence; l'entendement le trouve en soi comme une loi nécessaire, comme une condition sine quá non de tous ses actes.

Que devient alors le criterium de Vico : « L'entendement ne connaît que la vérité qu'il fait. » L'entendement connaît le principe de contradiction, il ne le fait pas.

308. Les faits de conscience sont connus par la raison, bien qu'ils ne soient point l'ouvrage de la raison; celle-ci les combine dans la conscience même où elle reconnaît leur présence. Nouvel échec à ce criterium.

309. Même dans l'ordre purement intellectuel, si l'entendement connaît ce qu'il fait, il ne fait pas ce qu'il veut, autrement il faudrait dire que les sciences sont arbitraires; à la place des résultats donnés par la géométrie, nous pourrions en supposer d'autres aussi nombreux, aussi divers que les caprices de la pensée. Il n'en est pas ainsi : la raison relève de certaines lois, ses opérations sont soumises à certaines conditions dont elle ne peut s'affranchir. Parmi ces conditions, il faut comprendre le principe de contradiction que l'on ne violerait point une fois sans anéantir toute connaissance. Je puis, au moyen d'une suite de combinaisons intellectuelles, dégager le volume d'une sphère, mais je ne puis faire que ce volume soit autre qu'il n'est. Deux mathématiciens suivront dans leur démonstration des routes différentes; ils exprimeront, chacun à leur manière, les formules, les opérations, les calculs; mais la valeur cherchée étant la même, la valeur trouvée ne saurait être une valeur différente. S'il y avait différence, il y aurait erreur d'un ou d'autre côté.

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