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LA HAYE.Chez AVAN DOLE

DIALOGUES

DES MORTS.

Par Mr. DE FONTENELLE,

de l'Académie Françoife.

Troifiéme Edition augmentée.

A LA HAYE,

Chez ANTOINE VAN DOLE.

M. DCC. XXXVI

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AUX

CHAMPS ELISIENS.

ILLUSTR

LLUSTRE MORT,

left bien jufte qu'après avoir pris une idée qui vous apartient, je vous en rende quelque for te d'hommage. L'Auteur dont on a tire le plus de fecours dans un Livre, eft le vrai Héros de l'Epitre Dédicatoire; c'eft lui dont on peut publier les louanges avec fincérité, & qu'on doit choifir pour Protecteur. Peut-être on trouvera que j'ai été bien hardi d'avoir ofé travailler fur votre Plan, mais il me femble que je l'eufSe été encore davantage, fi j'euffe travaillé sur un Plan de mon imagination. J'ai quelque lieu d'éfpérer que le deffein, qui eft de vous, fera passer les chofes qui font de moi; & j'ofe vous dire, que fi par hazard mes Dialogues avoient un peu de fuccès, ils vous feroient plus d'honneur que les votres même ne vous en ont fait, puisqu'on verroit que cette idée eft affez agréable, pour n'avoir pas befoin d'être bien exécutée. J'ai fait tant de fond fur elle, que j'ai cru qu'une partie m'en pourroit fuffire. J'ai fupprimé Pluton, Caron, Cerbere, & tout ce qui eft ufé dans les Enfers. Que je fuis fâché que vous aiez épuisé toutes ces belles matières de l'égalité des Morts, du régret qu'ils ont à la vie, de la fauffe fermeté que les Philofophes affectent de faire paroître en mou* 3

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rant, du ridicule malheur de ces jeunes Gens qui meurent avant les Vieillards dont ils croioient bériter, & à qui ils faifoient la cour! Mais après tout, puisque vous aviez inventé ce deffein, il étoit raisonnable que vous en priffiez ce qu'il y avoit de plus beau. Du moins, j'ai táché de vous imiter dans la fin que vous vous étiez propofée. Tous vos Dialogues renferment leur Morale, & j'ai fait moralifer tous mes Morts; autrement ce n'eût pas été la peine de les faire parler; des Vivans auroient fuffi pour dire des chofes inutiles. De plus, il y a cela de commode, qu'on peut fuppofer que les Morts font Gens de grande réflexion, tant à cause de leur expérience, que de leur lifir; & on doit croire, pour leur honneur, qu'ils penfent un peu plus qu'on ne fait d'ordinaire pendant la vie. Ils raisonnent mieux que nous des chofes d'ici haut, parce qu'ils les régardent avec plus d'indifférence & plus de tranquillité; & ils veulent bien en raisonner, parce qu'ils y prennent un refte d'intérêt. Vous avez fait la plupart de leurs Dialogues fi courts, qu'il paroit que vous n'avez pas cru qu'ils fuffent de grands Parleurs, & je fuis entré aisément dans votre pensée. Comme les morts ont bien de l'efprit, ils doivent voir bientôt le bout de toutes les matières. Je croirois même fans peine qu'ils devroient être affez éclairez, pour convenir de tout les uns avec les autres, & par conféquent pour ne fe parler prefque jamais; car il me semble qu'il n'apartient de difputer qu'à nous autres ignorans, qui ne découvrons pas la vérité; de même qu'il n'apartient qu'à des Aveugles qui

ne

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