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qu'ils ont eue pour la voie lactée quand, la foiblesse de leurs yeux n'ayant pas encore reçu le secours de l'art, ils ont attribué cette couleur à une plus grande solidité en cette partie du ciel, qui renvoie la lumière avec plus de force? Mais ne serions-nous pas inexcusables de demeurer dans la même pensée maintenant qu'aidés des avantages que nous donne la lunette d'approche, nous y avons découvert une infinité de petites étoiles, dont la splendeur plus abondante nous a fait reconnoître quelle est la véritable cause de cette blancheur?

N'avoient-ils pas aussi sujet de dire que tous les corps corruptibles étoient renfermés dans la sphère du ciel de la lune, lorsque, durant le cours de tant de siècles, ils n'avoient point encore remarqué de corruptions ni de générations hors cet espace? Mais ne devons-nous pas assurer le contraire lorsque toute la terre a vu sensiblement des comètes s'enflammer', et disparoître bien loin au-delà de cette sphère ?

C'est ainsi que, sur le sujet du vide, ils avoient droit de dire que la nature n'en souffroit point, parceque toutes leurs expériences leur avoient toujours fait remarquer qu'elle l'abhorroit et ne pouvoit le souffrir. Mais si les nouvelles expériences leur avoient été connues, peut-être auroient-ils trouvé sujet d'affirmer ce qu'ils ont eu sujet de nier, par la raison que le vide n'avoit point encore paru. Aussi, dans le jugement qu'ils ont fait que la nature ne souffroit point de vide, ils n'ont entendu parler de la nature qu'en l'état où ils la connoissoient, puisque, pour le dire généralement, ce ne seroit pas assez de l'avoir vu constamment en cent rencontres, ni en mille, ni en tout autre nombre, quelque grand qu'il soit car s'il restoit un seul cas à examiner, ce seul cas suffiroit pour empêcher la décision générale. En effet, dans toutes les matières dont la preuve consiste en expériences, et non en démonstrations, on ne peut faire aucune assertion universelle, que par l'énumération générale de toutes les parties et de tous les cas différents.

De même, quand nous disons que le diamant est le plus dur de tous les corps, nous entendons de tous les corps que nous connoissons, et nous ne pouvons ni ne devons y comprendre ceux que nous ne connoissons point; et quand nous disons que l'or est le plus pesant de tous les corps, nous serions téméraires de comprendre dans cette proposition générale ceux qui ne sont point encore La vraie nature des comètes étoit encore ignorée au temps de Pascal.

en notre connoissance, quoiqu'il ne soit pas impossible qu'ils soient dans la nature.

Ainsi, sans contredire les anciens, nous pouvons assurer le contraire de ce qu'ils disoient; et quelque face enfin qu'ait cette antiquité, la vérité doit toujours avoir l'avantage, quoique nouvellement découverte, puisqu'elle est toujours plus ancienne que toutes les opinions qu'on en a eues, et que ce seroit ignorer la nature de s'imaginer qu'elle a commencé d'être au temps qu'elle a commencé d'être connue.

ARTICLE II.

RÉFLEXIONS SUR LA GÉOMÉTRIE EN GÉNÉRAL.

On peut avoir trois principaux objets dans l'étude de la vérité : l'un, de la découvrir quand on la cherche; l'autre, de la démontrer quand on la possède; le dernier, de la discerner d'avec le faux quand on l'examine.

Je ne parle point du premier. Je traite particulièrement du second, et il enferme le troisième. Car si l'on sait la méthode de prouver la vérité, on aura en même temps celle de la discerner, puisqu'en examinant si la preuve qu'on en donne est conforme aux règles qu'on connoît, on saura si elle est exactement démontrée.

La géométrie, qui excelle en ces trois genres, a expliqué l'art de découvrir des vérités inconnues; et c'est ce qu'elle appelle analyse, et dont il seroit inutile de discourir, après tant d'excellents ouvrages qui ont été faits.

Celui de démontrer les vérités déja trouvées, et de les éclaircir de telle sorte que la preuve en soit invincible, est le seul que je veux donner; et je n'ai pour cela qu'à expliquer la méthode que la géométrie y observe; car elle l'enseigne parfaitement. Mais il faut auparavant que je donne l'idée d'une méthode encore plus éminente et plus accomplie, mais où les hommes ne sauroient jamais arriver: car ce qui passe la géométrie nous surpasse; et néanmoins il est nécessaire d'en dire quelque chose, quoiqu'il soit impossible de le pratiquer.

Cette véritable méthode, qui formeroit les démonstrations dans la plus haute excellence, s'il étoit possible d'y arriver, consisteroit en deux choses principales : l'une, de n'employer aucun terme dont on n'eût auparavant expliqué nettement le sens; l'autre, de n'a

vancer jamais aucune proposition qu'on ne démontrât par des vérités déja connues, c'est-à-dire, en un mot, à définir tous les termes et à prouver toutes les propositions. Mais, pour suivre l'ordre même que j'explique, il faut que je déclare ce que j'entends par définition.

On ne reconnoit, en géométrie, que les seules définitions que les logiciens appellent définitions de nom, c'est-à-dire que les seules impositions de nom aux choses qu'on a clairement désignées en termes parfaitement connus; et je ne parle que de celles-là seulement.

Leur utilité et leur usage est d'éclaircir et d'abréger le discours, en exprimant, par le seul nom qu'on impose, ce qui ne pourroit se dire qu'en plusieurs termes; en sorte néanmoins que le nom imposé demeure dénué de tout autre sens, s'il en a, pour n'avoir plus que celui auquel on le destine uniquement. En voici un exemple.

Si l'on a besoin de distinguer dans les nombres ceux qui sont divisibles en deux également d'avec ceux qui ne le sont pas, pour éviter de répéter souvent cette condition, on lui donne un nom en cette sorte: j'appelle tout nombre divisible en deux également nombre pair.

Voilà une définition géométrique, parcequ'après avoir clairement désigné une chose, savoir, tout nombre divisible en deux également, on lui donne un nom qu'on destitue de tout autre sens s'il en a, pour lui donner celui de la chose désignée.

D'où il paroît que les définitions sont très libres, et qu'elles ne sont jamais sujettes à être contredites; car il n'y a rien de plus permis que de donner à une chose qu'on a clairement désignée un nom tel qu'on voudra. Il faut seulement prendre garde qu'on n'abuse de la liberté qu'on a d'imposer des noms, en donnant le même à deux choses différentes. Ce n'est pas que cela ne soit permis, pourvu qu'on n'en confonde pas les conséquences, et qu'on ne les étende pas de l'une à l'autre. Mais si l'on tombe dans ce vice, on peut lui opposer un remède très sûr et très infaillible : c'est de substituer mentalement la définition à la place du défini, et d'avoir toujours la définition si présente, que toutes les fois qu'on parle, par exemple, de nombre pair, on entende précisément que c'est celui qui est divisible en deux parties égales, et que ces deux choses soient tellement jointes et inséparables dans la pensée, qu'aussitôt que le discours exprime l'une, l'esprit y attache

immédiatement l'autre. Car les géomètres et tous ceux qui agissent méthodiquement n'imposent des noms aux choses que pour abréger le discours, et non pour diminuer ou changer l'idée des choses dont ils discourent; et ils prétendent que l'esprit supplée toujours la définition entière aux termes courts, qu'ils n'emploient que pour éviter la confusion que la multitude des paroles apporte.

'Rien n'éloigne plus promptement et plus puissamment les surprises captieuses des sophistes que cette méthode, qu'il faut avoir toujours présente, et qui suffit seule pour bannir toutes sortes de difficultés et d'équivoques.

Ces choses étant bien entendues, je reviens à l'explication du véritable ordre, qui consiste, comme je disois, à tout définir et à tout prouver.

Certainement cette méthode seroit belle, mais elle est absolument impossible; car il est évident que les premiers termes qu'on voudroit définir en supposeroient de précédents pour servir à leur explication, et que de même les premières propositions qu'on voudroit prouver en supposeroient d'autres qui les précédassent; et ainsi il est clair qu'on n'arriveroit jamais aux premières.

Aussi, en poussant les recherches de plus en plus, on arrive nécessairement à des mots primitifs qu'on ne peut plus définir, et à des principes si clairs, qu'on n'en trouve plus qui le soient davantage pour servir à leur preuve.

D'où il paroît que les hommes sont dans une impuissance naturelle et immuable de traiter quelque science que ce soit dans un ordre absolument accompli; mais il ne s'ensuit pas de là qu'on doive abandonner toute sorte d'ordre.

Car il y en a un, et c'est celui de la géométrie, qui est à la vérité inférieur, en ce qu'il est moins convaincant, mais non pas en ce qu'il est moins certain. Il ne définit pas tout, et ne prouve pas tout, et c'est en cela qu'il est inférieur; mais il ne suppose que des choses claires et constantes par la lumière naturelle, et c'est pourquoi il est parfaitement véritable, la nature le soutenant au défaut du discours.

Cet ordre le plus parfait entre les hommes consiste, non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir

toutes les autres; de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d'elles-mêmes.

C'est ce que la géométrie enseigne parfaitement. Elle ne définit aucune de ces choses, espace, temps, mouvement, nombre, égalité, ni les semblables, qui sont en grand nombre, parceque ces termes-là désignent si naturellement les choses qu'ils signifient à ceux qui entendent la langue, que l'éclaircissement qu'on voudroit en faire apporteroit plus d'obscurité que d'instruction.

Car il n'y a rien de plus foible que le discours de ceux qui veulent définir ces mots primitifs. Quelle nécessité y a-t-il, par exemple, d'expliquer ce qu'on entend par le mot homme? Ne sait-on pas assez quelle est la chose qu'on veut désigner par ce terme? et quel avantage pensoit nous procurer Platon en disant que c'étoit un animal à deux jambes, sans plumes? comme si l'idée que j'en ai naturellement, et que je ne puis exprimer, n'étoit pas plus nette et plus sûre que celle qu'il me donne par son explication inutile, et même ridicule; puisqu'un homme ne perd pas l'humanité en perdant les deux jambes, et qu'un chapon ne l'acquiert pas en perdant ses plumes.

Il y en a qui vont jusqu'à cette absurdité d'expliquer un mot par le mot même. J'en sais qui ont défini la lumière en cette sorte : La lumière est un mouvement luminaire des corps lumineux, comme si on pouvoit entendre les mots de luminaire et de lumineux sans celui de lumière.

On ne peut entreprendre de définir l'être sans tomber dans la même absurdité. Car on ne peut définir un mot sans commencer par celui-ci, c'est, soit qu'on l'exprime ou qu'on le sous-entende. Donc pour définir l'être il faudroit dire c'est, et ainsi employer dans la définition le mot à définir.

On voit assez de là qu'il y a des mots incapables d'être définis; et si la nature n'avoit suppléé à ce défaut par une idée pareille qu'elle a donnée à tous les hommes, toutes nos expressions seroient confuses; au lieu qu'on en use avec la même assurance et la même certitude que s'ils étoient expliqués d'une manière parfaitement exempte d'équivoques, parceque la nature nous en a elle-même donné, sans paroles, une intelligence plus nette que celle que l'art nous acquiert par nos explications.

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