Page images
PDF
EPUB

SATIRE III.

Cette Satire a été faite en l'année 1667. Elle contient le récit d'un Feftin donné par un homme d'un goût faux & extravagant, qui se piquoit néanmoins de rafiner fur la bonne chere. Horace, dans la Satire VIII du Livre 2, fait pareillement le récit d'un repas ridicule & Regnier, dans fa dixieme Satire, l'a auffi imité.

[ocr errors]

UEL fujet inconnu vous trouble & vous
altere ?

D'où vous vient aujourd'hui cet air fombre & févere,
Et ce vilage enfin plus pâle qu'un Rentier,
A l'aspect d'un Arrêt qui retranche un quartier!
Qu'eft devenu ce teint, dont la couleur fleurie
Sembloit d'ortolans feuls, & de bifques nourrie ;
Où la joie en fon luftre attiroit les regards,
Et le vin en rubis brilloit de toutes parts ?
Qui vous a pu plonger dans cette humeur chagrine?
A-t-on par quelque Édit réformé la cuisine?
Ou quelque longue pluie, inondant vos vallons,
A-t-elle fait couler vos vins & vos melons ?
Répondez donc enfin, ou bien je me retire.

P. Ah! de grace, un moment, souffrez que ja refpire.

Je fors de chez un Fat, qui, pour m'empoisonner, Je pense, exprès chez lui m'a forçé de dîner.

Je l'avois bien prévu. Depuis près d'une année;
J'éludois tous les jours fa pourfuite obstinée.
Mais hier il m'aborde, & me ferrant la main;
Ah! Monfieur, m'a-t-il dit, je vous attends demain :
N'y manquez pas au moins : j'ai quatorze bouteilles
D'un vin vieux..... Boucingo n'en a point de pa-
reilles :

Et je gagerois bien que chez le Commandeur,
Villandri priferoit fa féve & fa verdeur.
Moliere avec Tartuffe y doit jouer fon rôle,
Et Lambert, qui plus eft, m'a donné fa parole.
C'est tout dire en un mot, & vous le connoiffez.
Quoi Lambert? Oui, Lambert. A demain. C'est affez.
Ce matin donc, féduit par fa vaine promeffe,
J'y cours, midi fonnant, au fortir de la Meffe.
A peine étois-je entré, que ravi de me voir,
Mon homme, en m'embraffant, m'eft venu recevoir;
Et montrant à mes yeux une alégreffe entiere,
Nous n'avons, m'a-t-il dit, ni Lambert ni Moliere:
Mais puifque je vous vois, je me tiens trop content,
Vous êtes un brave homine: entrez, on vous attend.
A ces mots, mais trop tard, reconnoiffant ma faute,
Je le fuis en tremblant dans une chambre haute,
Où malgré les volets le Soleil irrité

Formoit un poêle ardent au milieu de l'été,

Le couvert étoit mis dans ce lieu de plaifance;
Où j'ai trouvé d'abord pour toute connoiffance,
Deux nobles Campa gnards, grands lecteurs de Ro-

mans

Qui m'ont dit tout Cyrus dans leurs longs compli

mens.

J'enrageois.

J'enrageois. Cependant on apporte un potage.
Un coq y paroiffoit en pompeux équipage,
Qui changeant fur ce plat & d'état & de nom,
Par tous les Conviés s'eft appellé chapon.
Deux affiettes fuivoient, dont l'une étoit ornée
D'une langue en ragoût de perfil couronnée :
L'autre d'un gaudiveau tout brûlé par-dehors
Dont un beure gluant inondoit tous les bords.
On s'affied: mais d'abord, notre troupe ferrée
Tenoit à peine autour d'une table quarrée,
Où chacun malgré foi, l'ún fur l'autre porté,
Faifoit un tour à gauche, & mangeoit de côté.
Jagez en cet état, fi je pouvois me plaire,
Moi qui ne compte rien, ni le vin, ni la chere,
Si l'on n'eft plus au large affis en un festin,
Qu'aux Sermons de Caffagne, ou de l'Abbé Cotin.
Notre Hôte cependant, s'adressant à la troupe :
Que vous femble, a-t-il dit, du goût de cette
foupe?

Sentez-vous le citron, dont on a mis le jus,
Avec des jaunes d'oeufs mêlés dans du verjus?
Ma foi, vive Mignot, & tout ce qu'il apprête !
Les cheveux cependant me dreffoient à la tête :
Car Mignot, c'eft tout dire, & dans le monde entier,
Jamais empoisonneur ne fut mieux fon métier.
J'approuvois tout pourtant de la mine & du gefte,
Penfant qu'au moins le vin dût réparer le refte.
Pour m'en éclaircir donc, j'en demande. Et d'abord
Un Laquais effronté m'apporte un rouge bord
D'un Auvernat fumeux, qui mêlé de Lignage,
Se vendoit chez Crenet, pour vin de l'Hermitage,

[ocr errors]

Et qui rouge & vermeil, mais fade & doucereux, N'avoit rien qu'un goût plat, & qu'un déboire affreux.

A peine ai-je fenti cette liqueur traîtreffe,
Que de ces vins mêlés j'ai reconnu l'adresse.
Toutefois avec l'eau que j'y mets à foison,'
J'efpérois adoucir la force du poifon.

Mais qui l'auroit penfé? pour comble de disgrace Par le chaud qu'il faisoit, nous n'avions point de glace.

Point de glace, bon Dieu, dans le fort de l'été !
Au mois de Juin ! Pour moi, j'étois fi tranfporté,
Que donnant de fureur tout le feftin au Diable,
Je me fuis vu vingt fois prêt à quitter la table;
Et dût-on m'appeller & fantasque & bourru,
J'allois fortir enfin, quand le rôt a paru.

Sur un liévre flanqué de fix poulets étiques,
S'élevoient trois lapins, animaux domestiques,
Qui dès leur tendre enfance élevés dans Paris,
Sentoient encor le chou dont ils furent nourris.
Autour de cet amas de viandes entaffées,
Régnoit un long cordon d'alouettes preffées,
Et fur les bords du plat, fix pigeons étalés
Préfentoient pour renfort leurs fquelettes brûlés.
A côté de ce plat paroissoit deux salades,
L'une de pourpier jaune, & l'autre d'herbes fades,
Dont l'huile de fort loin faififfoit l'odorat,
Et nageoit dans les flots de vinaigre rosat.
Tous mes Sots à l'instant changeant de contenance,
Ont loué du Feftin la fuperbe ordonnance :
Tandis que mon Faquin, qui fe voyoit priser,

Avec un ris moqueur les prioit d'excufer.

Sur-tout certain Hableur, à la gueule affamée,
Qui vint à ce Feftin, conduit par la fumée,
Et qui s'eft dit Profès dans l'ordre des Côteaux,
A fait en bien mangeant, l'éloge des morceaux.
Je riois de le voir avec fa mine étique,

Son rabat jadis blanc, & fa perruque antique,
En lapins de garenne ériger nos clapiers,
Et nos pigeons Cauchois en superbes ramiers ;
Et pour flatter notre Hôte, obfervant son visage,
Composer sur les yeux fon geste & son langage :
Quand notre Hôte charmé, m'avisant sur ce point,
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez
point?

Je vous trouve aujourd'hui l'ame toute inquiete,
Et les morceaux entiers reftent fur votre affiette.
Aimez-vous la muscade ? On en a mis par tout.
Ah! Monfieur, ces poulets font d'un merveilleux goût.
Ces pigeons font dodus, mangez fur ma parole.
J'aime à voir aux lapins cette chair blanche & molle.
Ma foi, tout eft paffable, il le faut confeffer,
Et Mignot aujourd'hui s'est voulu furpaffer.
Quand on parle de fauce, il faut qu'on y rafine.
Pour moi j'aime fur-tout que le poivre y domine.
J'en fuis fourni, Dieu fait ! & j'ai tout Pelletier
Roulé dans mon office en cornets de papier.
A tous ces beaux difcours, j'étois comme une pierre,
Ou comme la Statue eft au Feftin de Pierre ;
Et fans dire un feul mot, j'avalois au hazard
Quelque aîle de poulet dont j'arrachois le lard.
Cependant mon Hableur, avec une voix haute,

« PreviousContinue »