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Si tout forti qu'il eft d'une fource divine,
Son cœur dément en lui fa fuperbe origine,
Et n'ayant rien de grand qu'une fotte fierté,
S'endort dans une lâche & molle oifiveté ?
Cependant, à le voir, avec tant d'arrogance,
Vanter le haut éclat de sa haute naiflance,
On dirort que le Ciel eft foumis à fa loi,

Et
que Dieu l'a paîtri d'autre limon que moi.
Enivré de lui-même, il croit dans fa folie,
Qu'il faut
que devant lui d'abord tout s'humilie.
Aujourd'hui toutefois, fans trop le ménager,
Sur ce ton un peu haut je vais l'interroger.
Dites-moi, grand Héros, Efprit rare & fublime,
Entre tant d'animaux, qui font ceux qu'on eftime?
On fait cas d'un Courfier, qui fier & plein de cœur,
Fait paroître en courant sa bouillante vigueur :
Qui jamais ne fe laffe, & qui dans la carriere
S'eft couvert mille fois d'une noble pouffiere:
Mais la postérité d'Alfane & de Bayard,
Quand ce n'est qu'une rosse, est vendue au hazard
Sans refpect des aïeux dont elle eft defcendue,
Et va porter la malle, ou tirer la charrue.
Pourquoi donc voulez-vous que par un fot abus
Chacun refpecte en vous un honneur qui n'eft plus ?
On ne m'éblouit point d'une apparence vaine :
La Vertu d'un cœur noble eft la marque certaine.
Si vous êtes forti de ces Héros fameux,

Montrez-nous cette ardeur qu'on vit briller en eux,
Ce zèle pour l'honneur, cette horreur pour le vice.
Refpectez-vous les loix? Fuyez-vous l'injuftice?
Savez-vous pour la gloire oublier le repos,

Et dormir en plein champ le harnois fur le dos?
Je vous connois pour Noble à ces illuftres marques :
Alors foyez iffu des plus fameux Monarques :
Venez de mille aïeux, & fi ce n'eft affez,
Feuilletez à loifir tous les fiecles paffés,

Voyez de quel Guerrier il vous plaît de defcendre ;
Choififfez de Céfar, d'Achille ou d'Alexandre;
En vain un faux Cenfeur voudroit vous démentir,
Et fi vous n'en fortez, vous en devez fortir.
Mais fuffiez vous iffu d'Hercule en droite ligne,
Si vous ne faites voir qu'une bassesse indigne,
Ce long amas d'aïeux que vous diffamez tous,
Sont autant de témoins qui parlent contre vous ;
Et tout ce grand éclat de leur gloire ternie,
Ne fert plus que de jour à votre ignominie.
Eu vain tout fier d'un fang que vous déshonorez,
Vous dormez à l'abri de ces noms révérés.

En vain vous vous couvrez des vertus de vos Peres?
Ce ne font à mes yeux que de vaines chimeres.
Je ne vois rien en vous qu'un lâche, un impofteur,
Un traître, un fcélérat, un perfide, un menteur,
Un fou dont les accès vont jufqu'à la furie,
Et d'un tronc fort illuftre une branche pourrie.
Je m'emporte peut-être, & ma Muse en fureur
Verfe dans fes difcours trop de fiel & d'aigreur.
Il faut avec les Grands un peu de rétenue.

Hé bien, je m'adoucis. Votre race eft connue.
Depuis quand répondez. Depuis mille ans entiers;
Et vous pouvez fournir deux fois feize quartiers.
C'est beaucoup. Mais enfin les preuves en font

claires.

Tous les livres font pleins des titres de vos Peres:
Leurs noms font échappés du naufrage des tems.
Mais qui m'affurera, qu'en ce long cercle d'ans
A leurs fameux Époux vos aïeules fidelles,
Aux douceurs des Galans furent toujours rebelles ?
Et comment favez-vous, fi quelque audacieux
N'a point interrompu le cours de vos aïeux ;
Et fi leur fang tout pur, ainfi que leur nobleffe,
Eft paffé jusqu'à vous de Lucrece en Lucrece ?
Que maudit foit le jour, où cette vanité
Vint ici de nos mœurs fouiller la pureté !

Dans les tems bienheureux du monde en fon enfance,
Chacun mettoit fa gloire en fa feule innocence.
Chacun vivoit content, & fous d'égales loix
Le mérite y faifoit la Nobleffe & les Rois ;
Et fans chercher l'appui d'une naiffance illuftre,
Un Héros de foi-même empruntoit tout fon luftre.
Mais enfin par le tems le mérite avili,

Vit l'Honneur en roture & le vice ennobli:
Et l'orgueil d'un faux titre appuyant sa foiblesse,
Maîtrifa les Humains fous le nom de Nobleffe.
Delà vinrent en foule & Marquis & Barons ;
Chacun pour fes vertus n'offrit plus que des noms.
Auffi-tôt maint Efprit, fécond en rêveries,
Inventa le Blafon avec les Armoiries;
De fes termes obfcurs fit un langage à part,
Compofa tous ces mots de Cimier & d'Ecart,
De Pal, de Contrepal, de Lambel & de Face,
Et tout ce que Segoing dans fon Mercure entaffe,
Une vaine folie enivrant la raison,

L'Honneur trifte & honteux ne fut plus de faifon.

Alors

Alors pour foutenir fon rang & fa naissance,
Il fallut étaler le luxe & la dépense;
Il fallut habiter un fuperbe Palais,

Faire par les couleurs diftinguer ses valets:
Et traînant en tous lieux de pompeux équipages,
Le Duc & le Marquis fe reconnut aux Pages.
Bientôt pour fubfifter, la Noblesse fans bien,
Trouva l'art d'emprunter & de ne rendre rien
Et bravant des Sergens la timide cohorte,
Laiffa le Créancier fe morfondre à fa porte.
Mais pour comble à la fin, le Marquis en prison,

Sous le faix des Procès vit tomber fa maison.
Alors le Noble altier, preffé de l'indigence,
Humblement du Faquin rechercha l'alliance;
Avec lui trafiquant d'un nom fi précieux,
Par un lâche contrat vendit tous ses aïeux,
Et corrigeant ainfi la fortune ennemie
Rétablit fon honneur à force d'infamie.

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Car fi l'éclat de l'or ne releve le fang En vain l'on fait briller la fplendeur de fon rang; L'amour de vos aïeux paffe en vous pour manie, Et chacun pour parent vous fuit & vous renie. Mais quand un homme eft riche, il vaut toujours fon prix :

Et l'eût-on vu porter la mandille à Paris,

N'eût-il de fon vrai nom ni titre ni mémoire,
D'Hozier lui trouvera cent aïeux dans l'hiftoire.

Toi donc, qui de mérite & d'honneur revêtu, Des écueils de la Cour as fauvé ta vertu DANGEAU, qui dans le rang où notre Roi t'appelle Le vois toujours orné d'une gloire nouvelle,

Ꭰ .

Et plus brillant par foi que par l'éclat des lis,
Dédaigner tous ces rois dans la pourpre amollis ; ·
Fuir d'un honteux loifir la douceur importune;
A fes fages confeils affervir la Fortune;

Er de tout fon honneur ne devant rien qu'à foi,
Montrer à l'univers ce que c'est qu'être roi :
Si tu veux te couvrir d'un éclat légitime,
Vas par mille beaux faits mériter son estime :
Sers un fi noble maître; & fais voir qu'aujourd'hui
Ton Prince a des fujets qui font dignes de lui.

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