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sement la Nature n'a pas fait tout le monde capable de n'y rien entendre.

PARACEL SE.

Mais vous qui décidez avec tant d'autorité, quel métier avez-vous donc fait pendant votre vie?

MOLIER E.

Un métier bien différent du votre. Vous vez étudié les vertus des Génies; & moi, j'ai étudié les fottifes des Hommes.

PARACELSE.

Voilà une belle étude. Ne fçait-on pas bien que les Hommes font fujets à faire affez de fottifes?

MOLIERE.

On le fçait en gros, & confufément, mais il en faut venir aux détails, & alors on eft furpris de l'étendue de cette fcien

ce....

PARACELSE.

Et à la fin quel ufage en faifiez-vous?
MOLIERE.

J'affemblois dans un certain Lieu le plus grand nombre de Gens que je pou vois,& là, je leur faifois voir qu'ils étoient tous des fots.

PARA CE LS E..

11 faloit de terribles difcours pour

leur

leur perfuader une pareille vérité. MOLIERE.

Rien n'est plus facile. On leur prouve leurs fottifes, fans emploïer de grands tours d'éloquence ni des raisonnemens bien méditez. Ce qu'ils font eft fi ridicule, qu'il ne faut qu'en faire autant devant eux, & vous les voïez auffitôt cre ver de rire.

PARACELSE.

Je vous entens, vous étiez Comédien. Pour moi, je ne conçois pas le plaifir qu'on prend à la Comédie. On y varire des mœurs qu'elle repréfente; & que ne rit-on des mœurs mêmes?

MOLIERE.

Pour rire des chofes du monde, il faut en quelque façon en être déhors, & la Comédie vous en tire. Elle vous donne tout en Spectacle, comme fi vous n'y a viez point de part.

PARA CEL SE. ¡Mais on rentre auffitôt dans ce tout dont on s'étoit moqué, & on recommen ce à en faire partie.

MOLIER E.

N'en doutez pas. L'autre jour en me divertiffant, je fis ici une Fable fur ce

fujet

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fujet. Un jeune Oifon voloit, avec la mauvaise grace qu'ont tous ceux de fon efpece quand ils volent, & pendant ce vol d'un moment, qui ne l'élévoit qu'à un pied de terre, il infultoit au refte de la baffecourt. Malheureux Animaux, difoitil je vous vois ou deffous de moi,& vous ne fçavez pas fendre ainfi les airs! Lamoquerie fût courte; l'Oifon rétomba dans le même tems.

PARACELSE.

A quoi donc fervent les réflexions que la Comédie fait faire, puisqu'elles reffemblent au vol de cet Oifon, qu'au même inftant on rétombe dans les fottifes communes?

MOLIERE.

C'est beaucoup que de s'être moqué de foi; la Nature nous y a donné une merveilleufe facilité, pour nous empecher d'être la dupe de nous-mêmes. Combien de fois arrive-t-il que dans le tems qu'une partie de nous fait quelque chofe avec ardeur & avec empreffement, une autre partie s'en moque; & s'il en étoit béfoin même, on trouveroit encore une troifieme partie qui fe moqueroit des deux prémieres ensemble. Ne diroit-on pás

que

que l'Homme foit fait de pieces rappor tées ?

PARACELSE.

Je ne vois pas qu'il y ait matière fur tout cela d'exercer beaucoup son esprit. Quelques légeres réflexions, quelques plaifanteries, fouvent mal-fondées méritent pas une grande éftime, mais quels efforts de méditation ne faut-il pas faire pour traiter des fujets plus rélévez?

MOLIERE.

ne

Vous revenez à vos Génies, & moi je ne connois que mes Sots. Cependant, quoique je n'aïe jamais travaillé que fur ces fujets fi expolez aux yeux de tout le monde, je puis vous prédire que mes Comédies vivront plus que vos fublimes Ouvrages. Tout eft fujet aux changemens de la mode; les productions de l'efprit ne font pas au-deffus de la dettinée des Habits. J'ai vû, je ne fçais combien de Livres, & de genres d'écrire, enterrez avec leurs Auteurs, ainfi que chez de certains Peuples on enterre avec les Morts, les chofes qui leur ont été les plus précieuses pendant leur vie. Je connois parfaitement quelles peuvent être les révolutions de l'Empire des LetK

tres,

tres, & avec tout cela, je garantis la durée de mes Pieces. J'en fçais bien la raifon: Qui veut peindre pour l'immortalité, doit peindre des Sots.

DIALOGUE III.

MARIE STUART,

DAVID RICCIO.

D. RICCIO.

On, je ne me consolerai jamais de

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ma mort.

M.

STUART. Il me femble cependant qu'elle fût affez belle pour un Muficien. Il falut que les principaux Seigneurs de la Cour d'Ecoffe, & le Roi mon Mari lui-même, confpiraffent contre toi, & l'on n'a jamais pris plus de méfures, ni fait plus de façon pour faire mourir aucun Prince.

D.

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