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PRÉFACE,

OU L'ON FAIT VOIR DE QUELLE MANIÈRE CES PENSÉES ONT ÉTÉ ÉCRITES ET RECUEILLIES; CE QUI EN A FAIT RETARDER L'IMPRESSION; QUEL ÉTOIT LE DESSEIN DE L'AUTEUR DANS CET OUVRAGE, ET COMMENT IL A PASSÉ LES DERNIÈRES ANNÉES DE

SA VIE.

Pascal, ayant quitté fort jeune l'étude des mathématiques, de la physique et des autres sciences profanes, dans lesquelles il avoit fait un si grand progrès, commença, vers la trentième année de son âge, à s'appliquer à des choses plus sérieuses et plus relevées, et à s'adonner uniquement, autant que sa santé le put permettre, à l'étude de l'Écriture, des Pères, et de la morale chrétienne.

Mais, quoiqu'il n'ait pas moins excellé dans ces sortes de sciences, comme il l'a bien fait paroître par des ouvrages qui passent pour assez achevés en leur genre, on peut dire néanmoins que, si Dieu eût permis qu'il eût travaillé quelque temps à celui qu'il avoit dessein de faire sur la religion, et auquel il vouloit employer tout le reste de sa vie, cet ouvrage eût beaucoup surpassé tous les autres qu'on a vus de lui, parcequ'en effet les vues qu'il avoit sur ce sujet étoient infiniment au-dessus de celles qu'il avoit sur toutes les autres choses.

Je crois qu'il n'y aura personne qui n'en soit facilement persuadé en voyant seulement le peu que l'on en donne à présent, quelque imparfait qu'il paroisse, et principalement sachant la manière dont il y a travaillé, et toute l'histoire du recueil qu'on en a fait. Voici comment tout cela s'est passé.

Pascal conçut le dessein de cet ouvrage plusieurs années avant sa mort; mais il ne faut pas néanmoins s'étonner s'il fut si long-temps sans en rien mettre par écrit: car il avoit toujours accoutumé de songer beaucoup aux choses et de les disposer dans son esprit avant que de les produire au-dehors, pour bien considérer et examiner avec soin celles qu'il falloit mettre les premières ou les dernières, et l'ordre qu'il leur devoit donner à toutes, afin qu'elles pussent faire l'effet qu'il desiroit. Et comme il avoit une mémoire excellente, et qu'on peut dire même prodigieuse, en sorte qu'il a souvent assuré qu'il n'avoit jamais rien oublié de ce qu'il avoit une fois bien imprimé dans son esprit; lorsqu'il s'étoit ainsi quelque temps appliqué à un sujet, il ne craignoit pas que les pensées qui lui étoient venues lui pussent jamais échapper; et c'est pourquoi il différoit assez souvent de les écrire, soit qu'il n'en eût pas le loisir, soit que sa santé, qui a presque

toujours été languissante, ne fût pas assez forte pour lui permettre de travailler avec application.

C'est ce qui a été cause que l'on a perdu à sa mort la plus grande partie de ce qu'il avoit déja conçu touchant son dessein; car il n'a presque rien écrit des principales raisons dont il vouloit se servir, des fondements sur lesquels il prétendoit appuyer son ouvrage, et de l'ordre qu'il vouloit y garder ce qui étoit assurément très considérable. Tout cela étoit parfaitement bien gravé dans son esprit et dans sa mémoire; mais, ayant négligé de l'écrire lorsqu'il l'auroit peut-être pu faire, il se trouva, lorsqu'il l'auroit bien voulu, hors d'état d'y pouvoir du tout travailler.

Il se rencontra néanmoins une occasion, il y a environ dix ou douze ans, en laquelle on l'obligea, non pas d'écrire ce qu'il avoit dans l'esprit sur ce sujet-là, mais d'en dire quelque chose de vive voix. II le fit donc en présence et à la prière de plusieurs personnes très considérables de ses amis. Il leur développa en peu de mots le plan de tout son ouvrage : il leur représenta ce qui en devoit faire le sujet et la matière : il leur en rapporta en abrégé les raisons et les principes, et il leur expliqua l'ordre et la suite des choses qu'il y vouloit traiter. Et ces personnes, qui sont aussi capables qu'on le puisse être de juger de ces sortes de choses, avouent qu'elles n'ont jamais rien entendu de plus beau, de plus fort, de plus touchant, ni de plus convaincant; qu'elles en furent charmées, et que ce qu'elles virent de ce projet et de ce dessein dans un discours de deux ou trois heures fait ainsi surle-champ, et sans avoir été prémédité ni travaillé, leur fit juger ce que ce pourroit être un jour s'il étoit jamais exécuté et conduit à sa perfection par une personne dont elles connoissoient la force et la capacité, qui avoit accoutumé de travailler tellement tous ses ouvrages, qu'il ne se contentoit presque jamais de ses premières pensées, quelque bonnes qu'elles parussent aux autres, et qui a refait souvent, jusqu'à huit ou dix fois, des pièces que tout autre que lui trouvoit admirables dès la première.

Après qu'il leur eut fait voir quelles sont les preuves qui font le plus d'impression sur l'esprit des hommes, et qui sont les plus propres à les persuader, il entreprit de montrer que la religion chrétienne avoit autant de marques de certitude et d'évidence que les choses qui sont reçues dans le monde pour les plus indubitables.

Il commença d'abord par une peinture de l'homme, où il n'oublia rien de tout ce qui le pouvoit faire connoître et au-dedans et au-dehors de lui-même, et jusqu'aux plus secrets mouvements de son cœur.ll supposa ensuite un homme qui, ayant toujours vécu dans une ignorance générale, et dans l'indifférence à l'égard de toutes choses, et sur tout à l'égard de soi-même, vient enfin à se considérer dans ce tableau, et à examiner ce qu'il est. Il est surpris d'y découvrir une infi

nité de choses auxquelles il n'a jamais pensé; et il ne sauroit remarquer sans étonnement et sans admiration tout ce que Pascal lui fait sentir de sa grandeur et de sa bassesse, de ses avantages et de ses foiblesses, du peu de lumières qui lui reste et des ténèbres qui l'environnent presque de toutes parts, et enfin de toutes les contrariétés étonnantes qui se trouvent dans sa nature. Il ne peut plus après cela demeurer dans l'indifférence s'il a tant soit peu de raison; et quelque insensible qu'il ait été jusques alors, il doit souhaiter, après avoir ainsi connu ce qu'il est, de connoître aussi d'où il vient et ce qu'il doit devenir.

Pascal, l'ayant mis dans cette disposition de chercher à s'instruire sur un doute si important, l'adresse premièrement aux philosophes ; et c'est là qu'après lui avoir développé tout ce que les plus grands philosophes de toutes les sectes ont dit sur le sujet de l'homme, il lui fait observer tant de défauts, tant de foiblesses, tant de contradictions et tant de faussetés dans tout ce qu'ils ont avancé, qu'il n'est pas difficile à cet homme de juger que ce n'est pas là où il doit s'en tenir.

Il lui fait ensuite parcourir tout l'univers et tous les âges, pour lui faire remarquer une infinité de religions qui s'y rencontrent; mais il lui fait voir en même temps, par des raisons si fortes et si convaincantes, que toutes ces religions ne sont remplies que de vanité, de folies, d'erreurs, d'égarements et d'extravagances, qu'il n'y trouve rien encore qui le puisse satisfaire.

Enfin il lui fait jeter les yeux sur le peuple juif, et il lui en fait observer des circonstances si extraordinaires, qu'il attire facilement son &ttention. Après lui avoir représenté tout ce que ce peuple a de singufier, il s'arrête particulièrement à lui faire remarquer un livre unique par lequel il se gouverne, et qui comprend tout ensemble son histoire, sa loi et sa religion. A peine a-t-il ouvert ce livre, qu'il lui apprend que le monde est l'ouvrage d'un Dieu, et que c'est ce même Dieu qui a créé l'homme à son image, et qui l'a doué de tous les avantages du corps et de l'esprit qui convenoient à cet état. Quoiqu'il n'ait rien encore qui le convainque de cette vérité, elle ne laisse pas de lui plaire; et la raison seule suffit pour lui faire trouver plus de vraisemblance dans cette supposition, qu'un Dieu est l'auteur des hommes et de tout ce qu'il y a dans l'univers, que dans tout ce que ces mêmes hommes se sont imaginé par leurs propres lumières. Ce qui l'arrête en cet endroit est de voir, par la peinture qu'on lui a faite de l'homme, qu'il est bien éloigné de posséder tous ces avantages qu'il a dû avoir lorsqu'il est sorti des mains de son auteur; mais il ne demeure pas longtemps dans ce doute : car, dès qu'il poursuit la lecture de ce même livre, il y trouve qu'après que l'homme eut été créé de Dieu dans l'état d'innocence, et avec toute sorte de perfections, sa première action fut

de se révolter contre son créateur, et d'employer à l'offenser tous les avantages qu'il en avoit reçus.

Pascal lui fait alors comprendre que ce crime ayant été le plus grand de tous les crimes en toutes ses circonstances, il avoit été puni non seulement dans ce premier homme, qui, étant déchu par-là de son état, tomba tout d'un coup dans la misère, dans la foiblesse, dans l'erreur et dans l'aveuglement; mais encore dans tous ses descendants, à qui ce même homme a communiqué et communiquera encore sa corruption dans toute la suite des temps.

Il lui montre ensuite divers endroits de ce livre où il a découvert cette vérité. Il lui fait prendre garde qu'il n'y est plus parlé de l'homme que par rapport à cet état de foiblesse et de désordre, qu'il y est dit souvent que toute chair est corrompue, que les hommes sont abandonnés à leurs sens, et qu'ils ont une pente au mal dès leur naissance. Il lui fait voir encore que cette première chute est la source, non seulement de tout ce qu'il y a de plus incompréhensible dans la nature de l'homme, mais aussi d'une infinité d'effets qui sont hors de lui, et dont la cause lui est inconnue. Enfin il lui représente l'homme si bien dépeint dans tout ce livre, qu'il ne lui paroît plus différent de la première image qu'il lui en a tracée.

Ce n'est pas assez d'avoir fait connoître à cet homme son état plein de misère; Pascal lui apprend encore qu'il trouvera dans ce même livre de quoi se consoler. Et en effet il lui fait remarquer qu'il y est dit que le remède est entre les mains de Dieu, que c'est à lui que nous devons recourir pour avoir les forces qui nous manquent, qu'il se laissera fléchir, et qu'il enverra même aux hommes un libérateur, qui satisfera pour eux, et qui suppléera à leur impuissance.

Après qu'il lui a expliqué un grand nombre de remarques très particulières sur le livre de ce peuple, il lui fait encore considérer que c'est le seul qui ait parlé dignement de l'Être souverain, et qui ait donné l'idée d'une véritable religion. Il lui en fait concevoir les marques les plus sensibles qu'il applique à celles que ce livre a enseignées; et il lui fait faire une attention particulière sur ce qu'elle fait consister l'essence de son culte dans l'amour du Dieu qu'elle adore : ce qui est un caractère tout singulier, et qui la distingue visiblement de toutes les autres religions, dont la fausseté paroît par le défaut de cette marque si essentielle.

Quoique Pascal, après avoir conduit si avant cet homme qu'il s'étoit proposé de persuader insensiblement, ne lui ait encore rien dit qui le pui se convaincre des vérités qu'il lui a fait découvrir, il l'a mis néanmoins dans la disposition de les recevoir avec plaisir, pourvu qu'on puisse lui faire voir qu'il doit s'y rendre, et de souhaiter même de tout son cœur qu'elles soient solides et bien fondées, puisqu'il y trouve de si grands avantages pour son repos et pour l'éclaircisse

ment de ses doutes. C'est aussi l'état où devroit être tout homme raisonnable, s'il étoit une fois bien entré dans la suite de toutes les choses que Pascal vient de représenter : il y a sujet de croire qu'après cela il se rendroit facilement à toutes les preuves que l'auteur apportera ensuite pour confirmer la certitude et l'évidence de toutes ces vérités importantes dont il avoit parlé, et qui font le fondement de la religion chrétienne, qu'il avoit dessein de persuader.

Pour dire en peu de mots quelque chose de ces preuves, après qu'il eut montré en général que les vérités dont il s'agissoit étoient contenues dans un livre de la certitude duquel tout homme de bon sens ne pouvoit douter, il s'arrêta principalement au livre de Moïse, où ces vérités sont particulièrement répandues; et il fit voir, par un très grand nombre de circonstances indubitables, qu'il étoit également impossible que Moïse eût laissé par écrit des choses fausses, ou que le peuple à qui il les avoit laissées s'y fût laissé tromper, quand même Moïse auroit été capable d'être fourbe.

Il parla aussi des grands miracles qui sont rapportés dans ce livre ; et comme ils sont d'une grande conséquence pour la religion qui y est enseignée, il prouva qu'il n'étoit pas possible qu'ils ne fussent vrais, non seulement par l'autorité du livre où ils sont contenus, mais encore par toutes les circonstances qui les accompagnent et qui les rendent indubitables.

Il fit voir encore de quelle manière toute la loi de Moïse étoit figurative; que tout ce qui étoit arrivé aux Juifs n'avoit été que la figure des vérités accomplies à la venue du Messie, et que, le voile qui couvroit ces figures ayant été levé, il étoit aisé d'en voir l'accomplissement et la consommation parfaite en faveur de ceux qui ont reçu JésusChrist.

Il entreprit ensuite de prouver la vérité de la religion par les prophéties; et ce fut sur ce sujet qu'il s'étendit beaucoup plus que sur les autres. Comme il avoit beaucoup travaillé là-dessus, et qu'il y avoit des vues qui lui étoient toutes particulières, il les expliqua d'une manière fort intelligible : il en fit voir le sens et la suite avec une facilité merveilleuse, et il les mit dans tout leur jour et dans toute leur force.

Enfin, après avoir parcouru les livres de l'Ancien Testament, et fait encore plusieurs observations convaincantes pour servir de fondements et de preuves à la vérité de la religion, il entreprit encore de parler du Nouveau Testament, et de tirer ses preuves de la vérité même de l'Evangile.

Il commença par Jésus-Christ; et quoiqu'il l'eût déja prouvé invinciblement par les prophéties et par toutes les figures de la loi, dont on voyoit en lui l'accomplissement parfait, il apporta encore beaucoup de preuves tirées de sa personne même, de ses miracles, de sa doctrine et des circonstances de sa vie.

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