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dans une seule idée, le maître est forcé d'employer un long enchaînement d'idées.

273. Nous pouvons maintenant apprécier, à sa valeur, l'opinion de Dugald Stewart (Éléments de la Philosophie de l'esprit humain). « Il est permis de douter que même l'équation arithmétique 2 + 2 = 4 se puisse représenter d'une manière exacte par la formule A = A. Cette opération énonce l'équivalence de deux expressions différentes, équivalence dont la découverte peut avoir une importance décisive en un grand nombre de cas; tandis que la formule A = A, entièrement insignifiante, est pratiquement sans application. Que sera-ce donc si l'on prétend la comparer au binôme de Newton? La comparer à l'équation 2+24 (équation qui, par son extrême simplicité, peut passer pour un axiome), c'est, à mon avis, un paradoxe. Toutefois, ce paradoxe ne nous révolte pas outre mesure; mais, dans le second cas, il est impossible de lui donner un sens. (2o part., ch. 2, sect. 3, parag. 2.)

N'en déplaise au philosophe, l'absurdité du paradoxe tient à l'erreur dans laquelle il est tombé luimême. Nul n'a prétendu nier l'importance de la découverte de Newton; nul ne conteste que sa formule ne soit un grand progrès sur celle-ci : A=A. Mais là n'est point la question; il s'agit de savoir si la formule du binôme est plus que l'expression de choses identiques, et si l'expression elle-même est ou non le fruit d'une suite de perceptions d'identité. Présentée sous le point de vue de Dugald Stewart, la question

ne devrait point nous arrêter un seul instant. En bonne philosophie, on ne discute point l'absurde, encore moins ce qui est ridicule.

CHAPITRE XXVIII.

Suite.

274. Expliquons maintenant comment la doctrine de l'identité s'applique, en général, à tous les raisonnements, qu'ils soient ou ne soient point mathématiques. Pour cela, nous allons analyser quelques-unes des formes dialectiques dans lesquelles se trouve formulé l'art de raisonner :

Tout Best C, or M est B, donc M est C. La majeure de ce syllogisme nous montre B identique à C, la mineure M identique à B, d'où nous concluons que Mest identique à D. Affirmation d'identité dans les trois propositions, et partant, perception d'identité; voyons ce qui se passe dans l'enchaînement des termes, enchaînement qui constitue la force du syllogisme.

M est C, parce qu'il est B, et que tout B est C. M est un des B compris dans cette expression, tout B; ainsi lorsque je dis M est B, je n'avance rien qui n'ait été dit. Si les deux expressions diffèrent, c'est que dans la proposition tout B je n'apercevais pas un des contenus M, duquel toutefois j'affirmais qu'il était C, en

disant tout Best C. Si dans l'expression tout B j'avais vu distinctement M, le syllogisme devenait inutile, car dans la proposition tout B est C, j'aurais compris celle-ci M est C.

Voilà pourquoi, lorsqu'il s'agit d'énoncer des rapports parfaitement clairs, on remplace le syllogisme par l'enthymème. L'enthymème est un syllogisme abrégé; mais cette abréviation est autre chose qu'une économie de mots, à savoir, une économie d'idées; l'entendement voit, par intuition, une chose dans l'autre, sans recourir à l'analyse « Il est homme, donc il est raisonnable. » Je supprime la majenre, je ne la pense même point parce que dans l'idée homme, dans l'individualisation de cette idée, j'aperçois intuitivement l'idée raisonnable sans gradation ni succession.

Il s'agit, par exemple, de démontrer que le périmètre d'un polygone inscrit est plus petit que la circonférence du cercle, et l'on raisonne ainsi :

Tout ensemble de lignes droites inscrites dans leurs courbes respectives est plus petit que l'ensemble de ces mêmes courbes; or le périmètre d'un polygone est un ensemble de lignes droites, et la circonférence un ensemble d'arcs et de courbes; donc le périmètre inscrit est plus petit que la circonférence.

Je le demande Savoir que l'ensemble des lignes droites est plus petit que l'ensemble des courbes, ou que le périmètre est plus petit que la circonférence, n'est-ce point, sauf la différence des termes, une même chose? Pourquoi donc rappeler le principe

général? que peut-il ajouter à l'idée particulière? Est-il rien de plus clair que ces propositions: le périmètre du polygone est un ensemble de droites; la circonférence est un ensemble d'arcs ou de courbes ?

Il est vrai, ce principe n'ajoute rien à l'idée particulière, mais il éveille l'attention, il l'appelle sur une phase de cette idée et la force, pour ainsi dire, à y découvrir, à l'aide de la réflexion, ce qu'elle n'avait point su voir. La certitude de la conclusion est indépendante du principe général. Il suffirait de tenir compte des rapports de supériorité ou d'infériorité des lignes droites du périmètre et des arcs dont l'ensemble forme la circonférence, pour arriver au même résultat.

Cet exemple confirme ce que nous avons avancé, que l'enthymème n'est pas une simple abréviation de mots; il explique l'emploi de cette forme logique dans les questions qui nous sont familières. Nous voyons la conséquence dans chacune des prémisses; qu'avons-nous besoin de les exprimer toutes deux ?

Le commençant dira: L'arc est plus grand que sa corde, parce qu'une courbe est plus longue qu'une droite; familiarisé avec les idées géométriques, il Jui suffira de dire l'arc est plus grand que la corde. Si l'arc est plus grand que la corde, ce n'est point parce que toute courbe est plus grande que la droite correspondante; l'idée abstraite courbe pourrait ne pas exister; l'unique courbe pensée pourrait être la courbe particulière, arc de cercle; l'idée abstraite, ligne droite, n'existerait point, l'unique ligne droite

pensée pourrait être la corde, qu'il serait encore vrai, comme il est vrai maintenant, que l'arc est plus grand que la corde.

275. Lorsqu'il s'agit des rapports nécessaires des objets, les principes généraux, les termes moyens, tous les auxiliaires que la dialectique met au service du raisonnement, ne sont, au fond, que des inventions de l'art, pour nous amener à réfléchir sur l'idée. Il suit de là que nos jugements sur cette sorte d'objets sont en quelque sorte analytiques. Kant affirme qu'il est des jugements synthétiques en dehors de l'expérience. C'est une erreur. Nous pouvons, abstraction faite de l'expérience, posséder l'idée de la chose, mais rien au-delà. Je suis loin de prétendre, cependant, que dans toute proposition le rapport entre l'attribut et le sujet soit tel, que l'idée de l'un nous donne toujours l'idée de l'autre ; je soutiens seulement que s'il n'en est point ainsi, c'est que l'idée est incomplète, ou par elle-même ou par rapport à notre manière de la comprendre. Que si l'on supposait l'idée complète par elle-même, et notre entendement en état de saisir ce qu'elle contient, nous trouverions, dans l'idée, tout ce qui peut être objet de science.

276. Un exemple que j'emprunte aux mathématiques va rendre ma proposition facile à saisir. On connaît les propriétés nombreuses du triangle; l'explication, la démonstration, les applications de cette figure remplissent les traités de géométrie. Or, dans l'idée du triangle entrent les idées de lignes droites, et

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