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mais il n'y a point de synthèse dans la découverte de leurs rapports; cette découverte s'obtient par l'analyse.

De ce qu'il a fallu plusieurs idées pour former un jugement, il ne suit point que ce jugement soil synthétique; ce serait dire qu'il n'existe que des jugements de cette espèce. Dans cette affirmation: l'homme est raisonnable, l'idée homme implique deux idées, animal et raisonnable; le jugement n'en est pas moins analytique. Décomposer une idée pour y trouver certains attributs, abstraction faite de la manière dont l'idée que l'on décompose a été formée, et du nombre d'idées que l'on y a fait entrer, voilà les caractères d'un jugement analytique. Le nom définit la chose.

291. Dans l'évidence médiate, le sujet contient l'attribut; mais notre intelligence saisit ces idées d'une manière incomplète; nous ne les embrassons point dans toute leur étendue; c'est pourquoi la compréhension des mots ne nous révèle point sur-lechamp la présence de l'attribut dans l'idée du sujet. De plus, les objets s'offrent à nous comme épars, même ceux qui relèvent de l'ordre idéal; ne connaissant point l'ensemble, nous passons successivement des uns aux autres, découvrant à mesure les rapports qu'ils ont entre eux.

292. Il suit de là que, dans l'ordre purement idéal, tous les jugements sont analytiques. En effet, les connaissances de ce genre relèvent d'une intuition en vertu de laquelle l'esprit pénètre une idée plus

ou moins complexe, et découvre ce qu'elle contient. Il n'y a là d'autre synthèse que le rapprochement des objets en vertu de l'union des idées de ces objets en un concept total, lequel sert à découvrir les rapports des idées partielles.

293. Donc l'inconnue, l'x qu'il s'agit de dégager, problème redoutable que le penseur allemand pose à la philosophie, n'est autre chose que la faculté donnée à l'intelligence de réunir, en un concept total, un certain nombre d'idées, et de saisir dans ce concept nouveau les rapports que ces idées ont entre elles; mais cette faculté n'est pas une découverte moderne; toutes les écoles l'ont reconnue. Nul ne refusa jamais à l'entendement la faculté de comparer; or la comparaison est un acte par lequel l'entendement met sous son regard deux ou plusieurs idées afin d'éludier leurs rapports.

Cet acte est la formation d'une idée totale dont les idées comparées sont les parties. Ainsi, en géométrie, pour vérifier le rapport que certaines figures ont entre elles, on construit une nouvelle figure qui les comprend toutes, sorte de champ sur lequel se fait la comparaison.

Ce que je viens d'exposer à propos des jugements analytiques et synthétiques me semble suffire; je n'ai voulu traiter cette question que d'une manière générale et seulement dans ses rapports avec la certitude; je ne descendrai donc point en des détails qui seront mieux placés dans une autre partie de cet ouvrage.

CHAPITRE XXX.

Criterium de Vico.

294. Avoir fait la vérité que l'on connaît; nos connaissances entièrement certaines, alors seulement qu'elles relèvent de nous comme de leur cause, et perdant de leur certitude, à mesure que l'entendement perd son caractère de causalité par rapport aux objets qu'il connait, voilà le criterium de Vico. Dieu, cause infinie, universelle, possède toute connaissance; la créature, cause finic, connaît peu de choses et les connait imparfaitement; si, dans une certaine mesure, il est permis de comparer l'intelligence finie à l'intelligence infinie, c'est dans la création du monde idéal. Cet idéal, l'intelligence finie l'étend à volonté, sans qu'il soit possible de lui assigner une limite infranchissable.

Nous allons laisser parler l'auteur :

« Les mols verum et factum, le vrai et le fait, s'emploient l'un pour l'autre dans la langue latine, ou, selon l'expression de l'école, se transforment l'un en l'autre. Intelligere, comprendre, est la même chose que lire clairement et connaitre avec évidence; cogitare se traduit en italien par pensare e andar raccogliendo; ratio, raison, désignait chez les Romains une collection d'éléments numériques, en mème

temps que ce don qui distingue l'homme de la brute et constitue sa supériorité. Ils définissaient l'homme : animal rationis particeps, qui participe de la raison, par conséquent qui ne la possède pas. Les mots sont les signes des idées, les idées sont les représentations des choses. Ainsi, legere, lire, c'est réunir les éléments de l'écriture, les lettres dont les mots sont formés; et comprendre, intelligere, c'est réunir les éléments qui constituent l'idée parfaite d'une chose.

D'où l'on peut inférer que l'ancienne Italie professait la doctrine suivante sur le vrai : « La vérité est le fait même; par conséquent, Dieu est la vérité première parce qu'il est le premier agent (factor), la vérité infinie, parce qu'il a fait toutes choses; la vérité absolue, car il représente tous les éléments des choses tant internes qu'externes, et il les représente, parce qu'il les contient. Savoir, c'est réunir les éléments des choses; d'où il suit que la pensée (cogitatio) est le propre de l'esprit de l'homme et l'intelligence le propre de l'esprit de Dieu. En effet, Dieu réunit en lui les éléments des choses et les coordonne; l'esprit humain, borné dans sa nature, placé hors de tout ce qui n'est pas lui, a la faculté de rapprocher, non de réunir; il peut penser sur les choses, non les comprendre; c'est pourquoi il participe de la raison, mais ne la possède pas. Que l'on me permette cette comparaison le vrai divin est une image solide des choses, une sorte de figure plastique; le vrai humain, une image plane, sans profondeur, une sorte de peinture. Le vrai divin est vrai, parce que, dans

l'acte même de la connaissance, Dieu veut et produit. Ainsi du vrai humain; il n'est vrai que relativement à cet ordre de choses dans lesquelles l'homme décide et crée. Savoir, c'est connaître la manière dont une chose se fait; connaissance en vertu de laquelle l'esprit fait lui-même l'objet connu, puisqu'il recompose ses éléments. L'objet est un solide pour Dieu qui comprend tout, une surface pour l'homme qui ne comprend que l'extérieur des choses. Ces points une fois établis, observons que les anciens philosophes de l'Italie identifiaient le vrai avec le fait, parce qu'ils croyaient le monde éternel. Leur Dieu opérait toujours ad extra, ce que notre théologie repousse. Le dogme chrétien enseigne que le monde a été créé de rien, dans le temps. Il faut donc établir une distinction; identifier la vérité créée avec le fait, et la vérité incréée avec l'engendré (genito). Ainsi les saints livres, dans leur langage divin, donnent le nom de Verbe à la sagesse de Dieu, qui contient en elle, avec les idées de tous les ètres, les éléments des idées ellesmèmes. Dans le Verbe, le vrai est la compréhension de l'ensemble des éléments qui composent cet univers, compréhension d'où pourrait sortir une infinité de mondes; de ces éléments connus et compris dans la toute - puissance divine est formé le Verbe réel absotu, connu de toute éternité par le Père, engendré par lui de toute éternité » (De l'ancienne sagesse de l'Italie, liv. Jer, chap. 1).

295. Le philosophe napolitain tire de ces principes, entre autres conséquences importantes, une

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