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tiser que de lui et de ce qui le regardoit, ont néanmoins souvent prédit des choses particulières qui paroissoient assez indifférentes et inutiles à leur dessein. Il dit que c'étoit afin que, ces événements particuliers s'accomplissant de jour en jour aux yeux de tout le monde, en la manière qu'ils les avoient prédits, ils fussent incontestablement reconnus pour prophètes, et qu'ainsi l'on ne pût douter de la vérité et de la certitude de toutes les choses qu'ils prophétiso:ent du Messie. De sorte que, par ce moyen, les prophéties du Messie tiroient, en quelque façon, leurs preuves et leur autorité de ces prophéties particulières vérifiées et accomplies; et ces prophéties particulières servant ainsi à prouver et à autoriser celles du Messie, elles n'étoient pas inutiles et infructueuses. Voilà le sens de ce fragment étendu et développé. Mais il n'y a sans doute personne qui ne prît bien plus de plaisir de le découvrir soi-même dans les seules paroles de l'auteur que de le voir ainsi éclairci et expliqué.

Il est encore, ce me semble, assez à propos, pour détromper quelques personnes qui pourroient peut-être s'attendre de trouver ici des preuves et des démonstrations géométriques de l'existence de Dieu, de l'immortalité de l'ame, et de plusieurs autres articles de la foi chrétienne, de les avertir que ce n'étoit pas là le dessein de Pascal. Il ne prétendoit point prouver toutes ces vérités de la religion par de telles démonstrations fondées sur des principes évidents, capables de convaincre l'obstination des plus endurcis ; ni par des raisonnements métaphysiques, qui souvent égarent plus l'esprit qu'ils ne le persuadent, ni par des lieux communs tirés de divers effets de la nature; mais par des preuves morales, qui vont plus au cœur qu'à l'esprit : c'est-à-dire qu'il vouloit plus travailler à toucher et à disposer le cœur qu'à convaincre et à persuader l'esprit, parcequ'il savoit que les passions et les attachements vicieux qui corrompent le cœur et la volonté sont les plus grands obstacles et les principaux empêchements que nous ayons à la foi, et que, pourvu qu'on pût lever ces obstacles, il n'étoit pas difficile de faire recevoir à l'esprit les lumières et les raisons qui pouvoient le convaincre.

On sera facilement persuadé de tout cela en lisant ces écrits. Mais Pascal s'en est encore expliqué lui-même dans un de ses fragments qui a été trouvé parmi les autres, et que l'on n'a point mis dans ce recueil. Voici ce qu'il dit dans ce fragment : « Je n'entreprendrai pas ici de << prouver par des raisons naturelles, ou l'existence de Dieu, ou la Trinité, ou l'immortalité de l'ame, ni aucune des choses de cette na« ture; non seulement parceque je ne me sentirois pas assez fort pour << trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais « encore parceque cette connoissance, sans Jésus-Christ, est inutile et « stérile. Quand un homme seroit persuadé que les proportions des « nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes

« d'une première vérité en qui elles subsistent et qu'on appelle Dieu, « je ne le trouverois pas beaucoup avancé pour son salut. »

On s'étonnera peut-être aussi de trouver dans ce recueil une si grande diversité de pensées, dont il y en a même plusieurs qui semblent éloignées du sujet que Pascal avoit entrepris de traiter. Mais il faut considérer que son dessein étoit bien plus ample et plus étendu que l'on ne se l'imagine, et qu'il ne se bornoit pas seulement à réfuter les raisonnements des athées, et de ceux qui combattent quelques unes des vérités de la foi chrétienne. Le grand amour et l'estime singulière qu'il avoit pour la religion faisoit que non seulement il ne pouvoit souffrie 'qu'on la voulût détruire et anéantir tout-à-fait, mais même qu'on la blessât et qu'on la corrompit en la moindre chose. De sorte qu'il vouloit déclarer la guerre à tous ceux qui en attaquent ou la vérité, ou la sainteté, c'est-à-dire non seulement aux athées, aux infidèles et aux hérétiques, qui refusent de soumettre les fausses lumières de leur raison à la foi, et de reconnoître les vérités qu'elle nous enseigne; mais même aux chrétiens et aux catholiques qui, étant dans le corps de la véritable Église, ne vivent pas néanmoins selon la pureté des maximes de l'Évangile, qui nous y sont proposées comme le modèle sur lequel nous devons nous régler et conformer toutes nos actions.

Voilà quel étoit son dessein ; et ce dessein étoit assez vaste et assez grand pour pouvoir comprendre la plupart des choses qui sont répandues dans ce recueil. Il s'y en pourra néanmoins trouver quelques unes qui n'y ont nul rapport, et qui en effet n'y étoient pas destinées, comme, par exemple, la plupart de celles qui sont dans le chapitre des Pensées diverses, lesquelles on a aussi trouvées parmi les papiers de Pascal, et que l'on a jugé à propos de joindre aux autres ; parceque l'on ne donne pas ce livre-ci simplement comme un ouvrage fait contre les athées ou sur la religion, mais comme un recueil de Pensées sur la religion et sur quelques autres sujets.

Je pense qu'il ne reste p'us, pour achever cette préface, que de dire quelque chose de l'auteur après avoir parlé de son ouvrage. Je crois que non seulement cela sera assez à propos, mais que ce que j'ai dessein d'en écrire pourra même être très utile pour faire connoître comment Pascal est entré dans l'estime et dans les sentiments qu'il avoit pour la religion, qui lui firent concevoir le dessein d'entreprendre cet ouvrage.

On voit, dans la préface des Traités de l'équilibre des liqueurs, de quelle manière il a passé sa jeunesse, et le grand progrès qu'il y fit en peu de temps dans toutes les sciences humaines et profanes auxquelles il voulut s'appliquer, et particulièrement en la géometrie et aux mathématiques; la manière étrange et surprenante dont il les apprit à l'âge de onze ou douze ans, les petits ouvrages qu'il faisoit quelquefois, et qui surpassoient toujours beaucoup la force et la portée

d'une personne de son âge ; l'effort étonnant et prodigieux de son imagination et de son esprit qui parut dans sa machine arithmétique, qu'il inventa, âgé seulement de dix-neuf à vingt¶ans; et enfin les belles expériences du vide qu'il fit en la présence des personnes les plus considérables de la ville de Rouen, où il demeura quelque temps, pendant que le président Pascal, son père, y étoit employé pour le service du roi dans la fonction d'intendant de justice. Ainsi je ne répéterai rien ici de tout cela, et je me contenterai seulement de représenter en peu de mots comment il a méprisé toutes ces choses, et dans quel esprit il a passé les dernières années de sa vie, en quoi il n'a pas moins fait paroître la grandeur et la solidité de sa vertu et de sa piété qu'il avoit montré auparavant la force, l'étendue et la pénétration admirable de son esprit.

Il avoit été préservé, pendant sa jeunesse, par une protection particulière de Dieu, des vices où tombent la plupart des jeunes gens; et, ce qui est assez extraordinaire à un esprit aussi curieux que le sien, il ne s'étoit jamais porté au libertinage pour ce qui regarde la religion, ayant toujours borné sa curiosité aux choses naturelles. Et il a dit plusieurs fois qu'il joignoit cette obligation à toutes les autres qu'il avoit à son père, qui, ayant lui-même un très grand respect pour la religion, le lui avoit inspiré dès l'enfance, lui donnant pour maxime que tout ce qui est l'objet de la foi ne sauroit l'être de la raison, et beaucoup moins y être soumis.

Ces instructions, qui lui étoient souvent réitérées par un père pour qui il avoit une très grande estime et en qui il voyoit une grande science accompagnée d'un raisonnement fort et puissant, faisoient tant d'impression sur son esprit, que, quelques discours qu'il entendit faire aux libertins, il n'en étoit nullement ému; et, quoiqu'il fût fort jeune, il les regardoit comme des gens qui étoient dans ce faux principe, que la raison humaine est au-dessus de toutes choses, et qui ne connoissoient pas la nature de la foi.

Mais enfin, après avoir ainsi passé sa jeunesse dans des occupations et des divertissements qui paroissoient assez innocents aux yeux du monde, Dieu le toucha de telle sorte qu'il lui fit comprendre parfaitement que la religion chrétienne nous oblige à ne vivre que pour lui, et à n'avoir point d'autre objet que lui. Et cette vérité lui parut si évidente, si utile et si nécessaire, qu'elle le fit résoudre de se retirer, et de se dégager peu à peu de tous les attachements qu'il avoit au monde, pour pouvoir s'y appliquer uniquement.

Ce desir de la retraite, et de mener une vie plus chrétienne et plus réglée, lui vint lorsqu'il étoit encore fort jeune ; et il le porta dès lors à quitter entièrement l'étude des sciences profanes, pour ne s'appliquer plus qu'à celles qui pouvoient contribuer à son salut et à celui des autres. Mais de continuelles maladies qui lui survinrent le détournè

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rent quelque temps de son dessein, et l'empêchèrent de le pouvoir exécuter plus tôt qu'à l'âge de trente ans.

Ce fut alors qu'il commença à y travailler tout de bon; et, pour y parvenir plus facilement et rompre tout d'un coup toutes ses habitudes, il changea de quartier, et ensuite se retira à la campagne, où il demeura quelque temps; d'où étant de retour, il témoigna si bien qu'il vouloit quitter le monde, qu'enfin le monde le quitta. Il établit le réglement de sa vie dans sa retraite sur deux maximes principales, qui sont de renoncer à tout plaisir et à toute superfluité. Il les avoit sans cesse devant les yeux, et il tâchoit de s'y avancer et de s'y perfectionner toujours de plus en plus.

C'est l'application continuelle qu'il avoit à ces deux grandes maximes qui lui faisoit témoigner une si grande patience dans ses maux et dans ses maladies, qui ne l'ont presque jamais laissé sans douleur pendant toute sa vie ; qui lui faisoit pratiquer des mortifications très rudes et très sévères envers lui-même; qui faisoit que non seulement il refu· soit à ses sens tout ce qui pouvoit leur être agréable, mais encore qu'il prenoit sans peine, sans dégoût, et même avec joie, lorsqu'il le falloit, tout ce qui leur pouvoit déplaire, soit pour la nourriture, soit pour les remèdes ; qui le portoit à se retrancher tous les jours de plus en plus tout ce qu'il ne jugeoit pas lui être absolument nécessaire, soit pour le vêtement, soit pour la nourriture, pour les meubles, et pour toutes les autres choses; qui lui donnoit un amour si grand et si ardent pour la pauvreté, qu'elle lui étoit toujours présente, et que, lorsqu'il vouloit entreprendre quelque chose, la première pensée qui lui venoit en l'esprit étoit de voir si la pauvreté pouvoit être pratiquée, et qui lui faisoit avoir en même temps tant de tendresse et tant d'affection pour les pauvres, qu'il ne leur a jamais pu refuser l'aumône, et qu'il en a fait même fort souvent d'assez considérables, quoiqu'il n'en fit que de son nécessaire; qui faisoit qu'il ne pouvoit souffrir qu'on cherchât avec soin toutes ses commodités, et qu'il blâmoit tant cette recherche curieuse et cette fantaisie de vouloir exceller en tout, comme de se servir en toutes choses des meilleurs ouvriers, d'avoir toujours du meilleur et du mieux fait, et mille autres choses semblables qu'on fait sans scrupule, parcequ'on ne croit pas qu'il y ait du mal, mais dont il ne jugeoit pas de même; et enfin qui lui a fait faire plusieurs actions très remarquables et très chrétiennes, que je ne rapporte pas ici, de peur d'être trop long, et parceque mon dessein n'est pas d'écrire sa vie, mais seulement de donner quelque idée de sa piété et de sa vertu.

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