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qu'on avait fait, en entretint successivement Bourdaloue, Godet Desmarais, Bossuet et l'évêque de Châlons. C'étaient sans doute des ecclésiastiques les uns d'une grande piété, les autres d'une grande autorité de savoir, d'autres encore des conseillers légitimes en leur qualité d'évêques; mais c'étaient des théologiens qui ne connaissaient pas le mysticisme. Ce n'étaient donc pas de vrais juges, et pourtant ils semblaient appelés comme pour juger le vrai juge et empêcher que Fénelon ne fût consulté. Lui seul, en effet, savait bien le mal qu'on avait fait en lui désobéissant, en donnant les écrits de madame Guyon contre son avis, et le remède qu'il fallait employer. Au lieu d'employer ce moyen, l'instruction faite avec douceur, ou de s'entendre avec lui, on eût dit que dès l'origine on ne se préoccupât que de cette seule chose, à savoir s'il ne penchait pas lui-même outre mesure pour les écrits mystiques et s'il n'était pas trop indulgent pour madame Guyon. Aussi du premier moment jusqu'au dernier, ce fut Fénelon lui-même qui se trouva impliqué dans l'enquête, sans qu'il s'en dontât. Les évêques condamuèrent les maximes de madame Guyon avec une énergie croissante, pour n'avoir pas la douleur d'avoir à frapper à la fin un ami. Certes, madame de Maintenon avait le droit de tenir la conduite d'une femme et non pas celle d'un ange mais il ne se conçoit rien de plus étrange que la sienne; d'abord elle n'écoute pas Fenelou qui blâme la communication des écrits de madame Guyon; puis quand le résultat l'alarme, non- seulement elle ne le consulte pas, mais elle a l'air de consulter sur lui plusieurs théologiens à la fois.

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Bourdaloue lui adresse un mémoire excellent, que liront encore avec plaisir les gens de sens et de piété.

L'évêque de Saint-Cyr fut vif. Il se dit alarmé d'une doctrine qui, suivant lui, invitait à ces trois choses : 1o A ne se gêner en rien;

2o A s'oublier entièrement et à n'avoir jamais de retour sur soi-même;

3o A user constamment de cette liberté des enfants de Dieu que recommande saint Paul, mais essentiellement pour ne s'assujettir à rien.

Il était difficile de mieux parodier, c'est-à-dire d'avoir l'air plus vrai et d'être moins juste.

Madame de Maintenon, qui conservait encore de l'affection pour madame Guyon, entreprit de lire son Explication du cantique atin de la juger par elle-même. Cette lecture, qui dépassait un peu ses connaissances en matière de foi, ne paraît pas l'avoir alarmée; loin de là, on dirait qu'elle l'a calmée, et qui voudra l'imiter, comprendra parfaitement ce résultat. Elle ne trouva peut-être pas l'écrit aussi beau que l'auteur, qui en parle en ces termes : « Un éclaircissement aussi aisé et aussi bien suivi d'un livre des plus obscurs ne peut être que le fruit d'une assistance particulière du Saint-Esprit; » mais si l'ouvrage lui parut chimérique, du moins elle le trouva édifiant, et ce ne fut qu'au mois de juin de la même année qu'elle pria madame Guyon, d'une façon très-honnête, de cesser ses visites à Saint-Cyr. « J'ai eu pendant deux mois, écrit-elle à la comtesse de SaintGéran, une copie de l'Explication du Cantique des cantiques (de madame Guyon). Il y a des endroits obscurs, il y en a d'édifiants, il y en a que je n'approuve

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en aucune manière. L'abbé de Fénelon m'avait dit que le Moyen court contenait les mystères de la plus sublime dévotion, à quelques petites exceptions près, qui se trouvent dans les écrits des mystères. J'en lus un morceau au Roi, qui me dit que c'étaient des rêveries. » Qu'aurait-il dit si elle lui avait lu ces lignes de l'Explication: « Ce Cantique ne se lit avec intelligence que par ceux qui lisent ce qui s'y chante bien plus dans le miroir de l'expérience intérieure que dans le livre même qu'ils ont devant les yeux. » Mais madame de Maintenon se gardait bien de lui donner tout le Cantique.

<«< Il n'est pas encore assez avancé dans la piété, ditelle, pour goûter cette perfection. » Ainsi, à ce moment le mysticisme de madame Guyon était encore la perfection, aux yeux de madame de Maintenon.

« J'ai bien prié madame notre supérieure de ne plus mettre ces livres entre les mains de nos dames. Cette lecture est trop forte pour elles il leur faut un lait proportionné à leur âge. Cependant madame Guyon les éditie. Je l'ai priée de cesser ses visites; mais je n'ai pu leur refuser de lire les lettres d'une personne pieuse et de bonnes mœurs. M. de Paris [de Harlai] paraît fort animé contre elle; mais il avoue que ses erreurs sont plus dangereuses par leurs suites que par le principe, et qu'il y a plus à plaindre qu'à blâmer, »

Tout ce qu'on avait donc à critiquer dans madame Guyon se réduisait donc à ceci, qu'elle était trop avancée pour ces pauvres filles de Saint-Cyr.

Et pourtant l'orage alla grossissant, et bientôt madame Guyon reçut de M. Tronson le conseil de se retirer

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de la société et de l'hôtel de Beauvilliers, comme de Saint-Cyr. Elle obéit et alors tout parut à ce point calmé, que Tronson écrivit à un ami : « Comme il commençait à s'élever un grand bruit à son occasion, et que quelques personnes de piété, et même de la cour, pouvaient y être intéressées, j'ai cru que le meilleur parti qu'elle pouvait prendre était de se retirer en quelque lieu où l'on ne parlât plus d'elle; ce qu'elle a fait, et par là les bruits ont cessé, et l'orage s'est apaisé. Ainsi personne n'a été embarrassé. Il est vrai qu'elle est extrêmement estimée par les personnes qui ont le plus de piété à la cour. >>

Que devait craindre de la part de la cour ou du clergé, ou du public, une personne extrêmement estimée de ceux de la cour qui avaient le plus de piété?

CHAPITRE X

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Madame Guyon congédiée par

Madame Guyon dans sa retraite.

Ses

Le mysticisme effraye à Saint-Cyr. madame de Maintenon. rapports avec le duc de Chevreuse, M. Tronson, l'abbé Boileau et Nicole. Son Apocalypse. Ses torrents. Sa vie intime. Origine de ses rapports avec Bossuet.

1693 1694

Madame de Maintenon profondément atteinte et bouleversée par l'avis de l'évêque de Chartres, le plus dur et le plus concluant de tous, prit son parti sur-le-champ. Elle suspendit les conférences et même les entrées de madame Guyon à Saint-Cyr, où cette dame se rendait depuis quatre ans, où madame de Maintenon se louait singulièrement de son influence sur quelques filles dont elle n'avait pas été contente jusque-là, où toutes lui donnaient les marques d'estime et d'amitié que méritait une personne qui n'avait cessé de gagner du terrain, de s'attacher les cœurs, d'inspirer de vives ardeurs pour les voies de la perfection et de la méditation contemplative.

Il est vrai qu'à côté de ces résultats positifs, on en remarquait d'autres, des lenteurs dans les pratiques,

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