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402 MESDAMES DE CHAROST ET DE LAMBERT.

lustre prélat; la première eut d'abord soin du ménage de Fénelon, puis de ses intérêts de cour, enfin de sa sainte renommée, chère aussi à la seconde.

La plus avancée peut-être de toutes ces amies et celle de toutes qui exerça sur la destinée de Fénelon la plus profonde influence, ce fut la duchesse de Charost, fille de Fouquet; son père était un homme de grande piété et fort dévoué à madame Guyon (Corr. XI, 131). Elle voyait souvent cette dame, et ce fut chez elle que Fénelon la vit la première fois. Ce fut elle aussi qui la présenta dans la société de l'hôtel Beauvilliers, car les filles de Colbert se distinguaient par les mêmes sentiments de piété que la fille de Fouquet. Ainsi que son mari, Armand de Béthune, duc de Charost, elle survécut peu à Fénelon, à qui elle demeura tendrement attachée.

Madame la marquise de Lambert, qui n'est connue aux gens de lettres que par le charme de son style et la délicatesse de son goût, était aussi (IV, 225) de ses correspondantes les plus heureuses. Elle aimait à lui dire que les idées les meilleures qui se trouvaient dans ses écrits à elle, dans son Avis d'une mère à son fils et son Avis d'une mère à sa fille, lui étaient venus à la lecture du Télémaque et du Traité de l'éducation des filles. On sait l'influence que cette charmante femme exerça sur la société la plus polie de son temps. Or, elle était essentiellement une femme vouée aux voies intérieures, ou aux voies de la perfection, comme disent les mystiques.

CHAPITRE XXIX

Le second groupe.

Madame Guyon dans ses dernières années.

Madame de La Maisonfort à Meaux. Le siècle.

Le groupe de beaucoup le plus nombreux de tous, c'est celui des disciples éloignés, des lecteurs et des admirateurs qui, sans être en correspondance ou en relation avec Fénelon, suivaient les voies qu'il indiquait, soit dans son livre des Maximes, soit dans ses Lettres spirituelles; de ces adhérents il avait conquis un nombre considérable pendant sa brillante polémique avec les trois prélats ses adversaires.

Ce serait une grande erreur de ne mettre au nombre des amis de Fénelon, que les personnes avec lesquelles il échangea des lettres; il faut, au contraire, placer dans la catégorie des plus intimes deux femmes, à l'une desquelles il n'écrivit plus après l'an 1693, madame Guyon, et dont l'autre n'eut de lui qu'une seule lettre, dans le cours de vingt ans, madame de La Maisonfort. Ces deux éminents personnages doivent même figurer à la tête de ceux des disciples de Fénelon que la violence des hommes ou la force des choses sépara du maître, et dont les relations avec lui furent en

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tièrement rompues, mais qui néanmoins, persécutées ou surveillées par ses adversaires, restèrent ses partisans dévoués.

Madame Guyon fut-elle des amis intimes de Fénelon Fénelon avait souvent parlé de madame Guyon avec une sorte de sévérité qui était dans sa doctrine et dan sa position. Jamais elle ne s'en affligea, aussi persuadée de la fermeté de son amitié pour elle que de la supériorité de son génie.

Rien ne put modifier chez elle cette double conviction. Nous avons suivi madame Guyon dans les chapitres précédents jusqu'en 1693. Quand ce malheureux P. Lacombe, tombé dans l'aliénation, écrivit sa lettre impie, on se hâta de la porter au roi, avec l'insinuation que ces désordres étaient le fruit, la conséquence inévitable des Maximes, dont le fanatique archevêque de Cambrai s'était fait l'éditeur, comme il s'était fait le protecteur de celle qui les prêchait, et Louis XIV, aveuglé par ces intrigues comme par ses préventions, fit enfermer madame Guyon une seconde fois à la Bastille (1698). Il renvoya même de son régiment le fils de cette pauvre extatique, soldat distingué et étranger au mysticisme de sa mère. Madame Guyon souffrit plus pour son fils et pour son ami que pour elle-même dans sa prison d'État. Elle s'y plut, elle y composa des vers pleins de foi et d'amour, dignes d'une sainte.

Bossuet lui-même proclama, en 1700, devant l'assemblée du clergé de France, l'innocence de la pauvre victime, quant aux aveux insensés de Lacombe; mais il ne la fit relâcher qu'un ou deux ans après; ses mœurs étaient irréprochables, mais ses doctrines étaient

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dangereuses encore. Quand on lui permit enfin de quitter la prison, ce fut à la condition de se retirer loin de ses amis et de ses parents de la cour. De tous ses amis elle n'en perdit aucun; les relations suivies cessèrent par son éloignement; mais les cœurs ne se refroidirent pas à son égard, et de son côté elle n'en sacrifia aucun. Elle choisit successivement pour ses retraites aux environs de Blois, une terre de son gendre, une terre de son fils aîné, ancien capitaine aux gardes, une maison à Blois. Sa famille, qui était riche, jouissait de toute la considération que peuvent assurer le rang et la fortune.

J'ai dit que sa fille aînée était mariée au comte de Vaux, fils du,surintendant Fouquet, après la mort de qui elle épousa le duc de Sully. Son fils cadet, très-bel homme, très-instruit, était fort recherché dans la meilleure compagnie. Un frère de madame Guyon, parent des d'Ormesson-d'Aguesseau, était sur un excellent pied dans le monde. Ces alliances, sans être suffisantes pour lui procurer la liberté de vivre à Versailles ou seulement à Paris, le furent assez pour qu'on la laissât tranquille au fond de la province, comme on disait alors.

D'ailleurs elle ne s'occupait que de ses lectures, de ses œuvres de piété, et telle fut la fermeté de sa conduite, l'ascendant de sa vertu, qu'elle jouit d'un grand crédit près de l'évêque de Blois. A ses anciennes amitiés elle en joignit de nouvelles. Des étrangers la cherchèrent dans sa retraite pour jouir de sa société et de ses exemples. On dit volontiers qu'elle reconnut et abandonna enfin toutes ses erreurs. En modifiant sa pensée et ses convictions, elle n'eût assurément rien fait

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que de très-légitime, que ce qui avait fait honneur aux plus grands hommes de l'Église, à Clément d'Alexandrie, à Synésius, à saint Augustin, à François de Sales, qui tous ont modifié des opinions chéries; mais ces modifications, en ce qui la concerne, ne sont pas constatées.

En fait de doctrine, elle ne professa rien d'extraordinaire, cela est vrai; mais elle avait toujours protesté, comme Fénelon lui-même, que jamais elle n'avait été dans aucune des erreurs qu'on lui reprochait; que de toute opinion qu'on lui montrait condamnée par l'Église, elle avait toujours eu horreur; qu'en suivant les écrivains mystiques les plus admirés, elle avait toujours, dans sa simplicité de femme, cru suivre les doctrines les plus pures.

Tout cela, elle l'avait toujours dit, et elle avait toujours cru dire vrai, s'appliquant sérieusement à une grande pureté de pensée et une sérieuse vie de bonnes œuvres, à la perfection évangélique; en un mot, il lui était arrivé ce qui arrive facilement aux âmes pieuses, c'est de se croire tous les mérites auxquels elles aspirent, et de s'attribuer par avance les vertus qu'elles chérissent.

Ce qu'elle fit de mieux dans sa vie, ce fut de demeurer invariablement fidèle à ses principes de charité, soit pour les œuvres, soit pour les sentiments. Sa bienveillance fut à ce point complète que, dans ses discours, elle cessa de récriminer contre ses juges, comme elle avait fait dans ses écrits; elle garda le silence sur Bossuet, et ne se plaignit d'aucun de ses persécuteurs,

plus du roi que de madame de Maintenon. Sur Fé

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