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qu'il a de soy le bien vivre; » conformement à cet aultre: In virtute vere gloriamur; quod non contingeret, si id donum a deo, non a nobis haberemus. Cecy est aussi de Seneca: « Que le sage a la fortitude pareille à Dieu, mais en l'humaine foiblesse; par où il le surmonte'. » Il n'est rien si ordinaire que de rencontrer des traicts de pareille temerité; il n'y a aulcun de nous qui s'offense tant de se veoir apparier à Dieu, comme il faict de se veoir deprimer au reng des aultres animaulx : tant nous sommes plus ialoux de nostre interest, que de celuy de nostre createur!

sur

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Mais il fault mettre aux pieds cette sotte vanité, et secouer vifvement et hardiement les fondements ridicules sur quoy ces faulses opinions se bastissent. Tant qu'il pensera avoir quelque moyen et quelque force de soy, iamais l'homme ne recognoistra ce qu'il doibt à son maistre; il fera tousiours de ses œufs poules, comme on dict: il le fault mettre en chemise. Veoyons quelque notable exemple de l'effect de sa philosophie. Posidonius estant pressé d'une si douloureuse maladie qu'elle luy faisoit tordre les bras et grincer les dents, pensoit bien faire la figue à la douleur, si pour s'escrier contre elle : « Tu as beau faire, ne diray ie pas que tu sois mal3. » Il sent mesmes passions que mon laquay; mais il se brave, ce qu'il contient au moins sa langue soubs les loix de sa secte re succumbere non oportebat, verbis gloriantem1. Arcesilaus estant malade de la goutte, Carneades, qui le veint visiter, s'en retournoit tout fasché; il le rappella, et luy monstrant ses pieds et sa poictrine: « Il n'est rien venu de là icy,» luy dict il 5. Cettuy cy a un peu meilleure grace; car il sent avoir du mal, et en vouldroit estre despestré; mais de ce mal pourtant son cœur n'en est pas abbattu ny affoibly : l'aultre se tient en sa roideur, plus, ce crains ie, verbale qu'essentielle. Et Dionysius Heracleotes, affligé d'une cuison vehemente des yeulx, feut rengé à quitter ces resolutions stoïques 6. Mais quand la science feroit par effect ce qu'ils disent, d'esmousser et rabbattre l'aigreur des infortunes qui nous suyvent, que faict elle que ce que faict beaucoup plus purement l'ignorance, et plus evidemment? Le philosophe Pyrrho courant en mer le hazard

1 C'est avec raison que nous nous gloritions de notre vertu; ce qui ne serait point, si nous la tenions d'un dieu, et non pas de nous-mêmes. Cic. de Nat. deor. III,

2 SÉNÈQUE, Epist. 53, à la fin. C.

3 CIC. Tusc. quæst. II, 25.

36.

4 Faisant le brave en paroles, il ne fallait pas succomber en

effet. Cic. Tusc. quæst. II, 13.

5 CIC. de Fin. V, 51.

6 ID. ibid. 31; Tusc. II, 25. C

d'une grande tormente, ne presentoit à ceulx
qui estoient avecques luy à imiter, que la securité
d'un porceau qui voyageoit avecques eulx, re-
gardant cette tempeste sans effroy'. La philoso-
phie, au bout de ses preceptes, nous renvoie aux
exemples d'un athlete et d'un muletier, ausquels
on veoid ordinairement beaucoup moins de res-
sentiment de mort, de douleur et d'aultres in-
convenients, et plus de fermeté, que la science
n'en fournit oncques à aulcun qui n'y feust nay
et preparé de soy mesme par habitude naturelle3.
Qui faict qu'on incise et taille les tendres mem-
bres d'un enfant, et ceulx d'un cheval, plus aysee-
ment que les nostres, si ce n'est l'ignorance?
Combien en a rendu de malades la seule force de
l'imagination? Nous en veoyons ordinairement
se faire saigner, purger et medeciner, pour guarir
des maulx qu'ils ne sentent qu'en leur discours.
Lorsque les vrays maulx nous faillent, la science
nous preste les siens : « Cette couleur et ce teinct
vous presagent quelque defluxion catarrheuse;
cette saison chaulde vous menace d'une esmotion
fiebvreuse; cette couppeure de la ligne vitale de
vostre main gauche vous advertit de quelque no-
table et voysine indisposition; » et enfin elle s'en
addresse tout destrousseement 3 à la santé mesme:
« Cette alaigresse et vigueur de ieunesse ne peult
arrester en une assiette; il luy fault desrobber du
sang et de la force, de peur qu'elle ne se tourne
contre vous mesme. » Comparez la vie d'un homme
asservy à telles imaginations, à celle d'un labou-
reur se laissant aller aprez son appetit naturel,
mesurant les choses au seul sentiment present,
sans science et sans prognosticque, qui n'a du mal
que lorsqu'il l'a; où l'aultre a souvent la pierre
en l'ame avant qu'il l'ayt aux reins: comme s'il
n'estoit point assez à temps de souffrir le mal
lorsqu'il y sera, il l'anticipe par fantasie, et luy
court au devant. Ce que ie dis de la medecine se
peult tirer par exemple generalement à toute
science: de là est venue cette ancienne opinion
des philosophes 4, qui logeoient le souverain bien
à la recognoissance de la foiblesse de nostre iu-
gement. Mon ignorance me preste autant d'occa-
sion d'esperance que de crainte; et n'ayant aultre
reigle de ma santé que celle des exemples d'aul-
truy et des evenements que ie veoy ailleurs en
pareille occasion, i'en treuve de toutes sortes,

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conduict à la bestise? à cette rare aptitude aux exercices de l'ame, qui l'a rendu sans exercice et sans ame? I'eus plus de despit encores que de compassion, de le veoir à Ferrare en si piteux estat, survivant à soy mesme, mescognoissant et soy et ses ouvrages, lesquels, sans son sceu, et toutesfois à sa veue, on a mis en lumiere incorrigez et informes 1.

Voulez vous un homme sain, le voulez vous reiglé, et en ferme et seure posture? affublez le de tenebres, d'oysifveté et de pesanteur : il nous fault abbestir pour nous assagir, et nous esblouïr pour nous guider. Et si on me dict que la commodité d'avoir l'appetit froid et mousse aux douleurs et aux maulx, tire aprez soy cette incom

moins aigus et friands à la iouïssance des biens et des plaisirs; cela est vray : mais la misere de nostre condition porte que nous n'avons pas tant à iouyr qu'à fuyr, et que l'extreme volupté ne nous touche pas comme une legiere douleur; segnius homines bona quam mala sentiunt : nous ne sentons point l'entiere santé, comme la moindre des maladies;

Pungit

et m'arreste aux comparaisons qui me sont plus | rieuse et laborieuse queste des sciences, qui l'a favorables. Ie receoy la santé les bras ouverts, libre, plaine et entiere; et aiguise mon appetit à la iouyr, d'autant plus qu'elle m'est à present moins ordinaire et plus rare : tant s'en fault que ie trouble son repos et sa doulceur par l'amertume d'une nouvelle et contraincte forme de vivre. Les bestes nous monstrent assez combien l'agitation de nostre esprit nous apporte de maladies: ce qu'on nous dict de ceulx du Bresil, qu'ils ne mouroient que de vieillesse, on l'attribue à la serenité et tranquillité de leur air; ie l'attribue plustost à la tranquillité et serenité de leur ame, deschargee de toute passion, pensee et occupation tendue ou desplaisante; comme gents qui passoient leur vie en une admirable simplicité et ignorance, sans lettres, sans loy, sans roy, sans religion quelcon-modité, de nous rendre aussi, par consequent, que. Et d'où vient, ce qu'on veoid par experience, que les plus grossiers et plus lourds sont plus fermes et plus desirables aux executions amoureuses; et que l'amour d'un muletier se rend souvent plus acceptable que celle d'un gallant homme; sinon qu'en cettuy cy l'agitation de l'ame trouble sa force corporelle, la rompt et lasse, comme elle lasse aussi et trouble ordinairement soy mesme? Qui la desmeut, qui la iecte plus coustumierement à la manie, que sa promptitude, sa poincte, son agilité, et enfin sa force propre? Dequoy se faict la plus subtile folie, que de la plus subtile sagesse? Comme des grandes amitiez naissent des grandes inimitiez, des santez vigoreuses les mortelles maladies; ainsi des rares et vifves agitations de nos ames, les plus excellentes manies et plus destracquees ; il n'y a qu'un demy tour de cheville à passer de l'un à l'aultre. Aux actions des hommes insensez, nous veoyons combien proprement la folie convient avecques les plus vigoreuses operations de nostre ame. Qui ne sçait combien est imperceptible le voysinage d'entre la folie avecques les gaillardes eslevations d'un esprit libre, et les effects d'une vertu supreme et extraordinaire? Platon dict les melancholiques plus disciplinables et excellents : aussi n'en est il point qui ayent tant de propension à la folie. Infinis esprits se treuvent ruynez par leur propre force et soupplesse quel sault vient de prendre, de sa propre agitation et alaigresse, l'un des plus iudicieux, ingenieux, et plus formez à l'air de cette antique et pure poësie, qu'aultre poëte italien aye iamais esté ? n'a il pas dequoy sçavoir gré à cette sienne vivacité meurtriere? à cette clarté qui l'a aveuglé? à cette exacte et tendue apprehension de la raison, qui l'a mis sans raison? à la cu

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In cute vix summa violatum plagula corpus;
Quando valere nihil quemquam movet. Hoc iuvat unum,
Quod me non torquet latus, aut pes; cetera quisquam
Vix queat aut sanum sese, aut sentire valentem 3:

nostre bien estre, ce n'est que la privation d'es-
tre mal. Voylà pourquoy la secte de philosophie
qui a le plus faict valoir la volupté, encores l'a
elle rengée à la seule indolence. Le n'avoir point
de mal, c'est le plus avoir de bien que l'homme
puisse esperer, comme disoit Ennius,

Nimium boni est, cui nihil est mali 4; car ce mesme chatouillement et aiguisement qui se rencontre en certains plaisirs, et semble nous

1 Montaigne vit à Ferrare, en novembre 1580, le célèbre Torquato Tasso, l'auteur de la Jérusalem délivrée, enfermé dans l'hôpital Sainte-Anne au mois de mars 1579, et qui n'en beaucoup d'intérêt, il n'en dit rien dans le Journal de son voyage sortit qu'au mois de juillet 1586. Quoiqu'il en parle ici avec

en Italie, t. I, p. 228. Il se contente de faire mention d'une

effigie de l'Arioste, un peu plus plein de visage qu'il n'est en

ses livres. J. V. L.

2 Les hommes sont moins sensibles au plaisir qu'à la douleur. TITE-LIVE, XXX, 21.

3 Nous sentons vivement la piqûre qui nous effleure à peine, et nous ne sommes pas sensibles au plaisir de la santé. L'homme se félicite de n'avoir ni la pleurésie ni la goutte; mais à peine sait-il qu'il est sain et plein de vigueur. Stephani Boetiani poemata, au revers de la page 115, ligne II, etc. - Ces vers latins, qu'on a attribués à Ennius, sont tirés d'une satire latine d'Estienne de la Boetie, dont nous avons cité un passage dans les notes sur le chap. 27 du premier livre. C.

4 ENNIUS, ap. CIC. de Finib. II, 13.

Che ricordarsi il ben doppia la noia1.

De mesme condition est cet aultre conseil que la seulement le bonheur passé, et d'en effacer les philosophie donne, « De maintenir en la memoire si nous avions en nostre pouvoir la science de desplaisirs que nous avons soufferts 2; » comme l'oubly : et conseil duquel nous valons moins,

enlever au dessus de la santé simple et de l'in- | luy manque, elle veult user de ruse, et donner dolence; cette volupté actifve, mouvante, et ie un tour de soupplesse et de iambe, où la vigueur ne sçay comment cuysante et mordante, celle là du corps et des bras vient à luy faillir; car non mesme ne vise qu'à l'indolence, comme à son seulement à un philosophe, mais simplement à but; l'appetit qui nous ravit à l'accointance des un homme rassis, quand il sent par effect l'altefemmes, il ne cherche qu'à chasser la peine que ration cuysante d'une fiebvre chaulde, quelle monnous apporte le desir ardent et furieux, et ne noye est ce de le payer de la soubvenance de la demande qu'à l'assouvir, et se loger en repos et doulceur du vin grec? ce seroit plustost luy emen l'exemption de cette fiebvre : ainsi des aultres. pirer son marché : le dis doncques que si la simplesse nous achemine à n'avoir point de mal, elle nous achemine à un tres heureux estat, selon nostre condition. Si ne la fault il point imaginer si plombee, qu'elle soit du tout sans sentiment; car Crantor avoit bien raison de combattre l'indolence d'Epicurus, si on la bastissoit si profonde, que l'abord mesme et la naissance des maulx en feust à dire. « le ne loue point cette indolence qui n'est ny possible ny desirable: ie suis content de n'estre pas malade; mais si ie le suis, ie veulx sçavoir que ie le suis; et si on me cauterize ou incise, ie le veulx sentir 1. » De vray, qui desracineroit la cognoissance du mal, il extirperoit quand et quand la cognoissance de la volupté, et enfin aneantiroit l'homme. Istud nihil dolere, non sine magna mercede contingit immanitatis in animo, stuporis in corpore'. Le mal est, à l'homme, bien à son tour: ny la douleur ne luy est tousiours à fuyr, ny la volupté tousiours à suyvre.

veur,

C'est un tres grand advantage pour l'honneur de l'ignorance, que la science mesme nous reiecte entre ses bras, quand elle se treuve empeschee à nous roidir contre la pesanteur des maulx; elle est contraincte de venir à cette composition, de nous lascher la bride, et donner congé de nous sauver en son giron, et nous mettre, soubs sa faà l'abri des coups et iniures de la fortune: car que veult elle dire aultre chose, quand elle nous presche «< De retirer nostre pensee des maulx qui nous tiennent, et l'entretenir des voluptez perdues; De nous servir, pour consolation des maulx presents, de la souvenance des biens passez; et D'appeller à nostre secours un contentement esvanouy, pour l'opposer à ce qui nous presse? » Levationes ægritudinum in avocatione a cogitanda molestia, et revocatione ad contemplandas voluptates, ponit3: si ce n'est que où la force

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encores un coup.

Suavis est laborum præteritorum memoria 3. Comment! la philosophie, qui me doibt mettre les armes à la main pour combattre la fortune; qui me doibt roidir le courage pour fouler aux pieds toutes les adversitez humaines, vient elle à cette mollesse de me faire conniller par ces destours couards et ridicules? car la memoire nous represente, non pas ce que nous choisissons, mais ce qui luy plaist; voire, il n'est rien qui imprime si vifvement quelque chose en nostre souvenance, que le desir de l'oublier : c'est une bonne maniere de donner en garde, et d'empreindre en nostre ame quelque chose, que de la soliciter de la perdre. Et cela est fauls, Est situm in nobis, ut et adversa quasi perpetua oblivione obruamus, et secunda iucunde et suaviter meminerimus ; et cecy est vray, Memini etiam quæ nolo: oblivisci non possum quæ volo5. Et de qui est ce conseil? de celuy, qui se unus sapientem profiteri sit ausus;

Qui genus humanum ingenio superavit, et omnes
Præstinxit, stellas exortus uti ætherius sol 7.

I Le souvenir du bien double le mal.

2 CIC. Tusc. quæst. III, 15. C.

3 Des maux passés le souvenir est doux.

EURIPID. apud Cic. de Finib. II, 32.

4 Il est en notre puissance d'effacer entièrement nos malheurs de notre mémoire, et de rappeler dans notre esprit l'agréable souvenir de tout ce qui nous est arrivé d'heureux. CIC. de Finib. I, 47.

5 Je me souviens des choses que je voudrais oublier, et je ne puis oublier celles dont je voudrais perdre le souvenir. Cic. de Finib. II, 32.

6 Qui, seul entre les hommes, a osé se dire sage (Épicure). CIC. de Finib. II, 3.

7 Qui par son génie, supérieur à tous les hommes, les a tous effacés; comme le soleil, en se levant, éteint tous les feux cé lestes. LUCRECE, III, 1056.

De vuider et desmunir la memoire, est ce pas le vray et propre chemin à l'ignorance?

Iners malorum remedium ignorantia est1. Nous veoyons plusieurs pareils preceptes, par lesquels on nous permet d'emprunter du vulgaire des apparences frivoles, où la raison vifve et forte ne peult assez, pourveu qu'elles nous servent de contentement et de consolation: où ils ne peuvent guarir la playe, ils sont contents de l'endormir et pallier. Ie croy qu'ils ne me nieront pas cecy, que s'ils pouvoient adiouster de l'ordre et de la constance en un estat de vie qui se mainteinst en plaisirs et en tranquillité par quelque foiblesse et maladie de iugement, qu'ils ne l'acceptassent:

Potare, et spargere flores

Incipiam, patiarque vel inconsultus haberi2.

Il se trouveroit plusieurs philosophes de l'advis de Lycas cettuy cy ayant, au demourant, ses mœurs bien reiglees, vivant doulcement et paisiblement en sa famille, ne manquant à nul office de son debvoir envers les siens et les estrangiers, se preservant tres bien des choses nuisibles, s'estoit, par quelque alteration de sens, imprimé en la cervelle une resverie: c'est qu'il pensoit estre perpetuellement aux theatres à veoir des passetemps, des spectacles, et des plus belles comedies du monde. Guary qu'il feut, par les medecins, de cette humeur peccante, à peine qu'il ne les meist en procez pour le restablir en la doulceur de ces imaginations:

Pol! me occidistis, amici,

Non servastis, ait; cui sic extorta voluptas, Et demptus per vim mentis gratissimus error 3: d'une pareille resverie à celle de Thrasylaus, fils de Pythodorus, qui se faisoit accroire que touts les navires qui relaschoient du port de Piree et y abordoient, ne travailloient que pour son service; se resiouïssant de la bonne fortune de leur navigation, les recueillant avecques ioye. Son frere Crito l'ayant faict remettre en son meilleur sens, il regrettoit cette sorte de condition en laquelle il avoit vescu en liesse, et deschargé de tout desplaisir 4. C'est ce que dict ce vers ancien grec,

Et l'ignorance n'est à nos maux qu'un faible remède. SÉKÈQUE, OEdipe, acte III, v. 7.

2 Au hasard de passer pour fou, je veux boire, je veux répandre des fleurs autour de moi. HOR. Epist. I, 5, 14.

3 Ah! mes amis, qu'avez-vous fait ? en me guérissant, vous m'avez tué! C'est m'oter tous mes plaisirs, que de m'arracher de l'âme cette douce erreur dont j'étais enchanté. HOR. Epist. II, 2, 138.

4 Toute cette histoire est prise d'ATHÉNÉE, liv. XII, à la fin. Elle est aussi dans ÉLIEN, Var. hist. IV, 25, où l'on trouve Thrasyllus au lieu de Trasylaus. C.

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Εν τῷ φρονεῖν γὰρ μηδὲν, ἥδιστος βίος ε. Et l'Ecclesiaste: « En beaucoup de sagesse, beaucoup de desplaisirs; et, Qui acquiert science, s'acquiert du travail et du torment".

da iu

Cela mesme à quoy la philosophie consent en general, cette derniere recepte qu'elle ordonne à toute sorte de necessitez, qui est De mettre fin à pare. Non placet? quacumque vis, exi.... Punla vie que nous ne pouvons supporter (Placet? git dolor? vel fodiat sane: si nuðus es, gulum; sin tectus armis Vulcaniis, id est fortitudine, resiste3); et ce mot des Grecs convives qu'ils y appliquent, Aut bibat, aut ubeat, qui sonne plus sortablement en la langue d'un Gascon, qui change volontiers en V le B, qu'en celle de Cicero:

Vivere si recte nescis, decede peritis. Lusisti satis, edisti satis, atque bibisti; Tempus abire tibi est, ne potum largius æquo Rideat, et pulset lasciva decentius ætas 5: qu'est ce aultre chose qu'une confession de son impuissance, et un renvoy non seulement à l'ignorance, pour y estre à couvert, mais à la stupidité mesme, au non sentir et au non estre?

Democritum postquam matura vetustas
Admonuit memorem, motus languescere mentis;
Sponte sua letho caput obvius obtulit ipse 6.

C'est ce que disoit Antisthenes, « qu'il falloit faire provision ou de sens pour entendre, ou de licol pour se pendre 7; » et ce que Chrysippus alleguoit sur ce propos du poëte Tyrtæus,

De la vertu ou de mort approcher 8:

et Crates disoit, « que l'amour se guarissoit par la faim, sinon par le temps; et à qui ces deux

I SOPHOCLE, Ajax, v. 552. C.

2 Ecclesiast. chap. I, vers. 18. C.

3 Te plait-elle encore? supporte-la. En es-tu las? sors-en par où tu voudras... La douleur te pique? je suppose même qu'elle te déchire: prête le flanc, si tu es sans défense; mais si tu es couvert des armes de Vulcain, c'est-à-dire armé de force et de courage, résiste. Les premières paroles sont un passage altéré de SÉNÈQUE, Epist. 70: Placet? vive. Non placet ? licet eo reverti, unde venisti. Le reste est de CICERON, Tusc. quæst. II, 14. C.

4 Qu'il boive ou qu'il s'en aille. CIC. Tusc. quæst. V, 4. 5 Si tu ne sais point user de la vie, cède la place à ceux qui le savent. Tu as assez folátré, assez bu, assez mangé; il est temps pour toi de faire retraite. Ne crains-tu pas de t'enivrer, et de devenir la risée et le jouet des jeunes gens, à qui la gaieté convient mieux qu'à toi? HOR. Epist. II, 2, 213.

6 Démocrite, averti par l'àge que les ressorts de son esprit commençaient à s'user, alla lui-même au-devant de la mort. LUCRÈCE, III, 1052.

7 PLUTARQUE, Contredicts des philosophes stoïques, c. 14. C. 8 ID. ibid.

2

moyens ne plairoient, par la hart1. >> Celuy Sextius, duquel Seneque et Plutarque parlent avecques si grande recommendation, s'estant iecté, toutes choses laissees, à l'estude de la philosophie, delibera de se precipiter en la mer, veoyant le progrez de ses estudes trop tardif et trop long: il couroit à la mort, au default de la science. Voycy les mots de la loy sur ce subiect: « Si d'adventure il survient quelque grand inconvenient qui ne se puisse remedier, le port est prochain, et se peult on sauver, à nage, hors du corps, comme hors d'un esquif qui faict eau; car c'est la crainte de mourir, non pas le desir de vivre, qui tient le fol attaché au corps.

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3

Comme la vie se rend par la simplicité plus
plaisante, elle s'en rend aussi plus innocente et
meilleure, comme ie commenceoy tantost à dire.
Les simples, dict sainct Paul, et les ignorants,
à tout
s'eslevent et se saisissent du ciel ; » et nous,
nostre sçavoir, nous plongeons aux abysmes infer-
" ennemy
naux. Ie ne m'arreste ny à Valentian
declaré de la science et des lettres; ny à Licinius,
touts deux empereurs romains, qui les nommoient
le venin et la peste de tout estat politique; ny
à Mahumet qui, comme i'ay entendu, interdict
la science à ses hommes: mais l'exemple de ce
grand Lycurgus, et son auctorité, doibt certes
avoir grand poids, et la reverence de cette divine
police lacedemonienne, si grande, si admirable,
et si long temps fleurissante en vertu et en bon-
heur, sans aulcune institution ny exercice de
lettres. Ceulx qui reviennent de ce monde nou-
veau qui a esté descouvert du temps de nos pe-
res par les Espaignols, nous peuvent tesmoigner
combien ces nations, sans magistrat et sans loy,
vivent plus legitimement et plus reiyleement que
les nostres, où il y a plus d'officiers et de loix,
qu'il n'y a d'aultres hommes, et qu'il n'y a d'ac-
tions:

Di cittatorie piene, e di libelli,
D'esamine, e di carte di procure,
Hanno le mani e il seno, e gran fastelli
Di chiose, di consigli, e di letture :
Per cui le facultà de' poverelli
Non sono mai nelle città sicure;

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251

Hanno dietro, et dinanzi, et d'ambi i lati, Notai, procuratori, ed avvocati1. C'estoit ce que disoit un senateur romain des derniers siecles, Que leurs predecesseurs avoient l'haleine puante à l'ail, et l'estomach musqué de bonne conscience 2; et qu'au rebours, ceulx de son temps ne sentoient au dehors que le parfum, puants au dedans à toute sorte de vices : c'est à dire, comme ie pense, qu'ils avoient beaucoup de sçavoir et de suffisance, et grande faulte de preud'hommie. L'incivilité, l'ignorance, la simplesse, la rudesse, s'accompaignent volontiers de l'innocence; la curiosité, la subtilité, le sçavoir, traisnent la malice à leur suitte: l'humilité, la crainte, l'obeïssance, la debonnaireté, qui sont les pieces principales pour la conservation de la societé humaine, demandent une ame vuide, docile, et presumant peu de soy. Les chrestiens ont une particuliere cognoissance, combien la curiosité est un mal naturel et originel en l'homme : le soing de s'augmenter en sagesse et en science, ce feut la premiere ruyne genre humain; c'est la voye par où il s'est precipité à la damnation eternelle; l'orgueil est sa perte et sa corruption : c'est l'orgueil qui iecte l'homme à quartier des voyes communes, qui luy faict embrasser les nouvelletez, et aymer mieulx estre chef d'une trouppe errante et desvoyee au sentier de perdition, aymer mieulx estre regent et precepteur d'erreur et de mensonge, que d'estre disciple en l'eschole de verité, se laissant mener et conduire par la main d'aultruy à la voye battue et droicturiere. C'est à l'adventure ce que dict ce mot grec ancien, « que la superstition suit l'orgueil, et lui obeït comme à son pere : » ἡ δεισιδαιμονία καθάπερ πατρὶ τῷ τύφω TEET 3. O cuider! combien tu nous empesches!

Comme on ne connaft point d'empereur romain de ce nom, je crois qu'il s'agit ici de Valens, empereur qui vivait dans la seconde moitié du quatrième siècle, et qui fut en effet, comme Licinius, un ennemi déclaré des sciences et de la philosophie. A. D.

du

il

Aprez que Socrates feut adverty que le dieu de sagesse luy avoit attribué le nom de Sage, en feut estonné ; et se recherchant et secouant par tout, n'y trouvoit aulcun fondement à cette divine sentence : il en sçavoit de iustes, temperants, vaillants, sçavants comme luy, et plus eloquents, et plus beaux, et plus utiles au païs.

1 Ils ont le sein et les mains pleines d'ajournements, de requê tes, , d'informations, et de lettres de procuration; ils marchent chargés de sacs remplis de gloses, de consultations et de procédures. Grace à eux, le pauvre peuple n'est jamais en sûreté dans les villes; par devant, par derrière, des deux côtés, il est assiégé d'une foule de notaires, de procureurs, et d'avocats. ARIOST. Orlando furioso, c. 14, stanz. 84.

2 C'est un passage de Varron, qu'on trouve dans NONIUS MARCELLUS, au mot Cepe, p. 201, éd. de Mercier. C.

3 C'est un mot de Socrate, s'il faut en croire STOBÉE, qui le lui attribue. Serm. XXII, p. 189. C.

4 Voyez PLATON, Apologie de Socrate, p. 360 C.

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