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jamais la ruche n'est sans miel, c'est la longue et chère famille de nos ancêtres, qui ont peu à peu accumulé dans le bas de laine populaire tous ces humbles sous de cuivre capables 5 de se muer en superbes louis d'or, qui les ont rendus riches de sentiment et lourds de pensée, et qui par eux revivent incessamment en nous, puisque, avec les syllabes chantantes de ces mots ressucitent, que nous 10 en ayons conscience ou non, les chansons, légendes, contes, croyances, dictons, proverbes, locutions, adages, symboles, traditions, d'où elles ont pris l'essor, et puisque, là ont ainsi palpité toutes les âmes de qui est 15 faite l'âme même de notre race ».

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Que tout cela était bien claironné! Quels gestes triomphants accompagnaient paroles chantantes! Et, s'il ne restait plus rien de l'ancien nomade dans l'académicien 20 du jour, comme on se souvenait bien du temps où, aux côtés de Sarah Bernhardt jeune encore, M. Jean Richepin, costumé en rajah de l'Inde, déclamait superbement les vers de Nana Sahib, son premier drame, joué par 25 lui-même !

Ce fut M. Maurice Barrès qui répondit à M. Jean Richepin. Et le public n'eut pas à s'en plaindre. Le don principal de

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M. Maurice Barrès, qui vient de mourir, était de railler, avec la plus grande politesse, tous les gens à qui il s'adressait. En s'adressant à M. Richepin, il fut d'une courtoisie plus grande encore que de cou- 5 tume, mais il ne put cacher son étonnement, tant il était grand. En effet de tous les lieux extraordinaires où il put songer à rencontrer M. Richepin, le plus étrange était bien l'Académie française.

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« Si, quand je sortais du collège, Miarka, la fille à l'ourse,1 m'avait prédit qu'un jour, dans une circonstance exceptionnelle et dans une compagnie singulière, je vous entendrais émettre vos théories littéraires, j'aurais été 15 bien intrigué... Contempler le grand Richepin dans une compagnie singulière ! Mais où ? »

Et M. Barrès cherchait, avec la bonne foi la plus apparente du monde, quel pourrait 20 bien être ce lieu de rendez-vous où rencontrer Richepin: une clairière à la brume?... le quai d'un grand port méditerranéen, où bourdonnent de curieuses gens de tous les mondes ?... la cour des miracles, telle 25 qu'au moyen âge, les truands s'y réunis

1 Miarka, la fille à l'ourse, bohémienne, une des plus populaires parmi les héroïnes de J. Richepin.

saient... il allait même jusqu'à songer, dans sa curiosité, à l'aller chercher, ce grand Richepin, sous l'arche d'un pont de la Seine ! Mais jamais, non, jamais M. Maurice 5 Barrès n'aurait songé, en pensant à cette compagnie extraordinaire, qu'il s'agissait de l'Académie française !

Et doucement, il rappelait au poète des Gueux le personnage qu'on avait cru si long10 temps voir en lui; il lui rappelait ses aventures de terre et de mer, sa connaissance de l'argot, son amour pour les bohémiens!

« Vous êtes allé jusqu'à vous persuader que tout ce bohémianisme était dans votre 15 sang et que, né dans le passé et cent ans plus tôt, vous auriez couru le monde en roulotte. A vous en croire, vous descendriez d'un couple de Touraniens qui s'arrêtèrent, il y a deux siècles, en Thiérache, et quand vous 20 voyez une caravane de têtes bistrées et crépues qui mènent un ours à la foire, vous baissez le front avec la mélancolie d'un noble déchu... »

Que faut-il penser du Touranisme de 25 M. Jean Richepin ?

Mon Dieu, M. Maurice Barrès, qui fut si candide, y croyait, comme tout le monde, quand un jour on n'est jamais trahi que

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