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chofes qui valent bien votre Chanson; car enfin cette obscurité qu'on m'a réprochée, & qui fe trouve peut-être dans quelques-uns de mes Livres, ne se trouve nullement dans ce que j'ai écrit fur cette matière; & tout le monde a avoüé qu'il n'y avoit rien de plus beau ni de plus clair que ce que j'ai dit des paffions.

ANACREON.

Quel abus! Il n'eft pas queftion de définir les paffions avec méthode, comme on dit que vous avez fait, mais de les vaincre. Les Hommes donnent volontiers à la Philofophie leurs maux à confidérer, mais non pas à guérir; & ils ont trouvé le fecret de faire une Morale qui ne les touche pas de plus près que l'Aftronomie Peut-on s'empêcher de rire, en voïant des Gens, qui pour de l'argent, préchent le mépris des richeffes, & des Poltrons qui fe battent fur la définition du Magnanime?

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E

HOMER E.

N vérité toutes les Fables, que vous venez de me réciter, ne peuvent être affez admirées. Il faut que vous aïez eu beaucoup d'art pour déguifer ainfi, en petits Contes, les inftructions les plus importantes que la Morale puiffe donner, & pour couvrir vos penfées fous des images auffi juftes & auffi familieres que celles-là.

ESO PE.

Il m'eft bien doux d'être loüé fur cet Art, par vous, qui l'avez fi bien enten

du.

HOMER E.

Moi! je ne m'en fuis jamais piqué.

B

Eso

ESOPE.

Quoi! n'avez-vous pas prétendu cacher de grands mystères dans vos Ouvra

ges?

HOMER E.

Hélas! point du tout.

ESO PE.

Cependant tous les Sçavans de mon tems le difoient; il n'y avoit rien dans l'Iliade, ni dans l'Odyffée, à quoi ils ne donnaffent des allégories les plus belles du monde. Ils foûtenoient que tous les fecrets de la Théologie, de la Phyfique de la Morale, & des Mathématiques même, étoient renfermez dans ce que Vous aviez écrit. Véritablement il y avoit quelque difficulté à les dévéloper; où l'un trouvoit un fens moral, l'autre en trouvoit un phyfique; mais à cela près, ils convenoient que vous aviez tout sçû, & tout dit à qui le comprenoit bien.

HOMER E.

Sans mentir, je m'étois bien douté que certaines Gens ne manqueroient point d'entendre fineffe, où je n'en avois point entendu. Comme il n'eft rien tel que de prophetifer des chofes éloignées en attendant l'événement: il n'eft rien telauf

que de débiter des Fables, en attendant l'Allégorie.

fi

ESO PE.

Il faloit que vous fuffiez bien hardi. pour vous réposer sur vos Lecteurs du foin de mettre des Allégories dans vos Poëmes. Où en euffiez-vous été, fi on les eût pris au pied de la lettre?

HOMER E.

Hé bien, ce n'eût pas été un grand malheur.

ESO PE.

Quoi! ces Dieux qui s'éftropient les uns les autres; ce Foudroïant Jupiter, qui dans une Affemblée de Divinitez ménacé l'Augufte Junon de l'abattre; ce Mars, qui étant bleffé par Diomede, crie, dites-vous, comme neuf-ou dix-mille hommes, & n'agit pas comme un feul, (car au lieu de mettre tous les Grecs en pieces, il s'amufe à s'aller plaindre de fa bleffure à Jupiter) tout cela eût été bon fans Allégorie?

HOMER E. Pourquoi non? Vous vous imaginez que l'efprit humain ne cherche que le vrai; détrompez-vous. L'efprit humain & le faux fympatifent extrêmeB 2

ment.

ment. Si vous avez la vérité à dire, vous ferez fort bien de l'envéloper dans des Fables, elle en plaira beaucoup plus. Si vous voulez dire des Fables, elles pourront bien plaire fans contenir aucune vérité. Ainfi le vrai a bésoin d'emprunter la figure du faux pour être agréablement reçû dans l'efprit humain ; mais le faux y entre bien fous fa propre figure, car c'eft le lieu de fa naiffance & fa demeure ordinaire, & le vrai y eft étranger. Je vous dirai bien plus. Quand je me fuffe tué à imaginer des Fables allégoriques, il eût bien pû arriver que la plupart des Gens auroient pris la Fable, comme une chofe qui n'eût point trop été hors d'apparence, & auroient laiffé-là l'Allégorie; & en effet, vous devez fçavoir que mes Dieux, tels qu'ils font, & tous mystères à part, n'ont point été trouvez ridicules.

ESO PE,

Cela me fait trembler. Je crains furieufement que l'on ne croie que les bêtes aïent parlé comme elles font dans mes Apologues.

HOMER E.

Voilà une plaifante peur.

Eso

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