d'arbres aux feuillages légers et charmants. C'est que ce temple n'est pas seulement celui des lois, ou de la loi, il est aussi le temple de la parole, consacré à l'Éloquence. Et c'est 5 un culte qui n'est pas près de s'éteindre en France. C'est donc une grande joie pour le public français d'entendre ses législateurs faire de beaux discours. Les Athéniens avaient le 10 même défaut. Mais ce régal artistique n'est pas tout. Une séance à la Chambre des Députés ne se compose pas seulement de morceaux d'éloquence: c'est tout un drame, avec, parfois, 15 des épisodes de comédie. Nos élus sont là, rassemblés, pour se convaincre mutuellement: d'où des discussions, des interruptions fréquentes, souvent de l'ironie, des sarcasmes, et de la colère ! Car il est des 20 esprits qui supportent mal la contradiction et les députés sont des hommes après tout! Ce n'est pas qu'ils manquent de douceur et de courtoisie. Certains d'entre eux ont même un excellent caractère. Par exemple, 25 il est assez rare de voir M. Aristide Briand se fâcher. Toujours maître de sa parole qu'il manie avec un art admirable, il n'est pas moins maître de son humeur; le miel de la persuasion coule de ses lèvres. Ce n'est pas pour rien qu'on l'appela jadis: la sirène ! Monsieur de Moro-Giafferi a l'éloquence plus fougueuse. Habitué aux grands effets de plaidoirie, il n'aime pas qu'on l'interrompe 5 au milieu d'un bel élan oratoire. Cependant on l'a vu supporter avec bonne humeur des interruptions continuelles et piquantes. Il y a peu de temps, il défendait, à la Chambre, les intérêts publics contre les ententes com- 10 merciales et industrielles qui tendent à faire monter le prix de la vie. Sa plaidoirie était, ce qu'est toujours une plaidoirie de M. de Moro-Giafferi, pleine d'ardeur, d'humour et d'éloquence. Malheureusement, les inter- 15 ruptions pleuvaient de toutes parts. Quand il réclamait un article du code pénal, « ayant pour but d'atteindre les grands trafiquants de la misère publique,» on lui demandait: « Comment fixer le prix normal? » Qu'est-ce qu'un bénéfice exagéré ? » ou en core: ou 20 « La loi s'appliquera-t-elle aux avocats qui demandent des honoraires exagérés ? » M. de Moro-Giafferi, souriant, répondait 25 à chacun. Je réponds, dit-il, d'un mot et sans mauvaise humeur, à mon collègue et ami. Je considère les avocats qui prennent des honoraires exagérés comme de malhonnêtes gens. Il y a un conseil de discipline qui s'appelle l'ordre des avocats. >> 5 Mais les interruptions continuaient. Quelques-uns, connus pour avoir, depuis peu d'années, fortement amélioré leur fortune, ne cessaient pas de demander, avec acrimonie: « Commencez par définir le bénéfice exa10 géré ! » M. de Moro-Giafferi, un peu impatienté, répondit à l'un d'eux: « Vous le voulez, soit. Je vous répondrai tout à l'heure. D'autant plus que, je le 15 reconnais bien volontiers, vous êtes particulièrement qualifié dans cette question. Et il reprit le fil de son discours. Mais on ne le laissa pas parler longtemps. « L'ordre des avocats, lui cria-t-on, exerce 20 une police très sévère sur les membres de l'ordre ? Alors déférez aux Chambres de commerce la police du commerce et le résultat sera le même. » Monsieur de Moro-Giafferi aurait bien 25 voulu continuer son discours. Cependant, avec une patience d'ange, il répondait à presque tous ses interrupteurs. Ici, il secoua mélancoliquement la tête. |