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procèdent, directement ou indirectement, d'une manière médiate ou immédiate, de la cause de ces objets. D'autre part nous avons déjà vu que le premier Être ne connaît les créatures distinctes de lui-même qu'en tant qu'il est leur cause; donc la représentation d'idéalité vient se fondre dans celle de causalité, et ainsi se réalise, en partie, ce principe célèbre du penseur napolitain Vico : « L'intelligence connaît seulement ce qu'elle fait. »

135. De la doctrine que nous venons d'exposer ressortent ces conséquences:

Deux sources primitives de représentation intellectuelle identité et causalité. La représentation d'idéalité dérive nécessairement de cette dernière.

Dans l'ordre réel, le principe de l'être est identique à celui du connaître. Celui-là seul qui donne l'être peut donner la connaissance; celui-là seul qui donne la connaissance peut donner l'être. La cause première peut donner la connaissance dans la même proportion qu'elle donne l'être; elle représente parce qu'elle est cause.

136. La représentation d'idéalité, bien que tenant à la représentation de causalité, en est réellement distincte. Je ne puis laisser sans quelques éclaircissements ce point qui se lie, d'une manière intime, au problème de la représentation intellectuelle. Toutefois, la question viendrait mieux dans le traité des idées.

Il est des gens qui se figurent les idées comme une sorte d'images, comme des ressemblances de l'objet,

ce qui n'est exact qu'à propos des représentations de l'imagination, c'est-à-dire de ce qui est purement corporel. Encore, dans ce cas même, faudrait-il que le monde externe fût, sous tous les rapports, tel que les sens nous le représentent; qui donc oserait affirmer qu'il en est ainsi? Pour comprendre combien est vaine la théorie qui se fonde sur la ressemblance des choses sensibles, demandez ce qu'est l'image d'un rapport, comment sont représentés le temps, la causalité, la substance, l'être. La perception de ces idées implique un phénomène qui n'appartient pas à l'ordre sensible. On a comparé l'entendement à l'œil qui voit, et l'idée à l'image présente aux regards. Comparaison imparfaite. Le phénomène est quelque chose de plus mystérieux, de plus secret, de plus intime. Entre la perception et l'idée, il existe une union ineffable; l'homme ne la peut expliquer, mais il la

sent.

137. La conscience atteste l'unité de notre être, l'identité du moi; elle proclame sa permanence, malgré la variété, la multiplicité des idées et des actes qui se succèdent en lui comme les vagues sur la surface d'un lac. Les idées sont une manière d'être de l'esprit; mais quelle est la nature de cette modification? La production et la reproduction des idées relèvent-elles d'une cause distincte, agissant sur notre âme d'une manière constante et déterminant en elle, immédiatement, ces manières d'être que nous nommons représentations ou idées? L'esprit a-t-il reçu du Créateur une activité capable de produire ces re

présentations, bien que cette activité soit soumise à la détermination d'une cause excitante? Je me borne à poser les questions; nous les reprendrons plus tard '.

CHAPITRE XIV.

Il n'existe point de premier principe dans
l'ordre idéal.

138. Ce que nous n'avons pu trouver dans la région des faits, nous ne le trouverons pas davantage dans celle des idées. Donc il n'existe point de vérité idéale, principe unique de toute vérité.

On entend par vérité idéale l'expression d'un rapport nécessaire d'idées, abstraction faite de l'existence des objets que ces idées représentent; d'où il suit que les vérités idéales sont incapables, d'une manière absolue, de produire la connaissance de la réalité.

Pour acquérir une valeur, dans l'ordre des existences, toute vérité idéale a besoin de se formuler dans un fait. Le fait, s'il ne se combine à l'idéal, reste dans son individualité; il est incapable de produire autre chose que la connaissance de lui-même; la vérité idéale, isolée du fait, ne sort pas du monde abstrait et logique; il ne peut descendre sur le terrain des existences.

1 Voyez la note XIII à la fin du volume.

T

139. Appliquons cette doctrine aux principes les plus certains de l'ordre idéal, à ceux qui, exprimant l'idée générale de l'être, doivent posséder la fécondité que nous cherchons, s'il est vrai qu'elle existe; par exemple, au principe de contradiction:

Il est impossible qu'une chose soit et ne soit pas en un même temps. »

Les idées que ce principe renferme sont les plus simples et les plus claires qui se puissent concevoir; c'est l'évidence au plus haut degré. Mais, s'il est seul, à quoi sert-il? Etudiez-le, creusez-le dans tous les sens, vous n'en tirerez qu'une intuition pure; intuition très distincte, sans doute, mais stérile. Comme il n'affirme l'existence ou la non existence d'aucun être en particulier, impossible d'en rien conclure pour ou contre une réalité quelconque. L'esprit ne saisit que ce rapport conditionnel: « Si quelque chose existe, on ne peut admettre que cette chose n'existe pas en un même temps, et vice versa. Quelle que soit l'évidence dans l'ordre idéal, si l'on ne pose la condition d'existence ou de non existence, le oui et lo non demeurent indifférents à l'ordre réel. »

Mais qu'un fait se présente à l'entendement, celuici s'en empare; il le jette, comme un pont, entre le monde logique et le monde des réalités; les deux rives se rapprochent; la science naît. Je sens, je pense, j'existe; combinez l'un de ces faits de conscience avec le principe de contradiction; ce qui n'était naguère qu'intuitions stériles, se déploie en une suite de raisonnements féconds, embras

sant à la fois et le monde des faits et celui des idées.

140. Même dans l'ordre purement idéal, le principe de contradiction demeure impuissant, s'il n'’est uni à des vérités particulières de même espèce. On emploie souvent, en géométrie, le raisonnement suivant : « Une telle quantité est ou plus grande ou plus << petite qu'une autre, ou égale à une autre; sans cela, « cette quantité serait, en même temps, plus grande << et plus petite, égale et inégale, ce qui est absurde. » Application légitime du principe de contradiction; mais observez qu'ici ce principe n'est pas employé seul, qu'il est accompagné d'une vérité particulière de l'ordre idéal. On n'a pu s'en servir pour prouver soit l'égalité, soit l'inégalité, qu'après avoir supposé ou prouvé l'existence ou la non existence de l'une ou de l'autre; or cette preuve ne pouvait être tirée du principe de contradiction lequel renferme non une idée particulière, mais les idées les plus générales qui se puissent offrir à l'entendement humain.

141. Les vérités générales, même dans l'ordre purement idéal, ne mènent à rien, lorsqu'on les emploie toutes seules, parce qu'elles sont indéterminées et sans application; il en est de même des vérités particulières, mais par une raison contraire. Ne sortant point d'elles-mêmes, celles-ci rendent impossible l'emploi du raisonnement, qui ne peut faire un pas sans le secours des idées et des propositions générales. Unissez ces deux ordres d'idées, la lumière jaillit; séparez-les, vous vous trouvez en présence

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