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XXXVII.

Il y a beaucoup de gens qui entendent le sermon de la même manière qu'ils entendent vêpres.

XXXVIII.

Les rivières sont des chemins qui marchent, et qui portent où l'on veut aller.

XXXIX.

Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance.

XL.

Les astrologues, les alchimistes, etc., ont quelques principes ; mais ils en abusent. Or, l'abus des vérités doit être autant puni que l'introduction du mensonge.

XLI.

Je ne puis pardonner à Descartes il auroit bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement; après cela il n'a plus que faire de Dieu.

ARTICLE XI.

SUR ÉPICTÈTE ET MONTAIGNE'.

I.

Épictète est un des philosophes du monde qui ait le mieux connu les devoirs de l'homme. Il veut, avant toutes choses, qu'il regarde Dieu comme son principal objet ; qu'il soit persuadé qu'il gouverne tout avec justice, qu'il se soumette à lui de bon cœur, et qu'il le suive volontairement en tout, comme ne faisant rien qu'avec une très grande sagesse : qu'ainsi cette disposition arrêtera toutes les plaintes et tous les murmures, et préparera son esprit à souffrir paisiblement les événements les plus fâcheux. « Ne dites jamais, dit-il : J'ai perdu cela; dites plutôt : Je l'ai « rendu mon fils est mort, je l'ai rendu ma femme est morte, je l'ai rendue. Ainsi des biens, et de tout le reste. Mais celui qui me l'ôte est un méchant homme, direz-vous pourquoi • vous mettez-vous en peine par qui celui qui vous l'a prêté vient Tout cet article sur Épictète et Montaigne est extrait d'un dialogue de Pascal avec Sacy, extrait dans lequel on a conservé seulement les pensées de Pascal. Ceux qui voudront lire le dialogue même pourront consulter le père Desmolets, tome V de la continuation des Mémoires d'histoire et de littérature, ou les Mémoires de Fontaine, tome II.

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le redemander? Pendant qu'il vous en permet l'usage, ayez-en ⚫ soin comme d'un bien qui appartient à autrui, comme un voya⚫ geur fait dans une hôtellerie. Vous ne devez pas, dit-il encore, ⚫ desirer que les choses se fassent comme vous le voulez; mais • vous devez vouloir qu'elles se fassent comme elles se font. • Souvenez-vous, ajoute-t-il, que vous êtes ici comme un acteur,

et que vous jouez votre personnage dans une comédie, tel · qu'il plaît au maître de vous le donner. S'il vous le donne ⚫ court, jouez-le court; s'il vous le donne long, jouez-le long : • soyez sur le théâtre autant de temps qu'il lui plaît ; paroissez-y

riche ou pauvre, selon qu'il l'a ordonné. C'est votre fait de bien ⚫ jouer le personnage qui vous est donné; mais de le choisir, c'est « le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent les plus insupportables; et jamais vous • ne penserez rien de bas, et ne desirerez rien avec excès. »

ll montre en mille manières ce que l'homme doit faire. Il veut qu'il soit humble; qu'il cache ses bonnes résolutions, surtout dans les commencements, et qu'il les accomplisse en secret; rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse point de répéter que toute l'étude et le desir de l'homme doivent être de connoître la volonté de Dieu et de la suivre.

Telles étoient les lumières de ce grand esprit qui a si bien connu les devoirs de l'homme heureux s'il avoit aussi connu sa foiblesse! Mais après avoir si bien compris ce qu'on doit faire, il se perd dans la présomption de ce que l'on peut. « Dieu, dit-il, a * donné à tout homme les moyens de s'acquitter de toutes ses ⚫ obligations; ces moyens sont toujours en sa puissance; il ne ⚫faut chercher la félicité que par les choses qui sont toujours en

notre pouvoir, puisque Dieu nous les a données à cette fin: il • faut voir ce qu'il y a en nous de libre. Les biens, la vie, l'es⚫ time, ne sont pas en notre puissance, et ne mènent pas à Dieu; • mais l'esprit ne peut être forcé de croire ce qu'il sait être faux, ⚫ni la volonté d'aimer ce qu'elle sait qui la rend malheureuse : ‹ ces deux puissances sont donc pleinement libres, et par elles ⚫ seules nous pouvons nous rendre parfaits, connoître Dieu parfaitement, l'aimer, lui obéir, lui plaire, surmonter tous les vices, acquérir toutes les vertus, et ainsi nous rendre saints et compagnons de Dieu. Ces orgueilleux principes conduisent Épictète à d'autres erreurs, comme, que l'ame est une portion de la substance divine; que la douleur et la mort ne sont pas des

maux; qu'on peut se tuer quand on est si persécuté qu'on peut croire que Dieu nous appelle, etc.

II.

Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier; mais comme il a voulu chercher une morale fondée sur la raison, sans les lumières de la foi, il prend ses principes dans cette supposition, et considère l'homme destitué de toute révélation. Il met donc toutes choses dans un doute si universel et si général, que l'homme doutant même s'il doute, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos : s'opposant également à ceux qui disent que tout est incertain, et à ceux qui disent que tout ne l'est pas, parcequ'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi, et dans cette ignorance qui s'ignore, que consiste l'essence de son opinion. Il ne peut l'ex primer par aucun terme positif: car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute; ce qui étant formellement contre son intention, il est réduit à s'expliquer par interrogation; de sorte que ne voulant pas dire: Je ne sais, il dit: Que sais-je? De quoi il a fait sa devise, en la mettant sous les bassins d'une balance, lesquels, pesant les contradictoires, se trouvent dans un parfait équilibre. En un mot, il est pur pyrrhonien. Tous ses discours, tous ses essais, roulent sur ce principe; et c'est la seule chose qu'il prétend bien établir. Il détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait où asseoir sa croyance.

Dans cet esprit, il se moque de toutes les assurances; il combat, par exemple, ceux qui ont pensé établir un grand remède contre les procès par la multitude et la prétendue justesse des lois : comme si on pouvoit couper la racine des doutes d'où naissent les procès! comme s'il y avoit des digues qui pussent arrêter le torrent de l'incertitude, et captiver les conjectures! Il dit, à cette occasion, qu'il vaudroit autant soumettre sa cause au premier passant qu'à des juges armés de ce nombre d'ordonnances. Il n'a pas l'ambition de changer l'ordre de l'état; il ne prétend pas que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun bon. Il veut seulement prouver la vanité des opinions les plus reçues : montrant que l'exclusion de toutes lois diminueroit plutôt le nombre des

différends que cette multitude de lois qui ne sert qu'à l'augmenter, parceque les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse, les obscurités se multiplient par les commentaires, et que le plus sur moyen d'entendre le sens d'un discours est de ne pas l'examiner, de le prendre sur la première apparence: car, si peu qu'on l'observe, toute sa clarté se dissipe. Sur ce modèle il juge à l'aventure de toutes les actions des hommes et des points d'histoire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre; suivant librement sa première vue, et sans contraindre sa pensée sous les règles de la raison, qui n'a, selon lui, que de fausses mesures. Ravi de montrer, par son exemple, les contrariétés d'un même esprit dans ce génie tout libre, il lui est également bon de s'emporter ou non dans les disputes, ayant toujours, par l'un ou l'autre exemple, un moyen de faire voir la foiblesse des opinions : étant porté avec tant d'avantage dans ce doute universel, qu'il s'y fortifie également par son triomphe et par sa défaite.

C'est dans cette assiette, toute flottante et toute chancelante qu'elle est, qu'il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps sur ce qu'ils assuroient connoître seuls le véritable sens de l'Écriture; et c'est de là encore qu'il foudroie l'impiété horrible de ceux qui osent dire que Dieu n'est point. II les entreprend particulièrement dans l'apologie de Raimond de Sébonde; et, les trouvant dépouillés volontairement de toute révélation, et abandonnés à leur lumière naturelle, toute foi mise à part, il les interroge de quelle autorité ils entreprennent de juger de cet Étre souverain, qui est infini par sa propre définition, eux qui ne connoissent véritablement aucune des moindres choses de la nature! Il leur demande sur quels principes ils s'appuient, et il les presse de les lui montrer. Il examine tous ceux qu'ils peuvent produire; et il pénètre si avant, par le talent où il excelle, qu'il montre la vanité de tous ceux qui passent pour les plus éclairés et les plus fermes. Il demande si l'ame connoît quelque chose; si elle se connoit elle-même, si elle est substance ou accident, corps ou esprit, ce que c'est que chacune de ces choses, et si elle n'y a rien qui ne soit de l'un de ces ordres; si elle connoît son propre corps; si elle sait ce que c'est que matière ; comment elle peut raisonner, si elle est matière; et comment elle peut être unie à un corps particulier, et en ressentir les passions, si elle est spirituelle. Quand a-t-elle commencé d'être? avec ou devant le corps? finit-elle avec lui, ou non? ne se trompe-t-elle

jamais? sait-elle quand elle erre? vu que l'essence de la méprise consiste à la méconnoître. Il demande encore si les animaux raisonnent, pensent, parlent: qui peut décider ce que c'est que le temps, l'espace, l'étendue, le mouvement, l'unité, toutes choses qui nous environnent, et entièrement inexplicables; ce que c'est que santé, maladie, mort, vie, bien, mal, justice, péché, dont nous parlons à toute heure; si nous avons en nous des principes du vrai; et si ceux que nous croyons, et qu'on appelle axiomes, ou notions communes à tous les hommes, sont conformes à la vérité essentielle. Puisque nous ne savons que par la seule foi qu'un Être tout bon nous les a données véritables, en nous créant pour connoître la vérité, qui saura, sans cette lumière de la foi, si, étant formées à l'aventure, nos notions ne sont pas incertaines, ou si, étant formées par un être faux et méchant, il ne nous les a pas données fausses pour nous séduire? montrant par là que Dieu et le vrai sont inséparables, et que si l'un est ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, l'autre est nécessairement de même. Qui sait si le sens commun, que nous prenons ordinairement pour juge du vrai, a été destiné à cette fonction par celui qui l'a créé? qui sait ce que c'est que vérité? et comment peut-on s'assurer de l'avoir sans la connoître? qui sait même ce que c'est qu'un être, puisqu'il est impossible de le définir, qu'il n'y a rien de plus général, et qu'il faudroit, pour l'expliquer, se servir de l'être même, en disant : C'est telle ou telle chose? Puis donc que nous ne savons ce que c'est qu'ame, corps, temps, espace, mouvement, vérité, bien, ni même l'être, ni expliquer l'idée que nous nous en formons, comment nous assurerons-nous qu'elle est la même dans tous les hommes? Nous n'en avons d'autres marques que l'uniformité des conséquences, qui n'est pas toujours un signe de celle des principes; car ceux-ci peuvent bien être différents, et conduire néanmoins aux mêmes conclusions, chacun sachant que le vrai se conclut souvent du faux.

Enfin Montaigne examine profondément les sciences: la géométrie, dont il tâche de montrer l'incertitude dans ses axiomes et dans les termes qu'elle ne définit point, comme d'étendue, de mouvement, etc.; la physique et la médecine, qu'il déprime en une infinité de façons; l'histoire, la politique, la morale, la jurisprudence, etc. De sorte que, sans la révélation, nous pourrions croire, selon lui, que la vie est un songe dont nous ne nous éveillons qu'à la mort, et pendant lequel nous avons aussi

peu les

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