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l'indis

La pluspart des accords de nos querelles du four d'huy sont honteux et menteurs : nous ne et trahischerchons qu'à sauver les apparences, sons ce pendant et desadvouons nos vrayes intentions; nous plastrons le faict. Nous sçavons et les comment nous l'avons dict et en quel sens, assistants le sçavent, et nos amis, à qui nous avons voulu faire sentir nostre advantage : c'est aux despens de nostre franchise, et de l'honneur de nostre courage, que nous desadvouons nostre pensee, et cherchons des connilieres' en la faulseté, pour nous accorder; nous nous desmentons nous mesmes, pour sauver un desmentir que nous avons donné à un aultre. Il ne fault pas regarder si vostre action ou vostre parole peult avoir aultre interpretation; c'est vostre vraye et sincere interpretation qu'il fault meshuy maintenir, quoy qu'il vous couste. On parle à vostre vertu et à vostre conscience; ce ne sont parties à mettre en masque : laissons ces vils moyens et ces expedients à la chicane du palais. Les excuses et reparations que ie veoy faire touts les iours pour purger cretion, me semblent plus laides que l'indiscretion mesme. Il vauldroit mieulx l'offenser encores un coup, que de s'offenser soy mesme en faisant telle amende à son adversaire. Vous l'avez bravé, esmeu de cholere; et vous l'allez rappaiser et flatter en vostre froid et meilleur sens : ainsi vous vous soubmettez plus que vous ne vous estiez advancé. Ie ne treuve aulcun dire si vicieux à un gentilhomme, comme le desdire me semble luy estre honteux, quand c'est un desdire qu'on luy arrache par auctorité; d'autant que l'opiniastreté luy est plus excusable que la pusillanimité. Les passions me sont autant aysees à eviter, comme elles me sont difficiles à moderer: exscinduntur facilius anima, quam temperantur. Qui ne peult attaindre à cette noble impassibilité stoïque, qu'il se sauve au giron de cette mienne stupidité poie pulaire ce que ceulx là faisoient par vertu, me duis à le faire par complexion. La moyenne region loge les tempestes: les deux extremes, des hommes philosophes et des hommes ruraux, current en tranquillité et en bonheur :

con

Felix, qui potuit rerum cognoscere causas,
Atque metus omnes et inexorabile fatum
Subiecit pedibus, strepitumque Acherontis avari!
Fortunatus et ille, deos qui novit agrestes,
Panaque, Silvanumque senem, Nymphasque sorores 3!

Des subterfuges, des échappatoires, comme un connil ou lapin. Conniller, chercher des échappatoires. NICOT.

2 On les arrache plus ayseement de l'ame qu'on ne les bride. --Cette traduction est de Montaigne : elle se trouve sur l'exemplaire corrigé de sa main; mais il l'a effacée. N.

3 Heureux le sage instruit des lois de l'univers,

De toutes choses les naissances sont foibles et tendres: pourtant fault il avoir les yeulx ouverts aux commencements; car comme lors, en sa petitesse, on n'en descouvre pas le dangier; quand on n'en descouvre plus le remede. il est accreu, I'eusse rencontré un million de traverses touts les iours plus mal aysees à digerer, au cours de l'ambition, qu'il ne m'a esté mal aysé d'arrester l'inclination naturelle qui m'y portoit : Iure perhorrui

Late conspicuum tollere verticem '.

2

Toutes actions publicques sont subiectes à incertaines et diverses interpretations; car trop de testes en iugent. Aulcuns disent de cette mienne occupation de ville (et ie suis content d'en parler un mot, non qu'elle le vaille, mais pour servir de monstre de mes mœurs en telles choses), que ie m'y suis porté en homme qui s'esmeut trop laschement, et d'une affection languissante; et ils ne sont pas du tout esloingnez d'apparence. l'essaye à tenir mon ame et mes pensees en repos, quum semper natura, tum etiam ætate iam quietus ; et si elles se desbauchent par fois à quelque impression rude et penetrante, c'est à la verité sans mon conseil. De cette langueur naturelle on ne doibt pourtant tirer aulcune preuve d'impuissance (car faulte de soing, et faulte de sens, ce sont deux choses), et moins de mescognoissance et d'ingratitude envers ce peuple, qui employ a touts les plus extremes moyens qu'il eust en ses mains à me gratifier, et avant m'avoir cogneu, et aprez; et feit bien plus pour moy, en me redonnant ma charge, qu'en me la donnant premierement. Ie luy veulx tout le bien qui se peult; et certes, l'occasion y eust esté, il n'est rien que i'eusse espargné pour son service. Ie me suis esbranlé pour luy, comme ie fois pour moy. C'est un bon peuple, guerrier et genereux, capable pourtant d'obeïssance et discipline, et de servir à quelque bon usage, s'il y est bien guidé. Ils disent aussi cette mienne vacation s'estre passee sans marque et sans

Dont l'âme inébranlable affronte les revers,
Qui regarde en pitié les fables du Ténare,
Et s'endort au vain bruit de l'Achéron avare!
Mais trop heureux aussi qui suit les douces lois
Et du dieu des troupeaux, et des nymphes des bois!
VING. Georg. II, 490, trad. par Delille.

si

1 C'est avec raison que j'ai toujours craint d'élever la tête et d'attirer les regards. HOR. Od. III, 16, 18.

2 Il veut parler de sa mairie de Bordeaux, à laquelle il fut élu en 1581, pendant son séjour en Italie, et que lui conférérent deux fois de suite les suffrages de ses concitoyens. On peut voir ce qu'il en a déjà dit au commencement de ce chapitre. J. V. L.

3 Toujours tranquille de ma nature, et plus encore à présent par un effet de l'àge. Q. CIC. de Petit. Consulat. c. 2.

trace. Il est bon! on accuse ma cessation en un temps où quasi tout le monde estoit convaincu de trop faire. I'ay un agir trepignant, où la volonté me charie '; mais cette poincte est ennemie de perseverance. Qui se vouldra servir de moy, selon moy, qu'il me donne des affaires où il face besoing de vigueur et de liberté, qui ayent une conduicte droicte et courte, et encores hazardeuse; i'y pourray quelque chose: s'il la fault longue, subtile, laborieuse, artificielle et tortue, il fera mieulx de s'addresser à quelque aultre. Toutes charges importantes ne sont pas difficiles : i'estoy preparé à m'embesongner plus rudement un peu, s'il en eust esté grand besoing; car il est en mon pouvoir de faire quelque chose plus que ie ne fois, et que ie n'ayme à faire. Ie ne laissay, que ie sçache, aulcun mouvement que le debvoir requist en bon escient de moy. l'ay facilement oublié ceulx que l'ambition mesle au debvoir et couvre de son tiltre; ce sont ceulx qui le plus souvent remplissent les yeulx et les aureilles, et contentent les hommes : non pas la chose, mais l'apparence les paye; s'ils n'oyent du bruict, il leur semble qu'on dorme. Mes humeurs sont contradictoires aux humeurs bruyantes; l'arresteroy bien un trouble sans me troubler, et chastierois un desordre sans alteration: ay ie besoing de cholere et d'inflammation? ie l'emprunte, et m'en masque. Mes mœurs sont mousses, plustost fades qu'aspres. Ie n'accuse pas un magistrat qui dorme, pourveu que ceulx qui sont soubs sa main dorment quand et luy : les loix dorment de mesme. Pour moy, ie loue une vie glissante, sombre et muette; neque submissam et abiectam, neque se efferentem: ma fortune le veult ainsi. Ie suis nay d'une famille qui a coulé sans esclat et sans tumulte, et de longue memoire particulierement ambitieuse de preud'hommie.

Nos hommes sont si formez à l'agitation et ostentation, que la bonté, la moderation, l'equabilité, la constance, et telles qualitez quietes et obscures, ne se sentent plus : les corps rabotteux se sentent; les polis se manient imperceptiblement la maladie se sent; la santé, peu ou point; ny les choses qui nous oignent, au prix de celles qui nous poignent. C'est agir pour sa reputation et proufit particulier, non pour le bien,

:

C'est-à-dire, partout où la volonté m'entraine, je suis vif, ardent, empressé. Dans l'édition in-4° de 1588, fol. 451, il y avait : « l'ay un agir esmeu, où la volonté me tire. » On voit que Montaigne a trouvé ces expressions trop faibles pour sa pensée. J. V. L.

2 Également éloignée de la bassesse et d'un insolent orgueil. CIC. de Offic. I, 34.

de remettre à faire en la place ce qu'on peult faire en la chambre du conseil ; et en plein midy, ce qu'on eust faict la nuict precedente; et d'estre ialoux de faire soy mesme ce que son compaignon faict aussi bien : ainsi faisoient aulcuns chirurgiens de Grece les operations de leur art, sur des eschaffauts à la vue des passants, pour en acquerir plus de practique et de chalandise. Ils iugent que les bons reiglements ne se peuvent entendre qu'au son de la trompette. L'ambition n'est pas un vice de petits compaignons, et de tels efforts que les nostres. On disoit à Alexandre : « Vostre pere vous lairra une grande domination, aysee et pacifique; » ce garson estoit envieux des victoires de son pere, et de la iustice de son gouvernement; il n'eust pas voulu iouyr l'empire du monde mollement et paisiblement'. Alcibiades, en Platon, ayme mieux mourir ieune, beau, riche, noble, sçavant, tout cela par excellence, que de s'arrester en l'estat de cette condition2 : cette maladie est, à l'adventure, excusable en une ame si forte et si plaine. Quand ces amettes 3 naines et chestifves s'en vont embabouinant, et pensent espandre leur nom, pour avoir iugé à droict un affaire, ou continué l'ordre des gardes d'une porte de ville, ils en monstrent d'autant plus le cul, qu'ils esperent en haulser la teste. Ce menu bien faire n'a ne corps ne vie; il va s'esvanouissant en la premiere bouche, et ne se promeine que d'un carrefour de rue à l'aultre. Entretenez en hardiement vostre fils et vostre valet, comme cet ancien, qui n'ayant aultre auditeur de ses louanges, et consent 5 de sa valeur, se bravoit avecques sa chambriere, en s'escriant : « O Perrette, le galant et suffisant homme de maistre que tu as! » Entretenez vous en vous mesme, au pis aller; comme un conseiller de ma cognoissance, ayant desgorgé une batelee de paragraphes, d'une extreme contention et pareille ineptie, s'estant retiré de la chambre du conseil au pissoir du palais, feut ouy marmotant entre les dents, tout conscientieuse

3

' Apparemment Montaigne fait allusion ici à ce que Plutarque a remarqué dans la Vie d'Alexandre, a que toutes les fois qu'il venoit nouvelles que Philippe avoit pris aulcune ville de toit point fort ioyeux de l'entendre, ains disoit à ses egaulx renom, ou gaigné quelque grosse bataille, Alexandre n'esen aage: Mon pere prendra tout, enfants, et ne me laissera rien de beau ni de magnifique à faire et à conquerir avecques vous. » Ch. 2 de la traduction d'Amyot. C.

2 C'est ce que Socrate lui reproche dans le premier Alcibiade, une ou deux pages après le commencement. C. 3 Amette, petite ȧme. COTCRAVE.

4 Se faisant illusion à elles-mêmes. — S'embabouiner, c'est se tromper soi-même, selon Cotgrave.

5 Et qui fut consentant, qui convint, qui fût témoin de;

etc. E. J.

6 Batelce, navis onus (la charge d'un bateau ). MONET.

ment : « Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam 1. » Qui ne peult d'ailleurs, si se paye de sa bourse.

La renommee ne se prostitue pas à si vil compte: les actions rares et exemplaires, à qui elle est deue, ne souffriroient pas la compaignie de cette foule innumerable de petites actions iournalieres. Le marbre eslevera vos tiltres tant qu'il vous plaira, pour avoir faict rapetasser un pan de mur, ou descrotter un ruisseau publicque; mais non pas les hommes qui ont du sens. Le bruict ne suit pas toute bonté, si la difficulté et estrangeté n'y est ioincte voire ny la simple estimation n'est deue à nulle action qui naist de la vertu, selon les stoïciens; et ne veulent qu'on sçache seulement gré à celuy qui, par temperance, s'abstient d'une vieille chassieuse. Ceulx qui ont cogneu les admirables qualitez de Scipion l'Africain, refusent la gloire que Panætius luy attribue d'avoir esté abstinent de dons, comme gloire non tant sienne, comme de son siecle'. Nous avons les voluptez sortables à nostre fortune; n'usurpons pas celles de la grandeur : les nostres sont plus naturelles; et d'autant plus solides et seures, qu'elles sont plus basses. Puis que ce n'est par conscience, au moins par ambition, refusons l'ambition: desdaignons cette faim de renommee et d'honneur, basse et belistresse3, qui nous le faict coquiner 4 de toute sorte de gents (quæ est ista laus, quæ possit e macello peti 5?) par moyens abiects, et à quelque vil prix que ce soit : c'est deshonneur | d'estre ainsin honnoré. Apprenons à n'estre non plus avides, que nous sommes capables de gloire. De s'enfler de toute action utile et innocente, c'est à faire à gents à qui elle est extraordinaire et rare : ils la veulent mettre pour le prix qu'elle leur couste. A mesure qu'un bon effect est plus esclatant, ie rabbats de sa bonté le souspeçon en quoy i'entre, qu'il soit produict plus pour estre esclatant, que pour estre bon : estalé, il est à demy vendu. Ces actions là ont bien plus de grace qui eschappent de la main de l'ouvrier nonchalamment et sans bruict, et que quelque honneste homme choisit aprez, et releve de l'umbre, pour

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les poulser en lumiere à cause d'elles mesmes. Mihi quidem laudabiliora videntur omnia, quæ sine venditatione et sine populo teste fiunt, dict le plus glorieux homme du monde.

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Ie n'avoy qu'à conserver et durer2, qui sont effects sourds et insensibles : l'innovation est de grand lustre; mais elle est interdicte en ce temps, où nous sommes pressez et n'avons à nous deffendre que des nouvelletez. L'abstinence de faire est souvent aussi genereuse que le faire ; mais elle est moins au iour 3, et ce peu que ie vaulx est quasi tout de cette espece. En somme, les occasions en cette charge ont suyvy ma complexion; dequoy ie leur sçay tres bon gré: est il quelqu'un qui desire estre malade pour veoir son medecin en besongne ? et fauldroit il pas fouetter le medecin qui nous desireroit la peste, pour mettre son art en practique? le n'ay point eu cette humeur inique et assez commune, de desirer que le trouble et la maladie des affaires de cette cité rehaulsast et honnorast mon gouvernement: i'ay presté de bon cœur l'espaule à leur aysance et facilité. Qui ne me vouldra sçavoir gré de l'ordre, de la doulce et muette tranquillité qui a accompaigné ma conduicte; au moins ne peut il me priver de la part qui m'en appartient, par le tiltre de ma bonne fortune. Et ie suis ainsi faict, que i'ayme autant estre heureux que sage, et debvoir mes succez purement à la grace de Dieu, qu'à l'entremise de mon operation. I'avois assez disertement publié au monde mon insuffisance en tels maniements publicques : i'ay encores pis que l'insuffisance; c'est qu'elle ne me desplaist gueres, et que ie ne cherche gueres à la guarir; veu le train de vie que i'ay desseigné4. Ie ne me suis, en cette entremise, non plus satisfaict à moy mesme; mais à peu prez i'en suis arrivé à ce que ie m'en estoy promis; et si, ay de beaucoup surmonté ce que l'en avoy promis à ceulx à qui l'avois à faire : car ie promets volontiers un peu moins de ce que ie puis et de ce que l'espere tenir. Ie m'asseure n'y avoir laissé ny offense, ny haine : d'y laisser regret et desir de moy, ie sçay à tout le moins bien cela, que ie ne l'ay pas fort affecté :

Mene huic confidere monstro!
Mene salis placidi vultum fluctusque quietos
Ignorare 5!

Pour moi, je trouve bien plus digne d'éloge ce qui se fait sans ostentation, et loin des yeux du peuple. Cic. Tusc. quæst. II, 26.

2 Et vivre, c'est-à-dire vivre en paix. J. V. L. 3 Moins brillante, moins en lumière. J. V. L.

4 Que j'ai eu dessein de suivre, que je me suis tracé. E. J.

5 Moi! que je me fie à ce monstre! que je me repose sur le calme apparent de cette mer perfide! VIRG. Enéide, V,

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CHAPITRE XI.

Des boiteux.

Il y a deux ou trois ans qu'on accourcit l'an de dix iours en France'. Combien de changements doibvent suyvre cette reformation! ce feut proprement remuer le ciel et la terre à la fois. Ce neantmoins, il n'est rien qui bouge de sa place; mes voysins treuvent l'heure de leurs semences, de leur recolte, l'opportunité de leurs negoces, les iours nuisibles et propices, au mesme point iustement où ils les avoient assignez de tout temps: ny l'erreur ne se sentoit en nostre usage, ny l'amendement ne s'y sent; tant il y a d'incertitude par tout! tant nostre appercevance est grossiere, obscure et obtuse! On dict que ce reiglement se pouvoit conduire d'une façon moins incommode, soubstrayant, à l'exemple d'Auguste, pour quelques annees, le iour du bissexte, qui, ainsi comme ainsin, est un iour d'empeschement et de trouble, iusques à ce qu'on feust arrivé à satisfaire exacment ce debte; ce que mesme on n'a pas faict par cette correction, et demeurons encores cn arrerages de quelques iours; et si, par mesme moyen, on pouvoit prouveoir à l'advenir, ordonnant qu'aprez la revolution de tel ou tel nombre d'annees, ce iour extraordinaire seroit tousiours eclipsé; si que nostre mescompte ne pourroit d'ores en avant exceder vingt et quatre heures. Nous n'avons aultre compte du temps que les ans : il y a tant de siecles que le monde s'en sert; et si, c'est une mesure que nous n'avons encores achevé d'arrester, et telle, que nous doubtons touts les iours quelle forme les aultres nations luy ont diversement donné, et quel en estoit l'usage. Quoy, ce que disent aulcuns, que les cieux se compriment vers nous en vieillissant, et nous iectent en incertitude des heures mesme et des iours, des mois? ce que dict Plutarque, qu'encores de son temps l'astrologie n'avoit sceu borner le mouvement de la lune : nous voylà bien accommodez pour tenir registre des choses passees!

et

Ie resvassoy presentement, comme ie fois souvent, sur ce, combien l'humaine raison est un

En 1582, le pape Grégoire XIII ayant remarqué que l'erreur de onze minutes qui se trouvait dans l'année julienne avait produit dix jours en plus, fit retrancher ces dix jours de l'année 1582; et au lieu du 5 octobre de cette année, on compta le 15. C'est ce qui fait appeler depuis cette manière de compter les années, année grégorienne, et le calendrier qui suit ce comput, calendrier grégorien, ou du nouveau style; tandis qu'on appelle calendrier du vieux style, le calendrier Julien, suivi encore par les Russes et par quelques autres peuples du rit grec. E. J.

a Questions romaines, c. 24. C.

instrument libre et vague. Ie veoy ordinairement que les hommes, aux faicts qu'on leur propose, s'amusent plus volontiers à en chercher la raison qu'à en chercher la verité. Ils passent par dessus les presuppositions, mais ils examinent curieusement les consequences; ils laissent les choses, et courent aux causes. Plaisants causeurs! La cognoissance des causes touche seulement celuy qui a la conduicte des choses; non à nous, qui n'en avons que la souffrance, et qui en avons l'usage parfaictement plein et accomply selon nostre besoing, sans en penetrer l'origine et l'essence; ny le vin n'en est plus plaisant à celuy qui en sçait les facultez premieres. Au contraire, et le corps et l'ame interrompent et alterent le droict qu'ils ont de l'usage du monde et d'eulx mesmes, y meslants l'opinion de science les effects nous touchent, mais les moyens nullement. Le determiner et le distribuer appartient à la maistrise et à la regence; comme à la subiection et apprentissage, l'accepter. Reprenons nostre coustume. Ils commencent ordinairement ainsi : « Comment est ce que cela se faict?» «< Mais, se faict il? » fauldroit il dire. Nostre discours' est capable d'estoffer cent aultres mondes, et d'en trouver les principes et la contexture; il ne luy fault ny matiere ni base : laissez le courre, il bastit aussi bien sur le vuide que sur le plein, et de l'inanité que de matiere; Dare pondus idonea fumo 2.

frivoles

:

Ie treuve quasi par tout qu'il fauldroit dire : response: mais ie n'ose; car ils crient que c'est << Il n'en est rien; » et employeroy souvent cette une desfaicte produicte de foiblesse d'esprit et d'ignorance, et me fault ordinairement batteler 3, par compaignie, à traicter des subiects et contes la verité, il est un peu rude et querelleux de nier que ie mescroy entierement: ioinct qu'à tout sec une proposition de faict; et peu de gents faillent, notamment aux choses mal aysees à persuader, d'affermer qu'ils l'ont veue, ou d'alleguer des tesmoings desquels l'auctorité arreste nostre contradiction. Suyvant cet usage, nous sçavons les fondements et les moyens de mille choses qui ne feurent oncques; et s'escarmouche le monde en mille questions desquelles et le Pour et le Contre est fauls. Ita finitima sunt falsa veris.... ut in præcipitem locum non debeat se sapiens committere4.

1 Notre raisonnement.

2 Tout prêt à donner du poids à de la fumée. PERSE, V, 20. 3 Faire le bateleur, de compagnie. C.

4 Le faux approche si fort du vrai.... que le sage ne doit pas s'engager dans un défilé si périlleux. Cic. Acad. II, 21.

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rameine, et qui me demande la verité nue et crue, ie quitte soubdain mon effort, et la luy donne sans exageration, sans emphase et remplissage. La parole naïfve et bruyante, comme est la mienne ordinaire, s'emporte volontiers à l'hyperbole. Il n'est rien à quoy communement les hommes soyent plus tendus, qu'à donner voye à leurs opinions où le moyen ordinaire nous fault, nous y adioustons le commandement, la force, le fer et le feu. Il y a du malheur d'en estre là, que la meilleure touche de la verité, ce soit la multitude des croyants, en une presse où les fols surpassent de tant les sages en nombre. Quasi vero quidquam sit tam valde, quam nihil sapere, vulgare1. Sanitatis patrocinium est, insanientium turba. C'est chose difficile de resouldre3 son iu

miere persuasion, prinse du subiect mesme, saisit les simples; de là elle s'espand aux habiles, soubs l'auctorité du nombre et antiquité des tesmoignages. Pour moy, de ce que ie n'en croiroy pas un, ie n'en croiroy pas cent uns; et ne iuge pas les opinions par les ans.

Il y a peu de temps que l'un de nos princes, en qui la goutte avoit perdu un beau naturel et une alaigre composition, se laissa si fort persuader au rapport qu'on faisoit des merveilleuses

I'ay veu la naissance de plusieurs miracles de mon temps encores qu'ils s'estouffent en naissant, nous ne laissons pas de preveoir le train qu'ils eussent prins, s'ils eussent vescu leur aage; car il n'est que de trouver le bout du fil, on en devide tant qu'on veult; et y a plus loing de rien à la plus petite chose du monde, qu'il n'y a de celle là iusques à la plus grande. Or les premiers qui sont abbruvez de ce commencement d'estrangement contre les opinions communes : la pregeté, venants à semer leur histoire, sentent, par les oppositions qu'on leur faict, où loge la difficulté de la persuasion, et vont calfeutrant cet endroict de quelque piece faulse: oultre ce que, insita hominibus libidine alendi de industria rumores1, nous faisons naturellement conscience de rendre ce qu'on nous a presté, sans quelque usure et accession de nostre creu. L'erreur particuliere faict premierement l'erreur publicque; et à son tour aprez, l'erreur publicque faict l'erreur particuliere. Ainsi va tout ce bastiment, s'es-operations d'un presbtre qui, par la voye des toffant et formant de main en main; de maniere que le plus esloingné tesmoing en est mieulx instruict que le plus voysin; et le dernier informé, mieulx persuadé que le premier. C'est un progrez naturel: car quiconque croid quelque chose, estime que c'est ouvrage de charité de la persuader à un aultre; et pour ce faire, ne craint point d'adiouster, de son invention, autant qu'il veoid estre necessaire en son conte, pour suppleer à la resistance et au default qu'il pense estre en la conception d'aultruy. Moy mesme, qui fois singuliere conscience de mentir, et qui ne me soulcie gueres de donner creance et auctorité à ce que ie dis, m'apperceoy toutesfois, aux propos que i'ay en main, qu'estant eschauffé, ou par la resistance d'un aultre, ou par la propre chaleur de ma narration, ie grossis et enfle mon subiect par voix, mouvements, vigueur et force de paroles, et encores par extension et amplification, non sans interest de la verité naïfve; mais ie le fois en condition pourtant, qu'au premier qui me

Par la passion qui porte naturellement les hommes à donner cours à des bruits incertains. TITE-LIVE, XXVIII, 24. 2 Et quum singulorum error publicum fecerit, singulorum errorem facit publicus. SÉNÈQUE, Epist. 81.

paroles et des gestes, guarissoit toutes maladies, qu'il feit un long voyage pour l'aller trouver; et par la force de son apprehension, persuada et endormit ses iambes pour quelques heures, si qu'il en tira du service qu'elles avoient desapprins luy faire il y avoit long temps. Si la fortune eust laissé emmonceller cinq ou six telles adventures, elles estoient capables de mettre ce miracle en nature. On trouva, depuis, tant de simplesse et si peu d'art en l'architecte de tels ouvrages, qu'on le iugea indigne d'aulcun chastiement : comme si feroit on de la pluspart de telles choses, qui les recognoistroit en leur giste. Miramur ex intervallo fallentia 4 : nostre veue represente ainsi souvent de loing des images estranges, qui s'esvanouïssent en s'approchant; nunquam ad liquidum fama perducitur 5.

C'est merveille de combien vains commence

1 Comme s'il y avait rien de si commun que de mal juger des choses. CIC. de Divinat. II, 39.

2 Belle autorité pour la sagesse qu'une multitude de fous! S. AUGUST. de Civit. Dei, VI, 10.

3 D'avoir un jugement bien résolu, bien décidé. E. J. 4 Nous admirons les choses qui trompent par leur éloignement. SÉNÈQUE, Epist. 118.

5 Jamais la renommée ne se réduit à la vérité. QUINTECURCE, IX, 2.

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