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Porte à mes Campagnards la fanté de notre Hôte,
Qui tous deux pleins de joie, en jettant un grand cri,
Avec un rouge bord acceptent fon défi,
Un fi galant exploit réveillant tout le monde,
On a porté par-tout des verres à la ronde,
Où les doigts des Laquais, dans la craffe tracés,
Témoignoient par écrit qu'on les avoit rincés :
Quand un des conviés d'un ton mélancolique,
Lamentant triftement une chanfon bachique
Tous mes Sots à-la-fois, ravis de l'écouter,
Détonnant de concert, fe mettent à chanter.
La mufique fans doute étoit rare & charmante:
L'un traîne en longs fredons une voix glapissante;
Et l'autre l'appuyant de fon aigre fauffer,

Semble un violon faux qui jure fous l'archet.

Sur ce point un jambon,

rence,

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d'affez maigre appa

Arrive fous le nom de jambon de Mayence.
Un valet le portoit, marchant à pas comptés,
Comme un Recteur fuivi des quatre Facultés.
Deux Marmitons craffeux, revêtus de ferviettes,
Lui fervoient de Maffiers, & portoient deux affiettes,
L'une de champignons, avec des ris de veau,
Et l'autre de poids verds qui fe noyoient dans l'eau.
Un fpectacle fi beau furprenant l'affemblée,
Chez tous les Conviés la joie eft redoublée :
Et la troupe à l'inftant ceffant de fredonner,
D'un ton gravement fou s'eft mise à raisonner.
Le vin au plus muet fourniffant des paroles,
Chacun a débité fes maximes frivoles :
Réglé les intérêts de chaque Potentat,

Corrigé la Police, & reformé l'Etat ;

Puis delà s'embarquant dans la nouvelle guerre,
A vaincu la Hollande ou battu l'Angleterre.
Enfin, laiffant en paix tous ces peuples divers,
De propos en propos on a parlé de Vers.
Là tous mes Sots, enflés d'une nouvelle audace,
Ont jugé des Auteurs en maîtres du Parnaffe.
Mais notre Hôte fur-tout, pour la jufteffe & l'art,
Elevoit jufqu'au Ciel Théophile & Ronfard :
Quand un des Campagnards, relevant fa moustache
Et fon feutre à grands poils ombragé d'un panache,
Impofe à tous filence, & d'un ton de Docteur,
Morbleu !dit-il, la Serre eft un charmant Auteur!
Ses vers font d'un beau ftyle, & fa profe eft coulante.
La Pucelle eft encor une œuvre bien galante,
Et je ne fais pourquoi je bâille en la lisant.
Le Païs, fans mentir, eft un bouffon plaifant :
Mais je ne trouve rien de beau dans ce Voiture.
Ma foi, le jugement fert bien dans la lecture.
A mon gré le Corneille eft joli quelquefois.
En vérité, pour moi, j'aime le beau François.
Je ne fais pas pourquoi l'on vante l'Alexandre,
Ce n'eft qu'un glorieux qui ne dit rien de tendre.
Les Héros chez Quinaut parlent bien autrement,
Et jufqu'à Je vous hais, tout s'y dit tendrement.
On dit qu'on l'a drapé dans certaine Satire,
Qu'un jeune homme,.
Ah! je fais ce que vous

voulez dire,

A répondu notre Hôte, Un Auteur fans défaut,
La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Juftement. A mon gré, la piéce est assez plate.

Et puis blâmer Quinaut.... Avez-vous vu l'Aftrate 2
C'eft-là ce qu'on appelle un ouvrage achevé.
Sur-tout l'Anneau Royal me femble bien trouvé.
Son fujet eft conduit d'une belle maniere,
Et chaque acte en fa piéce eft d'une piéce entiere.
Je ne puis plus fouffrir ce que les autres font.
Il eft vrai que Quinaut eft un esprit profond,
A repris certain Fat, qu'à fa mine difcrete
Et fon maintien jaloux j'ai reconnu Poëte :
Mais il en eft pourtant qui le pourroit valoir.
Ma foi, ce n'eft pas vous qui nous le ferez voir,
A dit mon Campagnard avec une voix claire,
Et déja tout bouillant de vin & de colere.
Peut-être, a dit l'Auteur, pâliffant de courroux :
Mais vous, pour en parler, vous y connoiffez-vous?
Mieux que vous mille fois, dit le Noble en furie.
Vous? mon Dieu, mêlez-vous de boire, je vous prie,
A l'Auteur fur le champ aigrement reparti..
Je fuis donc Sot, moi? Vous en avez menti,
Reprend le Campagnard, & fans plus de langage,
Lui jette, pour défi, son affiette au visage:
L'autre efquive le coup, & l'affiette volant
S'en va frapper le mur, & revient en roulant.
A cet affront, l'Auteur fe levant de la table,
Lance à mon Campagnard un regard effroyable:
Et chacun vainement fe ruant entre deux

Nos braves s'accrochant, fe prennent aux cheveux.
Auffi tôt fous leurs pieds les tables renversées
Font voir un long débris de bouteilles caffées :
En vain à lever tout, les Valets font fort prompts,
Et les ruiffeaux de vin coulent aux environs.

Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les fépare;
Et leur premiere ardeur paffant en un moment,
On a parlé de paix & d'accommodement.
Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y confpire,
J'ai gagné doucement la porte fans rien dire,
Avec un bon ferment, que fi pour l'avenir,
En pareille cohue on me peut retenir,

Je confens, de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie:
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,
Et qu'à peine au mois d'Août l'on mange des pois
verds.

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SATIRE IV.

A MONSIEUR L'ABBÉ

LE VAYER.

La Satire IV a été faite en l'année 1664, immédiatement après la feconde Satire, & avant le Difcours au Roi. M. Despréaux en conçut l'idée dans une converfation qu'il eut avec l'Abbé le Vayer & Moliere, dans lequel on prouva par divers exemples que tous les hommes font fous, & que chacun croit néanmoins être fage tout feul. Cette propofition fait le fujet de cette Satire.

D'où vient, cher LE VAYER, que l'Homme

le

moins fage

Croit toujours feul avoir la fageffe en partage;

Et qu'il n'eft point de Fou, qui par beiles raifons
Ne loge fon voifin aux Petites - Maisons ?
Un pédant enivré de fa vaine science,
Tout hérifié de Grec, tout bouffi d'arrogance,
Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot,
Dans fa tête entassés, n'a souvent fait qu'un Sot,
Croit qu'un Livre fait tout, & que fans Ariftote
La raifon ne voit goutte & le bon fens radote.

D'autre part, un Galant, de qui tout le métier

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