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E'l silenzio ancor suole Aver prieghi e parole'.

Quoy des mains? nous requerons, nous promettons, appellons, congedions, menaceons, prions, supplions, nions, refusons, interrogeons, admirons, nombrons, confessons, repentons, craignons, vergoignons, doubtons, instruisons, commandons, incitons, encourageons, iurons, tesmoignons, accusons, condemnons, absolvons, iniurions, mesprisons, desfions, despitons, flattons, applaudissons, benissons, humilions, mocquons, reconcilions, recommendons, exaltons, festoyons, resiouïssons, complaignons, attristons, desconfortons, desesperons, estonnons, escrions, taisons, et quoy non? d'une variation et multiplication à l'envy de la langue. De la teste, nous convions, renvoyons, advouons, desadvouons, desmentons, bienveignons, honnorons, venerons, desdaignons, demandons, esconduisons, esguayons, lamentons, caressons, tansons, soubmettons, bravons, enhortons, menaceons, asscurons, enquerons. Quoy des sourcils? quoy des espaules? Il n'est mouvement qui ne parle, et un langage intelligible sans discipline, et un langage publicque; qui faict, veoyant la varieté et usage distingué des aultres, que cettuy cy doibt plustost estre iugé le propre de l'humaine nature. le laisse à part ce que particulierement la necessité en apprend soubdain à ceulx qui en ont besoing; et les alphabets des doigts, et grammaires en gestes; et les sciences qui ne s'exercent et ne s'expriment que par iceulx; et les nations que Pline diet n'avoir point d'aultre langue. Un ambassadeur de la ville d'Abdere, aprez avoir longuement parlé au roy Agis de Sparte, luy demanda « Et bien, sire, quelle response veulx tu que ie rapporte à nos citoyens? - Que ie t'ay laissé dire tout ce que tu as voulu, et tant que tu as voulu, sans iamais dire un mot 3. » Voylà pas un taire parlier, et bien intelligible?

Au reste, quelle sorte de nostre suffisance ne recognoissons nous aux operations des animaulx? Est il police reiglee avecques plus d'ordre, diversifiee à plus de charges et d'offices, et plus constamment entretenue que celle des mouches à miel ? cette disposition d'actions et de vacations si ordonnee, la pouvons nous imaginer se conduire sans discours et sans prudence?

His quidam signis atque hæc exempla sequuti,

1 Le silence même a son langage; il sait prier, il sait se faire entendre. Aminta del Tasso, atto II, nel choro, v. 34. Liv. VI, c. 30. C.

PLUTARQUE, Apophthegmes des Lacédémoniens. C.

Esse apibus partem divinæ mentis, et haustus Æthereos, dixere'.

Les arondelles, que nous veoyons au retour du printemps fureter touts les coings de nos maisons, cherchent elles sans iugement, et choisissent elles sans discretion, de mille places, celle qui leur est la plus commode à se loger? Et en cette belle et admirable contexture de leurs bastiments, les oyseaux peuvent ils se servir plustost d'une figure quarree que de la ronde, d'un angle obtus que d'un angle droit, sans en sçavoir les conditions et les effects? prennent ils tantost de l'eau, tantost de l'argille, sans iuger que la dureté s'amollit en l'humectant? planchent ils de mousse leur palais, ou de duvet, sans preveoir que les membres tendres de leurs petits y seront plus mollement et plus à l'ayse? se couvrent ils du vent pluvieux, et plantent leur loge à l'orient, sans cognoistre les conditions differentes de ces vents, et considerer que l'un leur est plus salutaire que l'aultre? Pourquoy espessit l'araignee sa toile en un endroict, et relasche en un aultre; se sert à cette heure de cette sorte de nœud, tantost de celle là, si elle n'a et deliberation, et pensement, et conclusion? Nous recognoissons assez, en la pluspart de leurs ouvrages, combien les animaulx ont d'excellence au dessus de nous, et combien nostre art est foible à les imiter : nous veoyons toutesfois aux nostres, plus grossiers, les facultez que nous y employons, et que nostre ame s'y sert de toutes ses forces; pourquoy n'en estimons nous autant d'eulx? pourquoy attribuons nous à ie ne sçay quelle inclination naturelle et servile les ouvrages qui surpassent tout ce que nous pouvons par nature et par art? En quoy, sans y penser, nous leur donnons un tres grand advantage sur nous, de faire que nature, par une doulceur maternelle, les accompaigne et guide, comme par la main, à toutes les actions et commoditez de leur vie; et qu'à nous elle nous abbandonne au hazard et à la fortune, et à quester par art les choses necessaires à nostre conservation; et nous refuse quand et quand les moyens de pouvoir arriver, par aulcune institution et contention d'esprit, à la suffisance naturelle des bestes de maniere que leur stupidité brutale surpasse en toutes commoditez tout ce que peult nostre di vine intelligence. Vrayement, à ce compte, nous aurions bien raison de l'appeller une tres iniuste

:

1 Frappés de ces merveilles, des sages ont pensé qu'il y avait dans les abeilles une parcelle de la divine intelligence. VIRG. Georg. IV, 219.

marastre mais il n'en est rien; nostre police | n'est pas si difforme et desreiglee.

Nature a embrassé universellement toutes ses creatures; et n'en est aulcune qu'elle n'ayt bien pleinement fournie de touts moyens necessaires à la conservation de son estre: car ces plainctes vulgaires que i'oy faire aux hommes (comme la licence de leurs opinions les esleve tantost au dessus des nues, et puis les ravalle aux antipodes), Que nous sommes le seul animal abbandonné, nud sur la terre nue, lié, garrotté, n'ayant dequoy s'armer et couvrir que de la despouille d'aultruy; là où toutes les aultres creatures, nature les a revestues de coquilles, de gousses, d'escorce, de poil, de laine, de poinctes, de cuir, de bourre, de plume, d'escaille, de toison et de soye, selon le besoing de leur estre : les a armees de griffes, de dents, de cornes, pour assaillir et pour deffendre, et les a elle mesme instruictes à ce qui leur est propre, à nager, à courir, à voler, à chanter; là où l'homme ne sçait ny cheminer, ny parler, ny manger, ny rien que pleurer, sans apprentissage;

[est

Tum porro puer, ut sævis proiectus ab undis Navita, nudus humi iacet, infans, indigus omni Vitali auxilio, quum primum in luminis oras Nixibus ex alvo matris natura profudit, Vagituque locum lugubri complet; ut æquum est, Cui tantum in vita restet transire malorum. At variæ crescunt pecudes, armenta, feræque, Nec crepitacula eis opus est, nec cuiquam adhibenda Almæ nutricis blanda atque infracta loquela; Nec varias quærunt vestes pro tempore cœli; Denique non armis opus est, non mœnibus altis, Queis sua tutentur, quando omnibus omnia large Tellus ipsa parit, naturaque dædala rerum 1: ces plainctes là sont faulses; il y a en la police du monde une egualité plus grande et une relation plus uniforme. Nostre peau est pourveue, aussi suffisamment que la leur, de fermeté contre les iniures du temps: tesmoing plusieurs nations qui n'ont encores gousté aulcun usage de vestements; nos anciens Gaulois n'estoient gueres vestus; ne sont pas les Irlandois nos voysins,

1 Semblable au nautonier qu'une affreuse tempête a jeté sur le rivage, l'enfant est étendu à terre, nu, sans parole, dénué de tous les secours de la vie, dès le moment que la nature l'a arraché avec effort du sein maternel pour lui faire voir la lumière. Il remplit de ses cris plaintifs le lieu de sa naissance; et n'a-t-il pas raison de pleurer, l'infortuné, à qui il reste tant de maux à souffrir? Au contraire, les animaux domestiques et les bêtes féroces croissent sans peine; ils n'ont besoin ni du hochet bruyant, ni du langage enfantin d'une nourrice caressante; la différence des saisons ne les force pas à changer de vêtements : il ne leur faut ni armes pour défendre leurs biens, ni forteresses pour les mettre à couvert, puisque de son sein fécond la nature leur prodigue ses inépuisables bienfaits. LUCRÈCE, V, 223.

soubs un ciel si froid: mais nous le iugeons mieulx par nous mesmes; car touts les endroicts de la personne qu'il nous plaist descouvrir au vent et à l'air, se treuvent propres à le souffrir, le visage, les pieds, les mains, les iambes, les espaules, la teste, selon que l'usage nous y convie car s'il y a partie en nous foible, et qui semble debvoir craindre la froidure, ce debvroit estre l'estomach, où se faict la digestion; nos peres le portoient descouvert; et nos dames, ainsi molles et delicates qu'elles sont, elles s'en vont tantost entr'ouvertes iusques au nombril. Les liaisons et emmaillottements des enfants ne sont non plus necessaires; et les meres lacedemoniennes eslevoient les leurs en toute liberté de mouvements de membres, sans les attacher ne plier. Nostre pleurer est commun à la pluspart des aultres animaulx, et n'en est gueres qu'on ne veoye se plaindre et gemir long temps aprez leur naissance; d'autant que c'est une contenance bien sortable à la foiblesse en quoy ils se sentent. Quant à l'usage du manger, il est en nous comme en eulx, naturel et sans instruction;

Sentit enim vim quisque suam quam possit abuti2 : qui faict doubte qu'un enfant, arrivé à la force de se nourrir, ne sceust quester sa nourriture? et la terre en produict et luy en offre assez pour sa necessité, sans aultre culture et artifice; et si non en tout temps, aussi ne faict elle pas aux bestes, tesmoing les provisions que nous veoyons faire aux fourmis et aultres, pour les saisons steriles de l'annee. Ces nations que nous venons et de bruvage naturel, sans soing et sans façon, de descouvrir, si abondamment fournies de viande nous viennent d'apprendre que le pain n'est pas nostre seule nourriture, et que sans labourage, nostre mere nature nous avoit munis à planté de tout ce qu'il nous falloit; voire, comme il est vraysemblable, plus plainement et plus richement qu'elle ne faict à present que nous y avons meslé nostre artifice;

Et tellus nitidas fruges, vinetaque læta
Sponte sua primum mortalibus ipsa creavit;
Ipsa dedit dulces fœtus, et pabula læta;
Quæ nunc vix nostro grandescunt aucta labore,
Conterimusque boves, et vires agricolarum 4:

I PLUTARQUE, Vie de Lycurgue, c. 13. C.

2 Car chaque animal sent sa force et ses besoins. LUCRÈCE, V, 1032.

A planté, c'est-à-dire avec plénitude : du latin plenitas, et non du français plante: l'expression de plus plainement, qui suit, le prouve. E. J.

4 La terre produisit d'elle-même, et offrit d'abord aux mor tels, les humides pâturages, les moissons jaunissantes et les

le desbordement et desreiglement de nostre appetit devanceant toutes les inventions que nous cherchons de l'assouvir.

Quant aux armes, nous en avons plus de naturelles que la pluspart des aultres animaulx, plus de divers mouvements de membres, et en tirons plus de service naturellement et sans leçon; ceulx qui sont duicts à combattre nuds, on les veoid se iecter aux hazards pareils aux nostres si quelques bestes nous surpassent en cet advantage, nous en surpassons plusieurs aultres. Et l'industrie de fortifier le corps et le couvrir par moyens acquis, nous l'avons par un instinct et precepte naturel: qu'il soit ainsi, l'elephant aiguise et esmould ses dents, desquelles il se sert à la guerre ( car il en a de particulieres pour cet usage, lesquelles il espargne, et ne les employe aulcunement à ses aultres services); quand les taureaux vont au combat, ils respandent et iectent de la poussiere à l'entour d'eulx; les sangliers affinent leurs deffenses; et l'ichneumon, quand il doibt venir aux prinses avecques le crocodile, munit son corps, l'enduict et le crouste tout à l'entour de limon bien serré et bien paistry, comme d'une cuirasse : pourquoy ne dirons nous qu'il est aussi naturel de nous armer de bois et de fer?

Quant au parler, il est certain que s'il n'est pas naturel, il n'est pas necessaire. Toutesfois, ie croy qu'un enfant qu'on auroit nourry en pleine solitude, esloingné de tout commerce (qui seroit un essay mal aysé à faire), auroit quelque espece de parole pour exprimer ses conceptions: et n'est pas croyable que nature nous ayt refusé ce moyen qu'elle a donné à plusieurs aultres animaulx; car qu'est ce aultre chose que parler, cette faculté que nous leur veoyons de se plaindre, de se resiouyr, de s'entr'appeller au secours, se convier à l'amour, comme ils font par l'usage de leur voix? Comment ne parleroient elles entr'elles? elles parlent bien à nous, et nous à elles en combien de sortes parlons nous à nos chiens? et ils nous respondent: d'aultre langage, d'aultres appellations, devisons nous avecques eulx qu'avecques les oyseaux, avecques les pourceaux, les bœufs, les chevaulx; et changeons d'idiome selon l'espece.

Così per entro loro schiera bruna
S'ammusa l'una con l'altra formica,
Forse a spiar lor via e lor fortuna'.

riants vignobles. A peine accorde-t-elle aujourd'hui les tré-
ors de son sein à nos longues fatigues; et nous épuisons les
forces des laboureurs et des taureaux. LUCRÈCE, II, 1157.
1 Ainsi, dans le noir essaim des fourmis, on en voit qui

Il me semble que
Lactance' attribue aux bestes,
non le parler seulement, mais le rire encores.
Et la difference de langage qui se veoid entre
nous, selon la difference des contrees, elle se
treuve aussi aux animaulx de mesme espece :
Aristote allegue à ce propos le chant divers des
perdrix, selon la situation des lieux :
Variæque volucres.....

Longe alias alio iaciunt in tempore voces.....
Et partim mutant cum tempestatibus una
Raucisonos cantus 3.

lement

Mais cela est à sçavoir, quel langage parleroit cet enfant et ce qui s'en dict par divination n'a pas beaucoup d'apparence. Si on m'allegue, contre cette opinion, que les sourds naturels ne parlent point: ie responds que ce n'est pas seupour n'avoir peu recevoir l'instruction de la parole par les aureilles, mais plustost pource que le sens de l'ouye, duquel ils sont privez, se rapporte à celuy du parler, et se tiennent ensemble d'une cousture naturelle; en façon que ce que nous parlons, il fault que nous le parlions premierement à nous, et que nous le facions sonner au dedans à nos aureilles, avant que de l'envoyer aux estrangieres.

l'ay dict tout cecy pour maintenir cette ressemblance qu'il y a aux choses humaines, et pour nous ramener et ioindre à la presse : nous ne sommes ny au dessus, ny au dessoubs du reste. Tout ce qui est soubs le ciel, dict le sage, court une loy et fortune pareille :

Indupedita suis fatalibus omnia vinclis 4 :

il y a quelque difference, il y a des ordres et des degrez; mais c'est soubs le visage d'une mesme nature :

Res... quæque suo ritu procedit; et omnes
Fœdere naturæ certo discrimina servant 5.

Il fault contraindre l'homme, et le renger dans les barrieres de cette police. Le miserable n'a garde d'eniamber par effect au delà: il est entravé et engagé, il est assubiecty de pareille obligation que les aultres creatures de son ordre, et d'une condition fort moyenne, sans aulcune

semblent s'aborder et se parler entre elles, peut-être pour

épier les desseins et la fortune l'une de l'autre. DANTE, nel Purg. c. XXVI, v. 34.

1 Inst. divin. III, 10. C.

2 Hist. des anim. 1. IV, c. 9, vers la fin. C.

3 Les oiseaux changent de voix, selon les différents temps .. Il en est à qui une saison nouvelle inspire un nouveau ramage. LUCRÈGE, V, 1077, 1080, 1082, 1083.

4 Tout est enchainé par les liens de la destinée. LUCRÈCE, V, 874.

5 Tous les êtres ont leur caractère propre, tous gardent les différences que les leis de la nature ont établies entre eux. LUCRÈGE V, 921.

nostre, et que c'est une ratiocination et conse quence tiree du sens naturel : « Ce qui faict bruict se remue; ce qui se remue n'est pas gelé, ce qui n'est pas gelé est liquide; et ce qui est liquide plie soubs le fais? » car d'attribuer cela seulement à une vivacité du sens de l'ouye, sans discours et sans consequence, c'est une chimere, et ne peult entrer en nostre imagination. De mesme fault il estimer de tant de sortes de ruses et d'inventions dequoy les bestes se couvrent des entreprinses que nous faisons sur elles.

prerogative, preexcellence, vraye et essentielle; | par la teste ce mesme discours qu'il feroit en la celle qu'il se donne, par opinion et par fantasie, n'a ny corps ny goust. Et s'il est ainsi, que luy scul de touts les animaulx ayt cette liberté de l'imagination, et ce desreiglement de pensees, luy representant ce qui est, ce qui n'est pas, et ce qu'il veult, le fauls et le veritable; c'est un advantage qui luy est bien cher vendu, et duquel il a bien peu à se glorifier: car de là naist la source principale des maulx qui le pressent, peché, maladie, irresolution, trouble, desespoir. le dis donc, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a point d'apparence d'estimer que les bestes facent par inclination naturelle et forcee, les mesmes choses que nous faisons par nostre chois et industrie nous debvons conclure de pareils effects, pareilles facultez; et de plus riches effects, des facultez plus riches; et confesser, par consequent, que ce mesme discours, cette mesme voye que nous tenons à ouvrer, aussi la tiennent les animaulx, ou quelque aultre meilleure. Pourquoy ímaginons nous en eulx cette contraincte naturelle, nous qui n'en esprouvons aulcun pareil effect? ioinct qu'il est plus honnorable d'estre acheminé et obligé à reigleement agir par naturelle et inevitable condition, et plus approchant de la Divinité, que d'agir reigleement par liberté temeraire et fortuite; et plus seur de laisser à nature, qu'à nous, les resnes de nostre conduicte. La vanité de nostre presumption faict que nous aymons mieulx debvoir à nos forces, qu'à sa liberalité, nostre suffisance; et enrichissons les aultres animaulx des biens naturels, et les leur renonceons, pour nous honnorer et ennoblir des biens acquis par une humeur bien simple, ce me semble; car ie priseroy bien autant des graces toutes miennes et naïfves, que celles que i'aurois esté mendier et quester de l'apprentissage: il n'est pas en nostre puissance d'acquerir une plus belle recommendation, que d'estre favorisé de Dieu et de nature.

Par ainsi, le regnard, dequoy se servent les habitants de la Thrace, quand ils veulent entreprendre de passer par dessus la glace de quelque riviere gelee, et le laschent devant eulx pour cet effect; quand nous le verrions au bord de l'eau approcher son aureille bien prez de la glace, pour sentir s'il orra, d'une longue ou d'une voysine distance, bruire l'eau courant au dessoubs, et selon qu'il treuve par là qu'il y a plus ou moins d'espesseur en la glace, se reculer ou s'advancer', n'aurions nous pas raison de iuger qu'il luy passe I PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 12. C.

Et si nous voulons prendre quelque advantage de cela mesme, qu'il est en nous de les saisir, de nous en servir, et d'en user à nostre volonté; ce n'est que ce mesme advantage que nous avons les uns sur les aultres: nous avons à cette condition nos esclaves; et les Climacides', estoient ce pas des femmes, en Syrie, qui servoient, couchees à quatre pattes, de marchepied et d'eschelle aux dames à monter en coche? Et la pluspart des personnages libres abbandonnent, pour bien le gieres commoditez, leur vie et leur estre à la puissance d'aultruy : les femmes et concubines des Thraces plaident à qui sera choisie pour estre tuee au tumbeau de son mary: les tyrans ont ils iamais failly de trouver assez d'hommes vouez à leur devotion, aulcuns d'eulx adioustants davantage cette necessité de les accompaigner à la mort comme en la vie? des armees entieres se sont ainsin obligees à leurs capitaines3: la formule du serment, en cette rude eschole des escrimeurs à oultrance, portoit ces promesses : « Nous iurons de nous laisser enchaisner, brusler, battre, et tuer de glaive, et souffrir tout ce que les gladiateurs legitimes souffrent de leur maistre; engageants tres religieusement et le corps et l'ame à son service4 : »

Ure meum, si vis, flamma caput, et pete ferro

Corpus, et intorto verbere terga seca 5:

c'estoit une obligation veritable; et si, il s'en trouvoit dix mille, telle annee, qui y entroient et s'y perdoient. Quand les Scythes enterroient leur roy, ils estrangloient sur son corps la plus favorie de ses concubines, son eschanson, escuyer d'escuirie, chambellan, huyssier de chambre et cuisinier; et en son anniversaire, ils tuoient

I PLUTARQUE, Comment on peult discerner le flatteur d'avecques l'amy, c. 3. C.

2 HERODOTE, V, 5; POMPONIUS MÉLA, II, 2, etc. J. V. L.
3 CÉSAR, de Bello. gall. III, 22. J. V. L.
4 PETRONE, Sat. c. 117. C.

5 Brule-moi la tête, j'y consens, perce-moi le corps d'un glaive, et déchire-moi le dos à coups de fouet. TIBULLE, I, 9, 21.

veult : à mesure qu'elle apperceoit quelque petit poisson s'approcher, elle luy laisse mordre le bout de ce boyau, estant cachee dans le sable ou dans la vase, et petit à petit le retire, iusques à ce que ce petit poisson soit si prez d'elle, que d'un sault elle puisse l'attrapper.

Quant à la force, il n'est animal au monde en bute de tant d'offenses que l'homme : il ne nous fault point une baleine, un elephant et un crocodile, ny tels aultres animaulx, desquels un seul est capable de desfaire un grand nombre d'hommes; les pouils sont suffisants pour faire vacquer la dictature de Sylla '; c'est le desieu. ner d'un petit ver, que le cœur et la vie d'un grand et triumphant empereur.

cinquante chevaulx montez de cinquante pages, | loing en le laschant, et le retire à soy quand elle qu'ils avoient empalez par l'espine du dos iusques au gosier, et les laissoient ainsi plantez en parade autour de la tumbe1. Les hommes qui nous servent le font à meilleur marché, et pour un traictement moins curieux et moins favorable que celuy que nous faisons aux oyseaux, aux chevaulx et aux chiens. A quel soulcy ne nous desmettons nous pour leur commodité? il ne me semble point que les plus abiects serviteurs facent volontiers pour leurs maistres ce que les princes s'honnorent de faire pour ces bestes. Diogenes voyant ses parents en peine de le rachepter de servitude: « Ils sont fols, disoit il; c'est celuy qui me traicte et nourrit, qui me sert 2: » et ceulx qui entretiennent les bestes, se doibvent dire plustost les servir, qu'en estre servis. Et si, elles ont cela de plus genereux, que iamais lyon ne s'asservit à un aultre lyon, ny un cheval à un aultre cheval, par faulte de cœur. Comme nous allons à la chasse des bestes, ainsi vont les tigres et les lyons à la chasse des hommes; et ont un pareil exercice les unes sur les aultres, les chiens sur les lievres, les brochets sur les tenches, les arondelles sur les cigales, les esperviers sur les merles et sur les allouettes :

Serpente ciconia pullos

Nutrit, et inventa per devia rura lacerta.....

Et leporem aut capream famulæ Iovis et generosæ
In saltu venantur aves 3.

5

Nous partons 4 le fruict de nostre chasse avecques nos chiens et oyseaux, comme la peine et l'industrie et au dessus d'Amphipolis, en Thrace, les chasseurs et les faulcons sauvages partent iustement le butin par moitié; comme le long des Palus Mæotides, si le pescheur ne laisse aux loups, de bonne foy, une part eguale de sa prinse, ils vont incontinent deschirer ses rets. Et comme nous avons une chasse qui se conduict plus par subtilité que par force, comme celle des colliers, de nos lignes, et de l'hamesson, il s'en veoid aussi de pareilles entre les bestes : Aristote 7 dict que la seiche iecte de son col un boyau long comme une ligne, qu'elle estend au

I HÉRODOTE, IV, 71 et 72. J. V. L.

2 DIOCÈNE LAERCE, VI, 75. C.

Pourquoy disons nous que c'est à l'homme science et cognoissance, bastie par art et par discours, de discerner les choses utiles à son vivre et au secours de ses maladies, de celles qui ne le sont pas; de cognoistre la force de la rubarbe et du polypode? et quand nous veoyons les chevres de Candie, si elles ont receu un coup de traict, aller, entre un million d'herbes, choisir le dictame pour leur guarison; et la tortue, quand elle a mangé de la vipere, chercher incontinent de l'origanum pour se purger; le dragon, fourbir et esclairer ses yeulx avecques du fenoil; les cigoignes, se donner elles mesmes des clysteres à tout de l'eau marine; les elephants, arracher non seulement de leurs corps, et de leurs compaignons, mais des corps aussi de leurs maistres (tesmoing celuy du roy Porus', qu'Alexandre desfeit), les iavelots et les dards qu'on leur a iectez au combat, et les arracher si dextrement, que nous ne le sçaurions faire avecques si peu de douleur; pourquoy ne disons nous de mesme que c'est science et prudence? Car d'alleguer, pour les deprimer, que c'est par la seule instruction et maistrise de nature qu'elles le sçavent; ce n'est pas leur oster le tiltre de science et de prudence, c'est la leur attribuer à plus forte raison qu'à nous, pour l'honneur d'une si certaine maistresse d'eschole. Chrysippus 3, bien qu'en toutes aultres choses autant desdaigneux iuge de la condition des animaulx que nul aultre philoso

3 La cigogne nourrit ses petits de serpents et de lézards phe, considerant les mouvements du chien qui

qu'elle trouve loin des routes frayées..... L'aigle, ministre de Jupiter, chasse dans les forêts le lièvre et le chevreuil. JUVÉNAL, XIV, 74, 81.

4 Du verbe partir, diviser en plusieurs parts. Ce mot vieilli n'est plus d'usage que dans cette phrase proverbiale : « Ils ⚫nt toujours maille à partir entre eux. » C.

5 PLINE, X, 8. C.

6 Des collets, sorte de lacs à prendre des lièvres. C. 7 PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 28. C.

se rencontrant en un carrefour à trois chemins, ou à la queste de son maistre qu'il a esgaré, ou

1 Allusion à la maladie pédiculaire, dont Sylla mourut à l'âge de soixante ans.

2 PLUTARQUE, De l'industrie des animaulx, c. 13. C. 3 SEXTUS EMPIRICUS, Pyrrh. Hypotyp. I, 14. C.

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