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INTRODUCTION

Le mysticisme et la théosophie du siècle. Malebranche et Fénelon.

- Madame Guyon.

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Leibnitz et Bossuet.

1630- -1650

Le mysticisme et la théosophie, ces deux ensembles d'aspirations morales et d'idées spéculatives qui forment rarement des systèmes, sont à la philosophie et à la théologie ce que la métaphysique est à la physique, c'est-à-dire qu'elles vont un peu au delà de ce qui se sait positivement. Elles le font même dans des proportions plus hardies : la métaphysique ne cherche que les raisons dernières, tandis que ces deux aspirations poétiques s'élèvent avec audace jusqu'à la raison de ces raisons, jusqu'à Dieu, non pas tel qu'il se donne à connaître et aimer à tout le monde, mais tel qu'il se donne à aimer aux mystiques et à connaître aux théosophes. Car aux uns il verse dans l'âme des trésors de tendresse, aux autres il répand directement dans l'intelligence des flots de lumière; aux uns et aux autres il se donne autrement qu'à tous autres, les identifiant avec lui

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ou s'identifiant avec eux par avancement d'hoirie.. Les deux doctrines, car je ne veux pas plus les appeler deux sciences que deux poésies, diffèrent et se ressemblent. Leur objet est le même: Dieu su, vu et atteint. Mais le mysticisme va du sentiment, où il débute, à la haute spéculation, où il ne s'arrête plus ; la théosophie va de l'idée spéculative, où elle débute, au sentiment, où elle aime à ne trouver plus ni fin ni limite. Il en résulte que ces deux doctrines, ou plutôt ces deux exubérances de doctrines, s'il faut en varier les appellations autant qu'elles varient leurs nuances, se rencontrent presque toujours. Elles se confondent même quelquefois. Tous les théosophes sont un peu mystiques, tous les mystiques sont un peu théosophes. De là vient que le vulgaire ne les distingue pas, et qu'aux yeux de ceux qui les distinguent, les uns comme les autres sont les victimes des plus grosses aberrations de la raison. Leurs idées ne sont pas taxées d'hérésie, car l'hérésie est d'ordinaire un excès de raisonnement; mais elles sont qualifiées de superstitions, c'est-à-dire de croyances dont la raison n'avoue pas les principes et déteste les conséquences. Quand ces croyances sont douces, offrent de charmantes illusions sur les grâces à recevoir ici-bas, ouvrent d'ambitieuses perspectives sur l'avenir là-haut, introduisent l'âme dès ce moment dans un monde de bonheur céleste auquel elle n'a communément droit que dans les jours des grandes solutions-quand les croyances mystiques ont tous ces mérites, on les qualifie de belles chimères. Quand, au contraire, elles impliquent une vie de méditation et de prière, exigent une conduite pure

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et austère, soit la retraite du monde, soit des sacrifices dans le monde, on les qualifie de rêves orgueilleux et funestes, d'égarements aussi ridicules que dangereux.

Et il est vrai de dire qu'il y a des nuances de mysticisme où il y a de tout cela : des erreurs, des idées d'hallucination absurde qui amènent des faits de folie criminelle. L'histoire du mysticisme et celle de la théosophie elle-même en abondent. Or, il n'y a pas à marchander avec l'histoire. Mais il y a des systèmes de mysticisme et des nuances de théosophie où il n'y a rien de tout cela, qui ne souffrent rien de tout cela. Le mystère est l'essence de toute religion; il domine tous nos rapports avec l'Etre invisible dont nous faisons notre père, notre maître, notre juge, l'ordonnateur de notre avenir comme celui de notre présent. Le mystère règne dans nos rapports avec la nature entière. Il est un mysticisme qui n'est que le respect des faits les plus incontestables. Rien de plus légitime que ce mysticisme. Sans doute ses principes aussi peuvent s'égarer, ou du moins on en peut tirer des déductions pleines de péril pour le bon gouvernement de nos facultés; mais s'il fallait rejeter toute spéculation qui peut mener à des conséquences excessives, il ne faudrait pas faire moins que de rejeter la philosophie tout entière. Or, autant vaudrait proposer à l'espèce humaine de s'arracher les yeux pour ne plus s'exposer à voir des crimes et des monstres, que de se priver des lumières qu'offre la raison pour ne pas s'exposer aux erreurs où elle peut choir. Si la philosophie n'est que l'âme vivante, pensante et parlante, le mysticisme et la théosophie ne sont que cette même âme engagée dans ses méditations les plus hautes, dans

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les plus fortes de ses convictions, de ses aspirations, de ses espérances, dans ses affections les plus saintes. Ces affections et ces méditations, qu'on appelle divines, parce qu'elles nous élèvent et nous attachent à la divinité, ne nous identifient pas avec elle; mais elles nous en approchent, et dans cet approchement est le plus beau degré du développement humain : témoin Pythagore et Platon, ou Plotin et Proclus, comme saint Jean, Denis l'Areopagite, Hugues de Saint-Victor et Gerson.

D'ailleurs, si attrayantes sont ces méditations, si enivrantes ces affections, si sublimes les unes et les autres, qu'elles semblent bien naturelles et par conséquent très-légitimes; légitimes et naturelles au point qu'on doit se demander, ce semble, si la nature de l'âme est bien comprise et suivie jusqu'aux confins derniers de sa destinée là où elle n'aboutit pas à l'union intime avec Dieu, c'est-à-dire à ce mysticisme pur et à cette théosophie vraie, qui ne sont que la possession de l'amour le plus idéal et le plus haut degré d'illumination qu'un être raisonnable et moral puisse concevoir et ambitionner.

La philosophie est de tous les temps; le mysticisme et la théosophie ont leurs époques, cela est vrai; mais ce sont les belles époques des peuples qui en jouissent, les époques des grandeurs morales et celles des hautes idéalités.

A ce titre, l'époque des Arnauld et des Bossuet, des Corneille et des Racine, des Turenne et des Condé, l'époque qui nous occupe, ne pouvait manquer ni de mystiques ni de théosophes. Toutefois, cette théosophie spéculative ou ultra-spéculative qui est à la méta

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physique ce que l'alchimie est à la chimie, n'avait pas alors de partisans en France. La théosophie philosophique elle-même n'y comptait qu'un seul prophète, Malebranche, continuateur plein d'illusions de l'école cartésienne qui l'avait formé, se persuadant que c'était la raison elle-même qui lui dictait ses théories sur les rapports de Dieu avec l'âme, mettant beaucoup de critique dans sa poésie religieuse, se croyant fin cartésien en changeant l'intuition mystique en vision en Dieu et exagérant l'action de Dieu dans l'homme au point d'anéantir la liberté humaine. Rien de plus théosophique que sa grande théorie sur les rapports de l'âme avec l'intelligence divine, « qui nous communique nos idées générales par une action intérieure et immédiate, » si ce n'est cette explication, « que toutes nos idées se trouvent dans la substance efficace de Dieu, qui, en nous affectant, nous en donne la perception, » et ce corollaire, «< que notre volonté n'est que le mouvement que cette substance efficace nous imprime par les idées vers le bien. » Cela n'autorise-t-il pas, cela n'impliquet-il pas cette conséquence, que si nous ne voulons pas toujours le bien, ce n'est pas notre faute, mais celle de la substance efficace, qui n'est pas, dans ce cas, efficace du tout et ne nous imprime rien ou bien si peu de chose qu'elle ne produit rien? En effet, du moment où nous voyons tout en Dieu et où Dieu fait tout en nous (ce qui est de principe chez Malebranche), ce n'est pas nous qui sommes en faute si nous voyons peu ou mal, et si nous ne faisons rien ou que le mal: c'est bien l'intelligence suprême, c'est la substance efficace qui renferme l'énigme.

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