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fesseurs à la mode. Si nous en avions le temps, nous verrions de bien étranges types humains!

Cette Montagne Sainte-Geneviève, où je suppose que nous nous promenons mainte- 5 nant, est une bien vieille et bien honorable place. Déjà au moyen âge les étudiants de toutes les nations: de Suède, des Allemagnes, d'Italie, d'Angleterre, d'Écosse, et aussi de toutes les provinces de France, accou- 10 raient en foule sur cette colline. Ils venaient entendre les leçons d'Albert le Grand, de Guillaume de Champeaux et d'Abélard, les maîtres de ce temps. Ces étudiants étaient pauvres presque tous, et vivaient, souvent 15 par groupes de trois ou quatre du même pays ou de la même province dans les mansardes mal éclairées des maisons basses du quartier Saint-Jacques et de la rue du Cloître-Saint-Benoît. Qu'on se rappelle 20 Jacques Tournebroche, Jérôme Coignard et la Rôtisserie de la Reine Pédauque. Comme Anatole France a joliment évoqué les personnages de ce temps ! C'est qu'il la connaît bien, cette époque, ce paléographe archiviste, 25 maître écrivain. Le quartier, alors, retentissait de discussions théologiques passionnées, et quelquefois la Sorbonne

j'entends le corps des théologiens qui la constituaient déclarait hérétique quelque doctrine, et condamnait le manuscrit et son auteur à être brûlés en place de Grève. 5 Que tout cela est loin! Aujourd'hui, la vieille rue Saint-Jacques, toute rajeunie, n'a plus rien de moyenâgeux. Elle est devenue, de tortueuse et noire, une grande voie claire et large, à l'horizon lumineux formé par la 10 Seine, au point où se profile la belle silhouette de Notre-Dame de Paris, et la foule d'étudiants qui s'y presse, bien plus nombreuse que jadis, ne contraste plus, par sa jeunesse, avec l'apparence antique et sombre des lieux. 15 De l'ancienne Sorbonne il ne reste rien. Seule, la Chapelle, avec son dôme Louis XIII, subsiste, des bâtiments élevés par Richelieu. On y voit encore son tombeau, et on y donne, à des dates fêtées par l'Église, de beaux 20 concerts spirituels, des messes anciennes, du César Franck, et des choeurs rarement exécutés ailleurs. Ces jours-là, la Chapelle est pleine, comme elle l'était autrefois.

Mais si, laissant la Chapelle à notre droite, 25 nous entrons à la Sorbonne par la cour d'honneur de la rue Victor Cousin, nous y verrons, tous les jours, de novembre à avril, une foule bien autrement dense.

Jeunes gens de tous les pays, étudiants et étudiantes, la serviette de cuir sous le bras, vont, d'un pas pressé, s'inscrire pour les cours qui préparent à la licence ou à l'agrégation, s'empiler dans les salles de confé- 5 rence ou à la Bibliothèque, public studieux, mais non muet, et dont la rumeur joyeuse transforme les couloirs sonores de la Sorbonne, leur donne un peu de l'apparence d'une immense volière où s'agitent des oi- 10 seaux tapageurs. Les étudiantes, en nombre chaque jour plus considérable, sont pour quelque chose dans cette apparence. C'est que les austères Universités d'autrefois ont subi une transformation. Peu à peu, dans 15 les cours, dans les amphithéâtres et jusque dans les laboratoires, les jeunes femmes se sont introduites, apportant en ces lieux pédants, qui en furent d'abord un peu étonnés, leur entrain et leur grâce, et éclai- 20 rant de leurs toilettes gaies l'aspect morose de ces salles. Qui donc pensait que la culture supérieure allait enlever aux femmes leur envie de plaire, leur désir de se parer, leur gaieté et leur coquetterie ? Pour être 25 pleinement rassuré à ce sujet, il suffit de jeter un coup d'œil dans la grande cour de la Sorbonne, à l'heure des cours.

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