Page images
PDF
EPUB

la nature, afin que la grace soit non seulement en nous, mais vietorieuse en nous; qu'ainsi en sanctifiant le nom de notre Père, sa volonté devienne la nôtre; que sa grace règne et domine sur la nature, et que nos afflictions soient comme la matière d'un sacrifice que sa grace consomme et anéantisse pour la gloire de Dieu, et que ces sacrifices particuliers honorent et préviennent le sacrifice universel où la nature entière doit être consommée par la puissance de JÉSUS-CHRIST.

N

Ainsi nous tirerons avantage de nos propres imperfections, puisqu'elles serviront de matière à cet holocauste: car c'est le but des vrais chrétiens de profiter de leurs propres imperfections, parceque tout coopère en bien pour les élus.

Et si nous y prenons garde de près, nous trouverons de grands avantages pour notre édification, en considérant la chose dans la vérité; car puisqu'il est veritable que la mort du corps n'est que l'image de celle de l'ame, et que nous bâtissons sur ce principe, que nous avons sujet d'espérer du salut de ceux dont nous pleurons la mort, il est certain que, si nous ne pouvons arrêter le cours de notre tristesse et de notre déplaisir, nous devons en tirer ce profit, que, puisque la mort du corps est si terrible qu'elle nous cause de tels mouvements, celle de l'ame devroit nous en causer de plus inconsolables. Dieu a envoyé la première à ceux que nous regrettons; mais nous espérons qu'il a détourné la seconde. Considérons donc la grandeur de nos biens dans la grandeur de nos maux, et que l'excès de notre douleur soit la mesure de celle de notre joie.

Il n'y a rien qui puisse la modérer, sinon la crainte que leurs ames ne languissent pour quelque temps dans les peines qui sont destinées à purger le reste des péchés de cette vie et c'est pour fléchir la colère de Dieu sur eux que nous devons soigneusement nous employer.

La prière et les sacrifices sont un souverain remède à leurs peines. Mais une des plus solides et des plus utiles charités envers les morts est de faire les choses qu'ils nous ordonneroient s'ils étoient encore au monde, et de nous mettre pour eux en l'état auquel ils nous souhaitent à présent.

Par cette pratique, nous les faisons revivre en nous en quelque sorte, puisque ce sont leurs conseils qui sont encore vivants et agissants en nous; et comme les hérésiarques sont punis en l'autre vie des péchés auxquels ils ont engagé leurs sectateurs, dans les

quels leur venin vit encore, ainsi les morts sont récompensés, outre leur propre mérite, pour ceux auxquels ils ont donné suite par leurs conseils et leur exemple.

V.

L'homme est assurément trop infirme pour pouvoir juger sainement de la suite des choses futures. Espérons donc en Dieu, et ne nous fatiguons pas par des prévoyances indiscrètes et téméraires. Remettons-nous à Dieu pour la conduite de nos vies, et que le déplaisir ne soit pas dominant en nous.

Saint Augustin nous apprend qu'il y a dans chaque homme un serpent, une Ève, et un Adam. Le serpent sont les sens et notre nature; l'Ève est l'appétit concupiscible, et l'Adam est la raison.

La nature nous tente continuellement; l'appétit concupiscible desire souvent; mais le péché n'est pas achevé, si la raison ne

consent.

Laissons donc agir ce serpent et cette Ève, si nous ne pouvons l'empêcher: mais prions Dieu que sa grace fortifie tellement notre Adam, qu'il demeure victorieux; que Jésus-CHRIST en soit vainqueur, et qu'il règue éternellement en nous.

ARTICLE XIX.

PRIÈRE POUR DEMANDER A DIEU LE BON USAGE DES MALADIES.

I.

[ocr errors]

Seigneur, dont l'esprit est si bon et si doux en toutes choses, et qui êtes tellement miséricordieux, que non seulement les prospérités, mais les disgraces mêmes qui arrivent à vos élus sont des effets de votre miséricorde, faites-moi la grace de ne pas agir en païen dans l'état où votre justice m'a réduit ; que, comme un vrai chrétien, je vous reconnoisse pour mon père et pour mon Dieu, quelque état que je me trouve, puisque le changement de ma condition n'en apporte pas à la vôtre; que vous êtes toujours le même, quoique je sois sujet au changement, et que vous n'êtes pas moins Dieu quand vous affligez et quand vous punissez, que quand vous consolez et que vous usez d'indulgence.

II.

en

Vous m'aviez donné la santé pour vous servir, et j'en ai fait un usage tout profane. Vous m'envoyez maintenant la maladie pour me corriger; ne permettez pas que j'en use pour vous irriter par mon impatience. J'ai mal usé de ma santé, et vous m'en avez jus

tement puni. Ne souffrez pas que j'use mal de votre punition. Et puisque la corruption de ma nature est telle, qu'elle me rend vos faveurs pernicieuses, faites, ô mon Dieu! que votre grace toute puissante me rende vos châtiments salutaires. Si j'ai eu le cœur plein de l'affection du monde pendant qu'il a eu quelque vigueur, anéantissez cette vigueur pour mon salut; et rendez-moi incapable de jouir du monde, soit par foiblesse de corps, soit par zèle de charité, pour ne jouir que de vous seul.

III.

O Dieu, devant qui je dois rendre un compte exact de toutes mes actions à la fin de ma vie et à la fin monde! ô Dieu, qui ne laissez subsister le monde et toutes les choses du monde que pour exercer vos élus, ou pour punir les pécheurs ! ô Dieu, qui laissez les pécheurs endurcis dans l'usage délicieux et criminel du monde ! ô Dieu, qui faites mourir nos corps, et qui, à l'heure de la mort, détachez notre ame de tout ce qu'elle aimoit au monde ! ô Dieu, qui m'arracherez, à ce dernier moment de ma vie, de toutes les choses auxquelles je me suis attaché, et où j'ai mis mon cœur ! ô Dieu, qui devez consumer, au dernier jour, le ciel et la terre, et toutes les créatures qu'ils contiennent, pour montrer à tous les hommes que rien ne subsiste que vous, et qu'ainsi rien n'est digne d'amour que vous, puisque rien n'est durable que vous! ô Dieu, qui devez détruire toutes ces vaines idoles et tous ces funestes objets de nos passions! je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie, de ce qu'il vous a plu prévenir en ma faveur ce jour épouvantable, en détruisant à mon égard toutes choses, dans l'affoiblissement où vous m'avez réduit. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénirai tous les jours de ma vie de ce qu'il vous a plu me réduire dans l'incapacité de jouir des douceurs de la santé et des plaisirs du monde, et de ce que vous avez anéanti en quelque sorte, pour mon avantage, les idoles trompeuses que vous anéantirez effectivement pour la confusion des méchants au jour de votre colère. Faites, Seigneur, que je me juge moi-même ensuite de cette destruction que vous avez faite à mon égard, afin que vous ne me jugiez pas vous-même ensuite de l'entière destruction que vous ferez de ma vie et du monde. Car, Seigneur, comme à l'instant de ma mort je me trouverai séparé du monde, dénué de toutes choses, seul en votre présence, pour répondre à votre justice de tous les mouvements de mon cœur; faites que je me considère en cette maladie comme

en une espèce de mort, séparé du monde, dénué de tous les objets de mes attachements, seul en votre présence, pour implorer de votre miséricorde la conversion de mon cœur ; et qu'ainsi j'aie une extrême consolation de ce que vous m'envoyez maintenant une espèce de mort pour exercer votre miséricorde, avant que vous m'envoyiez effectivement la mort pour exercer votre jugement. Faites donc, ô mon Dieu, que, comme vous avez prévenu ma mort, je prévienne la rigueur de votre sentence, et que je m'examine moi-même avant votre jugement, pour trouver miséricorde en votre présence.

[ocr errors]

IV.

Faites, ô mon Dieu! que j'adore en silence l'ordre de votre providence adorable sur la conduite de ma vie ; que votre fléau me console; et qu'ayant vécu dans l'amertume de mes péchés pendant la paix, je goûte les douceurs célestes de votre grace durant les maux salutaires dont vous m'affligez ! Mais je reconnois, mon Dieu, que mon cœur est tellement endurci et plein des idées, des soins, des inquiétudes et des attachements du monde, que la maladie non plus que la santé, ni les discours, ni les livres, ni vos Écritures sacrées, ni votre Évangile, ni vos mystères les plus saints, ni les aumônes, ni les jeûnes, ni les mortifications, ni les miracles, ni l'usage des sacrements, ni le sacrifice de votre corps, ni tous mes efforts, ni ceux de tout le monde ensemble, ne peuvent rien du tout pour commencer ma conversion, si vous n'accompagnez toutes ces choses d'une assistance tout extraordinaire de votre grace. C'est pourquoi, mon Dieu, je m'adresse à vous, Dieu tout puissant, pour vous demander un don que toutes les créatures ensemble ne peuvent m'accorder. Je n'aurois pas la hardiesse de vous adresser mes cris si quelque autre pouvoit les exaucer. Mais, mon Dieu, comme la conversion de mon cœur, que je vous demande, est un ouvrage qui passe tous les efforts de la nature, je ne puis m'adresser qu'à l'auteur et au maître tout puissant de la nature et de mon coeur. A qui crierai-je, Seigneur, à qui aurai-je recours, si ce n'est à vous? Tout ce qui n'est pas Dieu ne peut pas remplir mon attente. C'est Dieu même que je demande et que je cherche; et c'est à vous seul, mon Dieu, que je m'adresse pour vous obtenir. Ouvrez mon cœur, Seigneur, entrez dans cette place rebelle que les vices ont occupée. Ils la tiennent sujette. Entrez-y comme dans la maison du fort; mais liez auparavant le fort et puissant ennemi qui la maîtrise, et prenez ensuite les trésors

qui y sont. Seigneur, prenez mes affections que le monde avoit volées, volez vous-même ce trésor, ou plutôt reprenez-le, puisque c'est à vous qu'il appartient, comme un tribut que je vous dois, puisque votre image y est empreinte. Vous l'y aviez formée, Seigneur, au moment de mon baptême, qui est ma seconde naissance; mais elle est tout effacée. L'idée du monde y est tellement gravée, que la vôtre n'est plus connoissable. Vous seul avez pu créer mon ame, vous seul pouvez la créer de nouveau ; vous seul avez pu y former votre image, vous seul pouvez la réformer, et y réimprimer votre portrait effacé, c'est-à-dire JÉSUS-CHRIST, mon Sauveur, qui est votre image, et le caractère de votre substance.

V.

O mon Dieu! qu'un cœur est heureux qui peut aimer un objet si charmant, qui ne le déshonore point, et dont l'attachement lui est si salutaire! Je sens que je ne puis aimer le monde sans vous déplaire, sans me nuire, et sans me déshonorer; et néanmoins le monde est encore l'objet de mes délices. O mon Dieu ! qu'une ame est heureuse dont vous êtes les délices, puisqu'elle peut s'abandonner à vous aimer, non seulement sans scrupule, mais encore avec mérite! Que son bonheur est ferme et durable, puisque son attente ne sera point frustrée, parceque vous ne serez jamais détruit, et que ni la vie ni la mort ne la sépareront jamais de l'objet de ses desirs; et que le même moment qui entraînera les méchants avec leurs idoles dans une ruine commune unira les justes avec vous dans une gloire commune; et que, comme les uns périront avec les objets périssables auxquels ils se sont attachés, les autres subsisteront éternellement dans l'objet éternel et subsistant par soi-même auquel ils se sont étroitement unis! Oh! qu'heureux sont ceux qui, avec une liberté entière et une pente invincible de leur volonté, aiment parfaitement et librement ce qu'ils sont obligés d'aimer nécessairement !

VI.

Achevez, ô mon Dieu! les bons mouvements que vous me donnez. Soyez-en la fin, comme vous en êtes le principe. Couronnez vos propres dons; car je reconnois que ce sont vos dons. Oui, mon Dieu; et, bien loin de prétendre que mes prières aient du mérite qui vous oblige de les accorder de nécessité, je reconnois très humblement qu'ayant donné aux créatures mon cœur, que vous n'aviez formé que pour vous, et non pas pour le monde, ni pour moi-même, je ne puis attendre aucune grace que de votre

« PreviousContinue »