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Eft par-tout des bons lieux comme infame chaffée,
Où le feul art en vogue est l'art de bien voler:
Où tout me choque : enfin, où... Je n'ose parler.
Et quel homme fi froid ne seroit plein de bile
A l'afpect odieux des mœurs de cette ville ?
Qui pourroit les fouffrir? & qui, pour les blâmer,
Malgré Mufe & Phébus n'apprendroit à rimer ?
Non, non; fur ce fujet pour écrire avec grace,
Il ne faut point monter au fommet du Parnasse
Et fans aller rêver dans le double Vallon,
La colere fuffit, & vaut un Apollon.

Tout beau, dira quelqu'un, vous entrez en furie.
A quoi bon ces grands mots! Doucement je vous prie :
Ou bien montez en Chaire, & là, comme un Docteur,
Allez de vos fermons endormir l'Auditeur.
C'eft-là que bien ou mal on a droit de tout dire.
Ainfi parle un efprit qu'irrite la Satire,

Qui contre fes défauts croit être en fûreté,
En raillant d'un Cenfeur la triste austérité,
Qui fait l'homme intrépide, & tremblant de foibleffe,
Attend pour croire en Dieu que la fievre le preffe';
Et toujours dans l'orage au Ciel levant les mains,
Dès que l'air eft calmé, rit des foibles Humains.
Car de penfer alors qu'un Dieu tourne le Monde,
Et regle les refforts de la machine ronde,
Ou qu'il est une vie au-delà du trépas,
C'est là, tout haut du moins ce qu'il n'avoûra pas.
Pour moi qu'en fanté même un autre Monde étonne :
Qui crois l'ame immortelle, & que c'est Dicu qui tonne,
Il vaut mieux pour jamais me bannir de ce lieu.
Je me retire donc. Adieu, Paris, adieu.

SATIRE II.

A M. DE MOLIERE.

Le fujet de cette Satire eft, la difficulté de trouver la Rime, & de la faire accorder avec la Raifon. Mais Auteur s'eft appliqué à les concilier toutes deux, en n'employant dans cette Piece que des Rimes extrêmement exactes.

Cette Satire n'a été composée qu'après la feptieme; ainfi elle eft la quatrieme dans l'ordre du tems. Elle fut faite en 1664.

RARE & fameux Efprit, dont la fertile veine

Ignore en écrivant le travail & la peine;

Pour qui tient Apollon tous fes trésors ouverts
Et qui fait à quel coin fe marquent les bons vers ;
Dans les combats d'efprit favant Maître d'efcrime,
Enseigne-moi, Moliere, où tu trouves la Rime.
On diroit, quand tu veux, qu'elle te vient chercher.
Jamais au bout du vers on ne te voit broncher;
Et fans qu'un long détour t'arrête ou t'embarraffe,
A peine as-tu parlé, qu'elle même s'y place.
Mais moi, qu'un vain caprice, une bizarre humeur,
Pour mes péchés, je crois, fit devenir Rimeur:
Dans ce rude métier, où mon efprit fe tue,
En vain, pour la trouver, je travaille & je fue.
Souvent j'ai beau rêver du matin jusqu'au foir,

Quand je veux dire blanc, la quinteuse dit noir.
Si je veux d'un Galant dépeindre la figure,
Ma plume pour rimer trouve l'abbé de Pure:
Si je penfe exprimer un Auteur fans défaut,
La Raifon dit Virgile, & la Rime Quinaut.
Enfin quoi que je faffe, ou que je veuille faire,
La bizarre toujours vient m'offrir le contraire.
De rage quelquefois ne pouvant la trouver
Trifte, las & confus, je cesse d'y rêver:
Et maudiffant vingt fois le Démon qui m'inspire,
Je fais mille fermens de ne jamais écrire.

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Mais quand j'ai bien maudit & Mufes & Phébus,
Je la vois qui paroît, quand je n'y pense plus.
Auffi-tôt, malgré moi, tout mon feu fe rallume:
Je reprends fur le champ le papier et la plume,
Et de mes vains fermens perdant le fouvenir,
J'attends de vers en vers qu'elle daigne venir.
Encor fi pour rimer, dans fa verve indiscrete,
Ma Mufe au moins fouffroit une froide épithete:
Je ferois comme un autre, & fans chercher fi loin,
J'aurois toujours des mots pour les coudre au befoin.
Si je louois Philis, En miracles féconde:
Je trouverois bientôt, A nulle autre feconde.
Si je voulois vanter un objet Nompareil :
Je mettrois à l'inftant, Plus beau que le Soleil.
Enfin parlant toujours d'Ajires & de Merveilles,
Le chef-d'œuvres des Cieux, de Beautés sans pareilles ;
Avec tous ces beaux mots fouvent mis au hazard,
Je pourrois aifément, fans génie & fans art,
Et tranfpofant cent fois & le nom & le verbe,
Dans mes vers recoufus mettre en pieces Malherbe.

Mais mon efprit, tremblant fur le choix de fes mots,
N'en dira jamais un, s'il ne tombe à propos,
Et ne fauroit fouffrir, qu'une phrase infipide
Vienne à la fin d'un vers remplir la place vide.
Ainfi recommençant un ouvrage vingt fois,
Si j'écris quatre mots, j'en effacerai trois.

Maudit foit le premier, dont la verve insensée
Dans les bornes d'un vers renferma fa pensée,
Et donnant à fes mots une étroite prifon,
Voulut avec la Rime enchaîner la Raifon.
Sans ce métier, fatal au repos de ma vie,
Mes jours pleins de loifir couleroient sans envie,
Je n'aurois qu'à chanter, rire, boire d'autant;
Et comme un gras Chanoine, à mon aife, & content,
Paffer tranquillement, fans fouci, fans affaire,
La nuit à bien dormir, & le jour à rien faire.
Mon cœur exempt de foins, libre de paffion,
Sait donner une borne à fon ambition :
Et fuyant des grandeurs la présence importune,
Je ne vais point au Louvre adorer la fortune.
Et je ferois heureux, fi, pour me confumer,
Un deftin envieux ne m'avoit fait rimer.

Mais depuis le moment que cette frénéfie,
De fes noires vapeurs troubla ma fantaisie,
Et qu'un Démon jaloux de mon contentement,
M'infpira le deffein d'écrire poliment:

Tous les jours, malgré moi, cloué fur un ouvrage,
Retouchant un endroit, effaçant une page,
Enfin passant ma vie en ce trifte métier,
J'envie en écrivant le fort de Pelletier.
Bienheureux Scudéri dont la fertile plume

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Peut tous les mois fans peine enfanter un volume!
Tes écrits, il eft vrai, fans art & languiffans
Semblent être formés en dépit du bon fens :
Mais ils trouvent pourtant, quoi qu'on en puiffe dire,
Un Marchand pour les vendre, & des fots pour les lire.
Et quand la Rime enfin fe trouve au bout des Vers,
Qu'importe que le refte y foit mis de travers ?
Malheureux mille fois celui dont la manie
Veut aux regles de l'art affervir fon génie!
Un fot en écrivant fait tout avec plaifir:
Il n'a point en fes vers l'embarras de choisir,
Et toujours amoureux de ce qu'il vient d'écrire,
Ravi d'étonnement en foi-même il s'admire.
Mais un efprit fublime en vain veut s'élever
A ce degré parfait qu'il tâche de trouver
Et toujours mécontent de ce qu'il vient de faire,
Il plaît à tout le monde, & ne sauroit se plaire.
Et tel, dont en tous lieux chacun vante l'efprit,
Voudroit pour fon repos n'avoir jamais écrit.

Toi donc, qui vois les maux où ma Muse s'abîme, De grace, enfeigne-moi l'art de trouver la Rime: Ou, puifqu'enfin tes foins y feroient fuperflus, Moliere, enfeigne-moi l'art de ne rimer plus.

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