Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE VII

Les premières publications mystiques de madame Guyon. court de faire oraison.

-

[blocks in formation]

L'explication du cantique de Salomon.

Madame Guyon et le P. Lacombe à Paris. Le molinisme repro

Sainte Thérèse et Molinos.

Le P. Lacombe

duit en apparence. enfermé à la Bastille princière. Madame Guyon aux Visitandines. Ses conférences à l'hôtel Beauvilliers. Fénelon.

--

Sa rencontre avec

1678-1688

Madame Guyon, très-versée dans la lecture des mystiques les plus avancés, les plus favorisés d'extases, de visions et de révélations, faisait peu de cas de ces états si enviés, si recherchés par d'autres; ce qu'elle cherchait, elle, c'était l'union intime et le commerce familier avec Dieu, ou plutôt cette alliance spirituelle avec le Christ, l'époux céleste, qui n'est accordée qu'à l'a

mour.

Son grand levier était l'amour divin; le grand moyen de l'obtenir, la prière. Pour exciter à l'un et enseigner l'autre, elle publia ou laissa ses amis publier, en 1685, deux manuels le Moyen court et très-facile pour l'O

ANALYSE DE L'ORAISON MENTALE.

103

raison [à Grenoble], et l'Explication mystique du Cantique des cantiques [à Lyon.]

Le premier de ces écrits, approuvé par des docteurs en Sorbonne qu'on avait commis pour l'examiner à Lyon et à Grenoble, fut, par suite des rapports de son auteur avec le P. Lacombe, la cause d'un premier emprisonnement.

En effet, le fanatique barnabite se rendit avec la jeune dévote à Paris, et y prêcha et confessa de manière à se faire trop remarquer. Bientôt ses adversaires l'accusèrent, d'après son livre intitulé Analyse de l'Oraison mentale, de molinisme, c'est-à-dire d'attachement au mysticisme de Molinos, et bientôt aussi ils impliquèrent dans cette accusation son extatique amie.

L'union des deux mystiques, évidemment calquée par eux sur le type de celle de saint François et de madame de Chantal, était alors si intime, qu'il faut, pour ne pas la défigurer en la voulant peindre, se servir exclusivement des termes dans lesquels madame Guyon la décrit elle-même. « Elle était si parfaite que ce n'était plus qu'une unité, et cela, dit l'enthousiaste sans soupçonner le blasphème, de manière que je ne puis le distinguer de Dieu. » (V. sa Vie écrite par elle-même, III, p. 2). Cette union fut donc trop vive, mais elle ne fut pas ce qu'on eut le tort de supposer plus tard quand tous les méchants bruits passèrent pour de bons arguments. Le P. Lacombe seul avait de grands torts, une tête faible, une imagination mystique et un manque complet de dignité sacerdotale. Ce fut pour ces raisons mêmes que madame Guyon devint bientôt l'accusée principale. Elle s'agitait beaucoup et écrivait volontiers,

[blocks in formation]

tandis que Lacombe écrivait peu, et ne valait guère la peine qu'on s'en occupât. L'accusation, dirigée contre l'un et l'autre, était mal fondée, en ce sens que Lacombe ne connaissait pas les écrits de Molinos et que madame Guyon ne savait pas même le nom de ce personnage. Elle connaissait des Jansénistes; mais elle était fort mal vue de ce parti, ce qu'elle avait de commun avec Fénelon, qui ne les aimait pas non plus, n'en était pas aimé et passait néanmoins pour pencher vers leurs idées.

Cependant l'archevêque de Paris, M. de Harlai, s'était persuadé de l'affinité des accusés avec Molinos, et sur un ordre royal qu'il provoqua, le P. Lacombe fut enfermé d'abord dans une maison ecclésiastique, puis à la Bastille, d'où il fut transféré à l'île d'Oléron et ensuite au château de Lourdes, où sa raison s'altéra si complétement qu'il fallut le mettre à Charenton, qui fut sa dernière demeure. Madame Guyon, par un autre ordre royal, fut conduite (en janvier 1688) aux Visitandines de Sainte-Marie, rue Saint-Antoine. Interrogée jusqu'à quatre fois par l'official de l'archevêché, même sur ses mœurs qui étaient d'une incontestable pureté, elle fut retenue au couvent pendant plusieurs mois, quoiqu'elle eût répondu de manière à ne laisser debout aucun des griefs articulés. Était-elle innocente?

Elle était étrangère à Molinos, dont les doctrines. plus que périlleuses en leurs conséquences venaient d'être condamnées à Rome.en 1687; mais l'analogie de leurs idées était aussi frappante que celle de leurs destinées. Ils avaient puisé à la même source; seulement Molinos, qui entra dans sa prison perpétuelle à Rome

[blocks in formation]

au moment même où madame Guyon allait entrer à Sainte-Marie, était disciple immédiat de sainte Thérèse sa compatriote, tandis que madame Guyon n'était l'élève de cette Sainte que par l'intermédiaire de madame de Chantal et de François de Sales. Quant à la ressemblance des théories, elle devait paraître frappante à M. de Harlai. Molinos voulait un état de contemplation à ce point parfait que l'âme ne raisonnant plus, ne réfléchissant ni sur Dieu, ni sur elle-même, y reçoive passivement, dans une quiétude absolue, la lumière céleste sans exercer aucun acte de piété, ni acte d'amour, ni acte d'adoration.

En cet état de quiétisme l'âme ne désire rien, pas même son salut, et ne craint rien, pas même l'enfer; elle abandonne tout à Dieu, et n'a pas d'autre sentiment que la paix de cet abandon.

En cet état de perfection, où l'homme est indifférent à tous les actes externes ou internes, il est dispensé de la pratique des bonnes œuvres et du recours aux sacrements qui ne sauraient rien donner à qui ne manque de rien, et telle est son indifférence, à l'interne comme à l'externe, que rien, pas même les imaginations les plus coupables, ne peuvent plus souiller ni affecter l'âme, ni le sentiment, ni l'intelligence, ni la volonté.

Quand même une âme pareille commettrait des actes criminels, son corps ne serait en cela qu'un instrument; intimement unie à Dieu, elle ne subirait aucune atteinte de ce qui agiterait les sens.

Voilà ce que disait Molinos. Qu'on remarque cette théorie; je la comparerai plus tard à un texte de madame Guyon.

[ocr errors]

106

LES CONSÉQUENCES.

Chacun voit les conséquences qu'entraîneraient des principes plus raffinés que sublimes, et encore plus grossiers en réalité que subtils en apparence. Que deviendra la vie, si l'âme est indifférente à tous ces mouvements, à ces inclinations, à ces désirs, à ces passions et à ces entraînements dont nous mettons l'origine première dans les instincts de la nature. Ces instincts nous les attribuons volontiers au corps, mais ils se traduisent en pensées, en sentiments et en œuvres, et personne n'en serait responsable du moment où le corps n'y servirait que d'instrument à l'âme et que l'âme n'y serait pas engagée, puisqu'elle ne serait pas sortie de sa quiétude, de sa paix, de son abandon à Dieu. Mais si l'âme n'est pas intéressée aux mouvements qui ont leur siége ou leur théâtre dans le corps, que deviennent la destinée morale de l'homme, la sainteté de l'âme, pureté du corps? Que sera l'innocence de la vierge, si l'âme dans le corps, à titre de simple instrument, n'engage pas certains actes? Que sera la vertu du prêtre lui-même ? La vertu et l'innocence seront des mots vides de sens; mais, en revanche, l'homme sera un abominable foyer de vices et de ténèbres.

la

Madame Guyon n'a pas enseigné les principes de Molinos, puisqu'elle n'a connu ni les écrits ni le nom de ce quiétiste. En apparence, elle n'a pas même en-seigné cette contemplation parfaite, cet état d'esprit à la fois plein d'audace et de laisser-aller, de haute abstraction et de molles jouissances où la nature divine absorbe la nature humaine. Elle a, bien au contraire, enseigné l'oraison et l'amour, état beaucoup plus humble et plus ordinaire, état d'appetissement de soi, mais

« PreviousContinue »